Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Moi, Maxime F., 25 ans, greffier, passionné…

Par G.I. Max, un greffier (presque) idéal…


Je suis un greffier travaillant dans un service correctionnel, titulaire depuis peu, et comme le maître des lieux offre son blog comme tribune pour s’exprimer j’aimerais décrire ma (très brève) expérience. Partager des moments de vie du greffe, qui ont fait que si je suis en colère aujourd’hui, la passion (naissante) est restée intacte. Il y a 3 étapes dans la vie de greffier. La première c’est la découverte, celle où tout est possible, tout est émerveillement, des robes d’audiences au langage si particulier. C’est la période de scolarité puis de stages. Puis vient la routine, où s’installe le train-train quotidien, où les audiences deviennent notre lot quotidien et l’on n’y fait plus attention. Dans la majorité des cas, ça s’arrête là. Mais parfois un événement change la donne, le simple battement de cil d’une greffière en chef ou un mail anodin. Oui, parfois, un petit rien peu tout faire basculer. C’est cette histoire que je veux vous conter.

Épisode 1 : La découverte

Tous les fonctionnaires ont vécu la même chose. Chaque carrière commence par une liste. Une simple liste. Et un classement. Les réactions diffèrent. Certains se disent : « Ah bon, j’avais passé ce concours moi ? » quand d’autres fondent en larmes car c’est l’aboutissement de longues années d’études. Moi je n’étais ni dans l’une, ni dans l’autre situation. J’étais juste heureux d’avoir réussi un concours que je pensais avoir sérieusement loupé. A cause d’un oral où je ne fus pas des plus brillants, ayant confondu Perrault avec Pergaud (oui, c’est une honte, je sais).

Vient ensuite le temps de la scolarité. Quelques semaines à l’école, pour apprendre les bases de son futur métier. Puis quelques mois de stages en juridiction pour voir qu’en fait, ce n’est pas du tout ce que l’on a appris à l’école.

De ces stages, je retiendrai avant tout des rencontres magnifiques, des histoires touchantes aussi. Et pour bien commencer, à peine arrivée dans la boutique, le stage découverte, celui que l’on fait pendant 2 semaines, en tout, tout début de scolarité. Dès le premier jour, je me suis retrouvé dans le grand bain quand à midi, avec ma compagne d’infortune nous avons eu l’honneur de manger avec des stagiaires plus anciens (appelés aussi en juridiction « bébé greffier » ou « TéKiToi ») qui nous ont dépeint un tableau des plus horribles. « Les stages c’est l’enfer vous verrez ». « Et puis elle, c’est la pire, vous allez souffrir ». OK, je pleure tout de suite ou je peux finir mon steak frite ?

Mais plus le temps a passé et plus je me suis dit que ça n’était pas si mal. Alors certes, il y a eu des jours “plante verte”, où je suis resté dans mon coin, n’osant signaler ma présence. D’autres jours bouches trous, où j’ai fait le boulot que personne ne voulait (mais bon, c’est le métier qui rentre).

Et puis il y a cette audience au correctionnelle qui ne veut pas finir, la greffière qui reçoit un appel pendant la pause, personne ne peut aller chercher ses enfants à l’école, et ils sortent dans 10 minutes. Il reste une quinzaine de dossiers, on n’est pas sorti avant au moins 20 heures. Et dans son malheur elle me propose de m’en aller, parce que je suis en stage. « Heu, non je vais rester, si je peux t’aider ». Au final, elle aura trouvé quelqu’un et on aura fini à 21 heures. Parce que, oui, ça bosse dans les greffes, mine de rien.

En près de 7 mois, j’ai vu des collègues débordé(e)s, pour qui l’arrivée du TéKiToi était vécu comme une véritable bouée de sauvetage. J’ai d’ailleurs parfois craint d’être séquestré (c’est ça d’être un TéKiToi efficace). Mais j’ai aussi vu des collègues parler avec passion d’un métier qu’elles aiment. Et puis il y a aussi ces histoires, ce jeune homme en HO (hospitalisations d’office pour les non-initiés) qui craque en pleine audience et fait ressortir tout ce qu’il avait enfui en lui depuis de trop longues années, les regards qui se croisent avec la greffière, les larmes qui commencent à monter, et se dire qu’il faut se ressaisir. Ou alors cet enfant qui dans la confidence d’un cabinet du juge des enfants avoue qu’il préfère vivre avec son père, parce que maman elle ne lave jamais mes vêtements, que ça sent pas bon chez elle, lui qui réussit à nous faire rire en demandant comment on devient juge parce que ça doit être bien de pouvoir avoir un grand bureau. Bref, rapidement les stages sont finis et on choisit notre poste.

Épisode 2 : La routine

Pour moi, ça sera le service correctionnel d’un tribunal de province, en gros des audiences pénales. Le choix que je voulais, c’est parfait. Et puis avoir son propre bureau, il n’y a rien de mieux. Même si, comme on est le dernier arrivé, ce n’est pas le plus enviable des bureaux dont on hérite. Bref, après quelques semaines d’adaptation (et un retour express à l’école, pour revoir ses amis et, éventuellement être formé sur son futur poste) je suis complètement installé. Mes nouveaux collègues sont, pour certains devenus des amis. Et je commence même à former mes premiers stagiaires, dont certain(e)s nous abreuvent de questions.

Viens ensuite la première audience, celle qu’il faut prendre tout seul, comme un grand. Le réveil est difficile le matin, la nuit a été courte et les papillons qui volent et virevoltent dans le ventre, la gorge qui se serre plus les minutes avancent avant que le magistrat n’arrive et que les débats soient ouverts. Et puis plus les audiences s’enchaînent, moins on angoisse. Certes, il y a toujours un peu d’appréhension, mais la confiance s’installe peu à peu, et je prends le rythme.

Et la routine s’installe. Une audience, des jugements à « mettre en forme », à faire signer, puis l’audience à exécuter. Inlassablement. Il y a aussi le courrier à traiter. Et puis il y a les gens. Quand une audience finit à 22 heures, un justiciable resté jusqu’au bout, me dit : « Finalement, ça bosse les fonctionnaires ». Un jeune délinquant qui rentre avec ses amis (complices ?), dans le bureau et qui me dit qu’en fait je fais juste des copies et des tampons, c’est pourri comme boulot. Et l’un de ses amis qui lui dit : « T’es ouf ou quoi, ils font pleins d’autres choses, wesh le greffier, j’ai pas raison? ».

Après 6 mois d’apprentissage sur mon poste, arrive enfin le moment de la titularisation. Ça y est, je ne suis plus un bébé greffier, plus un TéKiToi. Je suis devenu un grand, l’espace d’un week-end seulement. Et la vie continue. Certaines audiences où l’on finit tard et les magistrats qui nous abandonnent à la fin, nous laissant seul avec les prévenus pour la plupart devenu condamnés à qui l’on doit remettre des papiers, faire signer des notifications, expliquer la peine ou sa mise en œuvre et les fameux droits fixe de procédure, et bien souvent écouter les reproches, si ce n’est les insultes, voir les menaces. Certaines histoires cocasses comme celle de ce voleur du dimanche qui se ballade en survêtement jaune fluo avec une grosse boite à outils orange flashy en plein jour pour voler des autoradio et qui ne comprend pas comment on a bien pu le reconnaître. D’autres beaucoup plus touchantes, comme celles de ce garçon qui a pris le volant et qui n’aurait pas dû, de l’alcool, une dispute avec sa petite amie, une vitre brisée, un virage un peu serré, un arbre et son meilleur ami à jamais envolé. Lui totalement effondré, et dans la salle d’audience, chacun retient ses larmes (ou pas d’ailleurs, une justiciable victime dans une autre affaire de l’audience éclate en sanglots) quand l’avocate de la défense lit la lettre d’excuse que le prévenu à écrit aux parents de la victime. Et la famille de ce jeune homme qu’il faut rassurer à la fin de l’audience, à qui il faut expliquer que non, votre fils n’ira pas en prison, la peine aménageable. Essayer de trouver les mots, alors qu’à 26 ans seulement, je ne sais pas vraiment quoi dire. Et leur souhaiter bonne chance pour la suite. Personne à qui raconter cette histoire, le soir, en rentrant dans mon petit appartement. Bref, le lot du quotidien.

Épisode 3 : Le changement

Depuis le début je savais que le ministère de la justice c’était pas vraiment le jackpot. Qui n’a pas vu à la fac que la France est 37ème sur les 43 pays du conseil de l’Europe en matière de budget de la justice, qui manque de moyens financiers et humains. Et puis mon père, qui, me demandant mon salaire me fait remarquer que j’ai le même indice que les contrôleurs des douanes, alors que j’ai été recruté à bac + 2 quand ces derniers le sont niveau bac. Et lorsque lors d’une rencontre avec des lycéens, un jeune me demande mon salaire. Et qu’il me répond : « Ouais, en fait c’est nul, genre tu dois faire de longues études pour être moins payé qu’un éboueur, moi je préfère arrêter l’école et ramasser des poubelles, en plus t’es dehors et pas enfermé dans un bureau »…

Alors oui, il aura suffit d’un mail en provenance d’Agen pour avoir envie de faire bouger les choses, pour se dire qu’il y en a marre de subir, qu’il faut se battre. Parce que bosser pendant 42 ans (jusqu’à 68 ans pour moi, au mieux) dans ces conditions, ça ne sera pas possible. Si certains font ce métier par défaut, ou en attendant mieux, d’autres le font avec passion, malgré les difficultés. C’est pour nous, pour eux, pour vous aussi, oui, vous qui nous lisez et qui subissez les conséquences. Les retards parce que l’on manque de temps, toujours, de matériel, parfois. Les délais qui se rallongent, les tribunaux qui s’éloignent et vos problèmes qui restent quelquefois sur le bord de la route, vous attendant à côté. C’est pour cette raison que je ferai grève le 29 avril. J’aime mon métier, et j’aimerai que l’on me le rende bien (enfin un peu, même pas beaucoup, mais un peu quoi…)…

Commentaires

1. Le lundi 28 avril 2014 à 11:43 par schwarzkopf

Merci de m’avoir fait partager un petit peu la réalité de votre métier que je pensais, avec mon ignorance crasse, voisin de celui de secrétaire de bureau.
Mais justement, en expliquant votre métier, ne pensez vous-pas parvenir à convaincre le grand public?

2. Le lundi 28 avril 2014 à 11:54 par cassius89

Greffier de chambre correctionnelle à la cour. Titularisé depuis plus d’1an. Je ne mets aucun affect dans mon métier, l’éloignement géographique imposé et les double frais de residence sont suffisamment difficiles comme ça. Mais je ne compte pas mes heures, ni les heures sup gratos pro deo…Le travail, je le fais et essaie de le faire au mieux. Au moins, on ne pourra pas me le reprocher. Le vendredi soir je prends le train pour rentrer chez moi à 500km, pour repartir le dimanche midi. A celui qui critique les fonctionnaires : passez les concours, reussissez les, quittez votre famille pour 2 ans, gérez votre budget et vos soucis à distance, tout en restant hyper vigilant dans votre travail… beaucoup pense cela facile, au moment venu peu le font…

3. Le lundi 28 avril 2014 à 16:37 par Arkaneo

Tout ces témoignages sont vraiment beau, mais c’est celui-ci que j’ai trouvé le plus touchant. Peut-être parce qu’en tant que jeune professionnel (dans un tout autre domaine, bien qu’aussi assez proche du social sans en être vraiment) je me suis parfois reconnu dans certaines lignes.

Merci à vous, Greffiers, de nous faire découvrir, à nous qui ne sommes pas du droit, la réalité de votre métier. Et merci au maitre des lieux qui a rendu cela possible.

4. Le lundi 28 avril 2014 à 19:13 par cha

je reconnais bien là la pâte..une intro 2 ou trois parties avec une conclusion, bref structuré et clair :)

Merci Maxime j’ai beaucoup aimé cet article ,

Charlotte (un ancien BB greffier)

5. Le lundi 28 avril 2014 à 19:47 par Sir yes sir

Très beau témoignage, comme beaucoup d’autres ici

J’en profite pour dire merci a tous les greffiers avec qui je travaille

Ceux qui supportent mes réquisitions et mes débordements a l’audience, avec qui on rigole pendant les suspensions, quand le Tribunal se retire pour délibérer…

Ceux qui doivent venir chercher mes réquisitions dans mon bureau parce que oups j’avais oublié la demande de mise en liberté, pardon, je le fais tout de suite, bougez pas…

Mon greffier de perm bien sur, qui me montre pourquoi sur cassiopee j’ai créé le grand père du mineur et pas son père et ça fait quatre fois que je te le montre hihi (grrr)

On n’est rien sans son greffier, rien n’avance, rien ne sort… Alors je continue de grincer en lisant les anecdotes de ces collègues qu’on zappe, qu’on rudoie… Qu’on méprise (petit pincement de honte…). Qu’on paye a peine plus que le SMIC parce qu’ils “font fonction”…

6. Le lundi 28 avril 2014 à 22:26 par Holmes

@ Sir yes sir (5) (” …pourquoi sur cassiopee j’ai créé le grand père du mineur et pas son père…”)

- C’est un bien petit garçon, en vérité : et il serait mieux à sa place au théâtre des Variétés.
- Cela ne fait pas l’ombre d’un doute.


*** La Stéréotomie ou la Nébuleuse d’Orion ***

7. Le lundi 28 avril 2014 à 22:53 par herve_02

Je sais que cela va paraître dur à dire (et je ferme mon robinet à empathie), mais

“A celui qui critique les fonctionnaires : passez les concours, reussissez les, quittez votre famille pour 2 ans, gérez votre budget et vos soucis à distance,”

Je ne vous plaindrais pas car le ton hautain qui se cache derrière cette phrase me révulse. Vous croyez que parce que vous avez réussi le concours vous avez gagné un truc, le mat de cocagne ? peut être que vous l’avez eu ce concours parce que je ne me suis pas présenté, sinon j’aurais pris votre place.

Il y a d’autres personnes avec d’autres “concours” (entretiens de sélection…) qui ont une même vie merdique que la vôtre. Votre manière de présenter les choses laisse penser - mais je suis de mauvaise fois - que vous pensez que votre cas est plus important que le leur et c’est dommage, ce que j’en pense.

Vous ne gagnerez qu’avec l’empathie des autres, cette réplique amène plutôt de l’antipathie.

8. Le mardi 29 avril 2014 à 13:47 par Chaton en chef

@ Hervé_02 7

Ah vous voyez un ton hautain dans ces mots ?
Moi j’y vois d’avantage de la lassitude, le raz le bol de tout fonctionaire d’être taxé de nanti, de privilégié ou autres noms d’oiseau bien moins agréables, par des personnes qui ne connaissent rien au fonctionnement de la fonction publique et qui se fondent sur des préjugés vieux de plus d’un demi siècle!
Je ne vois pas où Cassius89 affirme que notre vie dans le secteur public est pire que celle du secteur privé.

Et je m’intérroge : si vous êtes si sûr de vous de réussir ce concours, pourquoi ne pas vous y inscrire, vous mêler aux quelques 6000 candidats dont tout juste 10 % seront déclarés admis?
La Justice a besoin de bras, alors rejoingnez nous !

9. Le mardi 29 avril 2014 à 18:10 par cassius89

@ chaton en chef :
Je vous remercie beaucoup d’avoir compris et analysé mon commentaire, qui ne se voulait surtout pas hautain. J’en suis désolé s’il fut mal interprété.
Lassitude face en effet à de trop nombreux et injustifiés préjugés, qui peut être reposent sur la meconnaissance de notre profession.
Quant au secteur privé : j’y ai exercé longtemps et connais les entretiens de sélection. Je n’entrerai pas dans une polémique de comparaison.

10. Le mardi 29 avril 2014 à 19:02 par samsam

Et bien , j’ adhère totalement à ta vision des choses, parce que bien qu’ encore bébé greffière, je vis le même quotidien. Si on parle de l’ humain, je dirai que chaque jour je regarde, les demandes de copies exécutoires en me disant que les victimes, guettent probablement quotidiennement leurs boîte aux lettres dans l attente de la réparation de leur préjudice, chaque jour je me pose la question de savoir s il est plus urgent que je révoque l écrou du délinquant potentiellement récidiviste ou si je dois préparer l audience du lendemain vérifiant inlassablement que le prévenu ne soit pas jugé pour des infractions pour lesquels il n a pas été cité … Et puis vint le merveilleux vacataire qui soulagea notre service une semaine et qui me posa la question suivante : mais comment fais tu d’ habitude, le téléphone n arrête pas de sonner, les gens viennent, tu es constamment interrompu ? Je lui ai répondu après quelques secondes de silence, je crois qu’ en fait je n’ai jamais eu le temps de me poser la question….

11. Le mercredi 30 avril 2014 à 00:21 par Joinbet Affiliate Program up to 25% share

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12. Le mercredi 30 avril 2014 à 00:40 par Egidio

@cassius89
Mais pourquoi ? Nous ne craignons nullement une polémique de comparaison, soyez rassure, nous encaissons sans broncher parce nous connaissons aussi les entretiens de sélection et d’évaluation.

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