Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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11 ans à BOB

Par une Ch’ti dans le 93


A la sortie de l’ENG[1], j’ai choisi la 2ème juridiction de France (BOB pour les intimes[2]) après avoir déplié une carte routière et suivi du doigt la ligne «autoroute A1» menant directement du domicile parental à cette juridiction que je pensais quitter au bout des 2 années fatidiques.

J’y suis restée 11 ans … Onze belles années de rencontres professionnelles et amicales et de dur labeur.

Premier poste au Parquet – déférés exécution des peines – où, à l’époque, les instructions de défèrement sont données par les 2 greffières du service (cela n’a plus cours depuis longtemps) : grande responsabilité mais aussi grand investissement de notre part et un réel engagement pour faire au mieux le travail malgré la masse : à l’époque 80 à 100 déférés par mois.

Ajoutez à cela la mise en place des mandats d’arrêt européens que nous rédigions ma collègue et moi, l’extension du fichier «FNAEG[3]» qui a fait que les réquisitions m’arrivaient dans les belles caisses grises de la Poste débordantes de feuillets (plusieurs par semaine), les recours en grâce et les réhabilitations à instruire, la rédaction des procès-verbaux suite à interpellation sur mandats, les fiches de recherches …

Après ma permanence téléphonique de 08h30 à 18h00, j’enchaînais souvent jusqu’à 20h00 (je n’avais pas de charge de famille) enfermée dans mon bureau (sans plus de téléphone qui sonne jusqu’à 30 fois par jour) à traiter le courrier ou les réquisitions FNAEG car j’avais enfin mes 2 mains libres pour le faire !

Et les permanences de week-end …. La très grande joie des magistrats de perm qui, réceptionnant les tableaux du prochain week-end, voyaient le nom d’une des greffières de l’éxecution des Peines et qui poussaient des «ouf» de soulagement en sachant qu’en cas d’interpellation sur fiche de recherches, ils n’auraient pas à se «torturer» (j’en ai vu se gratter le cuir chevelu quasi au sang) pour savoir ce qu’il fallait faire du gars. Et de me dire : que c’est dur quand il n’y a pas l’une de vous ! Qu’à cela ne tienne je vais confectionner un classeur de permanence avec tous les types de cas de figure qui peuvent se présenter, les PV vierges mis sur disquette (et oui disquette !) et la marche à suivre de façon précise avec les n° de téléphone des services d’escorte et autres fax qui vont bien : tout ça fait en sus de ma charge de travail déjà bien lourde. (nota bene : même avec ce bel outil, il y avait encore de belles boulettes qui attendaient sur mon bureau le lundi matin ! Exécution des peines : bête noire des magistrats).

Les journées étaient bien remplies et certains week-ends aussi. Et oui, meskéskidis ! Les juridictions fonctionnent 365jours / an. Là où certains de mes collègues de province ne se déplacent que s’il y a du monde, dans les grosses juridictions on se déplace toujours le week-end et on ne part que quand il n’y a plus personne à présenter devant un juge : j’ai souvent fini après 20h avec des «dépôts midi» qui arrivent à 16h00 …

Après 4ans et demi de ce train d’enfer, je change de service et laisse l’exécution des peines à deux autres collègues finalement rejoints par une troisième : il faut dire que le nombre des défèrements dépassent maintenant mensuellement la centaine, la charge de travail s’est encore alourdie avec la création du FIJAIS et même si ce n’est plus mes collègues qui donnent les instructions de défèrements, la charge de travail est pire qu’à mon «époque».

Je m’arrête là car je pourrais remplir encore des pages avec mes autres fonctions et vous quitte, en rendant hommage à mes collègues de BOB (non, le fait que les fax ne fonctionnent pas ne fait pas de vous de mauvais fonctionnaires mais des victimes tout comme les personnes à qui le manque criant de moyens de la Justice française a pu causer du tort et de la peine) et d’ailleurs : on ne nous considère pas alors considérez-vous vous-mêmes ! Nous sommes les piliers de la Justice française au même titre que les magistrats ; sans nous rien ne se fait : Nous ne demandons pas l’aumône, Ne baissons plus la tête et luttons pour une revalorisation de nos statuts et de notre salaire.

PS : j’ai une maîtrise en droit et 14 ans d’ancienneté et je gagne à temps plein 1856€/mois.

Notes

[1] L’Ecole Nationale du Greffe.

[2] Tribunal de grande instance de Bobigny pour les pas intimes.

[3] Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques.

Commentaires

1. Le mercredi 23 avril 2014 à 12:58 par Hippalion

Compte tenu des horaires que vous faîtes (le vous regroupant les greffiers/greffières en général) et du salaire très modeste (pour rester dans le politiquement correct) que vous percevez, j’ai le plaisir (je suis ironique) de vous annoncer que vous avez l’immense honneur de gagner 0,40 centimes de plus que le coût horaire du salaire minimum pour 14 ans d’ancienneté et une maîtrise de droit. Cela laisse rêveur.

Mes calculs sont basés sur des journées de 10h30 (je suis grand seigneur, je vous ai laissé une heure pour vous restaurer le midi) à 5 jours de travail par semaine sur 4 semaines et demi par mois.

2. Le mercredi 23 avril 2014 à 13:33 par une chti dans le 93

petite rectification : plus d’une centaine de deferements par mois et non quotidiennement. ma “plume” a fourche !

3. Le jeudi 24 avril 2014 à 05:38 par végé

Voici l’autre greffière qui a pris ta suite, juste pour rajouter quelques mots.
Nous avions en plus l’accueil physique “justiciables,interprètes, avocats, magistrats d’autres sections” qui venaient nous poser cent questions à qui il fallait trouver soit des réponses, soit des solutions à leurs problèmes de suite… nous enregistrions les courriers des parquets généraux, nous redigions les permis de visite pour les consulats, les éducateurs, la police et la gendarmerie. Nous avions en charge les dossiers d’extraditions et des dénonciations officielles. Nous redigions les réquisitions d’extraction et de transfèrement
et ce n’est pas fini, nous effectuions les recherches sur le fichier national des détenus car nous étions les seuls avoir un FND qui fonctionne pour l’instruction, le JAP, le juge des enfants, les délégués du procureur tout cela avec le sourire (intérieurement je bouillonne) car j’ai du travail qui m’attend et le téléphone qui n’arrête pas de sonner, ce n’est pas grave je reste zen et c’est pas fini, nous procédions aux interpellations au guichet ou aux services de l’application des peines avec les policiers du dépôt et c’est pas fini, nous assurions le secrétariat de 5 magistrats et établissions les fameuses statistiques mensuelles. A cette époque, je suis adjointe administrative, j’ai deux enfants…. depuis j’ai eu mon concours de greffier. Alors mobilisons nous le 29 avril ….

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