J’avais un confrère et un ami
Par Eolas le lundi 22 février 2021 à 00:36 :: Lien permanent
Jean-Yves Moyart, alias Maitre Mô, nous a quitté le 20 février 2021. Depuis l’annonce de sa disparition, les hommages se sont multipliés, et à raison. De la presse (ou encore ici ou là), du ministre de la Justice, qui fut son confrère, et de la profession judiciaire dans son ensemble : policiers, gendarmes, greffiers, juges, procureurs, avocats.
Ce n’est pas faire dans l’emphase de dire que c’est un avocat d’exception qui est parti, que la perte pour le barreau est immense, et que le trou béant qu’il laisse dans le cœur de ceux qui l’ont connu et aimé (ce sont forcément les mêmes), incommensurable. C'est la pure vérité.
Jean-Yves avait la défense dans le sang, dans les tripes, dans chaque fibre de son être. Il a raconté de manière désopilante son grand oral du barreau, qui s’est joué de justesse car il avait quasiment fait l’impasse sur toutes les matières qui n’étaient pas du pénal, et il est tombé sur les sûretés, qui ne sont pas du pénal. Heureusement, le jury a vu l’avocat qui poignait sous l’étudiant dégingandé qui se liquéfiait devant eux. Il faisait partie de ces confrères qui ont toujours su exactement ce qu’ils voulaient faire, et il ne s’était pas trompé.
Un des dangers qui nous guettent dans un dossier par trop mal engagé, c’est l’abattement. La résignation. Se dire que cela ne vaut pas le coup de trop s’investir dans ce dossier, car le client s’arc-boute sur une stratégie de défense que nous lui déconseillons, qu’il a des antécédents accablants, que la juridiction devant laquelle il va comparaître est réputée impitoyable, que le procureur requerra beaucoup, et obtiendra plus. C’est un combat quotidien de chasser ce fatalisme pour se battre jusqu’au bout. Jean-Yves était immunisé contre cela. Il était incapable d’envisager de ne pas tout donner dans chacun de ces dossiers, quitte à en sortir lessivé, avant d’enchaîner sur le suivant, tout aussi prenant. Parce que Jean-Yves avait une capacité d’empathie qui n’a jamais trouvé ses limites, au point que nous en avons conclu qu’elles n’existaient pas.
Il n’y a pas un réprouvé (il aimait bien ce terme), un paumé, un cabossé, chez qui il ne savait déceler la flamme de l’humanité, et dans la nuit qu’avait jeté autour de lui celui qu’il défendait, amener juges, jurés, et parfois les parties civiles elle-mêmes, à tourner leurs regards vers cette lumière. Non pour le pardon, il a défendu des gens qui avaient commis des actes pour lesquels tout pardon était impossible, mais pour que malgré tout, on se souvienne que c’est un humain, un des nôtres, notre frère, que nous jugeons. C’est l’honneur de notre société de juger sans haine et dans la mesure du possible sans colère, de sanctionner sans humilier, de toujours penser à l’avenir et de s’interroger sur ce que cela prendra pour que celui qui sera un temps mis au ban reprenne un jour sa place dans la fraternité humaine. Cette nécessité était pour lui une évidence, et il avait chevillé au corps l’humanisme qu’il fallait pour cette tâche titanesque.
Il n’en sortait pas indemne, mais se plaindre après avoir défendu des gens dont la vie rend le mot misère insuffisant lui était impensable. Il se rebâtissait en s’entourant des gens qui l’aimaient et qu’il aimait tant en retour, sans réserve, par des bains de joie, et par une consommation de champagne qui n’est par pour rien dans la prospérité de la filière. Parfois, au cours des agapes dionysiaques qu’il organisait, ou rendait telles par sa simple présence, on pouvait apercevoir un bref moment un voile tomber sur son regard, la noirceur qu’il avait combattue hier ou celle qui l’attendait demain s’échapper un instant. Mais très vite, il se rendait compte qu’on le regardait, son regard croisait le nôtre, ses yeux souriants avant même que sa bouche ait eu le temps de prendre la suite, et il dissipait ces ténèbres d’un bon mot ou, plus souvent, d’une remarque scabreuse.
La fidélité en amitié n’était pas un vain mot chez lui, il en avait une conception enfantine, quand les serments se font naturellement sans la moindre arrière-pensée et pour toute la vie, qui à cet âge est synonyme d’éternité. C’est pour cela que j’ai sans hésiter fait appel à lui pour me défendre lorsque des gens dont je n’ai pas envie de parler ici m’ont cherché querelle. Car je savais qu’il accepterait avec joie, outre que le corpus delicti le plongerait dans des abîmes d’hilarité. La confraternité non plus n’était pas un vain mot ; je l’ai rarement entendu prononcer le mot, il préférait pratiquer. Il était irréprochable, et incapable de comprendre qu’on ne le fût pas soi-même. Confronté comme il le fut à des confrères médiocres qui compensaient leur absence de talent par des basses ruses de prétoire, il ne se fâchait pas et ne tenait pas rancœur, mais le coupable était jeté au Tartare de son indifférence, dont on ne revenait pas, non qu’il fût rancunier mais parce que la condamnation était toujours méritée.
Il était de ces confrères qui nous donnent chaque jour, par leur exemple, envie de donner le meilleur de nous-mêmes, de ces humains qui ont compris que la seule chose qui vaille dans cette vallée de larmes, c’est de s’embrasser et de se dire qu’on s’aime autant qu’on peut, et de se retrouver, souvent, pour rire de tout, à commencer par soi-même. Il aurait détesté de tous nous voir pleurer autant que nous avons pleuré ces derniers jours à cause de lui. Qu’importe, je ne puis regretter cette trahison, et il nous a trop donné pour qu’être brutalement privé de lui à jamais ne nous fasse pas mal.
Commentaires
1. Le lundi 22 février 2021 à 01:29 par Bouddha_nana
2. Le lundi 22 février 2021 à 03:10 par Anthropos
3. Le lundi 22 février 2021 à 06:05 par Lolypump
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8. Le lundi 22 février 2021 à 09:04 par Laurence
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