C'était un tribunal
Par Eolas le vendredi 11 décembre 2009 à 10:54 :: Commensaux :: Lien permanent
La réforme de la carte judiciaire entre en vigueur au premier janvier. Partout en France, sauf à Paris qui en a pourtant trop (pas moisn de 20 pour une seule ville), des tribunaux d’instance ferment peu à peu. Voici en guise d’épitaphe pour l’un d’eux le billet d’un magistrat, Maboul Carburod…z, qui y a siégé dans une autre vie.
Au détour d’une route, une petite ville médiévale, comme tant d’autre en France. Ancien bailliage, elle a toujours eu sa maison de justice et pouvait s’enorgueillir d’un tribunal qui siégeait de manière ininterrompue au même lieu depuis plus de six cents ans. Certes, le tribunal de première instance avait perdu son président, son juge d’instruction, son avoué et avait été reclassé comme tant d’autre comme tribunal d’instance. Il ne manquait pas de charme ce bâtiment, niché au cœur de la ville face à la collégiale du XIème siècle. Certes, il n’était pas paré de ces colonnes, symboles de la justice triomphante, mais sa façade riante, les fenêtres cachées derrière des fleurs, ravissait le regard du passant et adoucissait l’austérité de l’activité qui y était exercée. Une volée de marches en fer à cheval, une simple porte en bois et un hall immense terminé par un escalier qui montait vers la salle d’audience. Elle était belle, cette salle, avec ses plafonds à la française, ses vitraux derrière le président, sa Marianne et un mobilier Restauration du meilleur goût. Les avocats disposaient de leurs pupitres avec des lampes vertes. C’était un autre temps où la justice prenait son temps.
La chambre du conseil avec sa belle table, sa bibliothèque était chaleureuse. Mais surtout, cette chaleur était celle du personnel qui vous accueillait : Un sourire, un mot aimable, l’envie de bien faire. Ce tribunal, les juges l’aimaient. C’était un bol d’air dans la course au travail vite fait. Il était hors du temps, encore un peu au XIXème, dans cette petite ville de province, mais déjà dans le XXIème avec ses ordinateurs.
Ce tribunal, comme tant d’autres, était à lui tout seul une petite famille. Tout y était partagé, les joies et les peines, les naissances. Il avait son barreau particulier, fier d’y plaider, ses huissiers, ses gérants de tutelle, tous fidèles.
Certes, il ne rentrait pas dans les critères de la rentabilité. Son service invisible aux yeux des technocrates, auprès des personnes protégées car vulnérables, de ceux qui les assiste, des populations fragilisées, n’était pas comptabilisé.
Un jour, la nouvelle est tombée. Pas assez rentable, il doit fermer. Son juge et la greffière ont fait part de son décès. Passé cet éclat, l’activité a repris. Le cœur n’y était plus. Le juge est parti et n’a pas été remplacé, l’intérim étant confié à un collègue d’une autre juridiction. La greffière a pris sa retraite. C’était trop triste de fermer. Une remplaçante par intérim est alors venue. Et le miracle a eu lieu. Chacun s’est pris d’affection pour ce lieu, son histoire, son charme. Mais ce n’était qu’un mirage.
Aujourd’hui, ce tribunal ferme. Il est vide. Plus d’audience, plus d’archives, plus de dossiers. Les meubles sont partis. Tout à l’heure, les clés seront rendues à la mairie. Aucune célébration particulière pour ce lieu tant chargé d’histoire, juste une lâche indifférence. Lorsque les clés seront rendues, le bâtiment bruissera des plaidoiries du passé. Il tombera dans l’oubli.
Alors, une dernière fois, la famille se réunit. Ce tribunal si cher à nos cœurs ne pouvait disparaître dans l’indifférence. Trop d’amitié nous lie, trop de bons souvenirs nous habitent pour ne pas laisser là, ceux qui restent et devront faire la route pour rejoindre la grande ville, celle du tribunal regroupé, si proche et si lointaine, où le justiciable, cet anonyme, est sans visage. Cette ultime réunion, c’est le déjeuner d’après enterrement. Il y a la joie de se retrouver, mais aussi la nostalgie de ce qui fut une période heureuse de nos histoires. On se racontera quelques souvenirs, on rira, puis il y aura, de retour dans ma voiture pour repartir, un certain vide, le sentiment d’une histoire qui se termine, où rien ne sera plus comme avant.
Certes, je l’avais quitté ce tribunal, il y a quelques années. Ce n’était plus le mien, mais il l’était encore un peu, comme son enfant que l’on confie à d’autres pour en prendre soin. Aujourd’hui, un tribunal se meurt, un tribunal est mort, et j’ai comme une larme au coin de l’œil, comme de la peine au fond du cœur.
Commentaires
1. Le vendredi 11 décembre 2009 à 11:19 par violon21
2. Le vendredi 11 décembre 2009 à 11:20 par Solo
3. Le vendredi 11 décembre 2009 à 11:30 par mamzelle carnetO
4. Le vendredi 11 décembre 2009 à 11:34 par DMonodBroca
5. Le vendredi 11 décembre 2009 à 11:49 par mauhiz
6. Le vendredi 11 décembre 2009 à 12:01 par Fleuryval
7. Le vendredi 11 décembre 2009 à 12:20 par hassan
8. Le vendredi 11 décembre 2009 à 13:20 par Mlle Ellute
9. Le vendredi 11 décembre 2009 à 13:22 par Tro choi
10. Le vendredi 11 décembre 2009 à 13:37 par olivierm
11. Le vendredi 11 décembre 2009 à 14:19 par LEF
12. Le vendredi 11 décembre 2009 à 14:21 par Tendance
13. Le vendredi 11 décembre 2009 à 14:48 par Petit pois sournois
14. Le vendredi 11 décembre 2009 à 15:56 par violette
15. Le vendredi 11 décembre 2009 à 16:00 par LEF
16. Le vendredi 11 décembre 2009 à 16:39 par vemac
17. Le vendredi 11 décembre 2009 à 16:58 par Bibi, une auteur sur Agitare rem
18. Le vendredi 11 décembre 2009 à 16:59 par Arnaud
19. Le vendredi 11 décembre 2009 à 17:32 par marsan
20. Le vendredi 11 décembre 2009 à 17:50 par Mimine
21. Le vendredi 11 décembre 2009 à 17:54 par ramon
22. Le vendredi 11 décembre 2009 à 17:59 par Maboul Carburod....z
23. Le vendredi 11 décembre 2009 à 18:34 par marmotte
24. Le vendredi 11 décembre 2009 à 18:36 par Bob
25. Le vendredi 11 décembre 2009 à 19:14 par Maboul Carburod....z
26. Le vendredi 11 décembre 2009 à 19:16 par tinotino
27. Le vendredi 11 décembre 2009 à 20:02 par Leslie
28. Le vendredi 11 décembre 2009 à 21:41 par Dom
29. Le vendredi 11 décembre 2009 à 21:44 par L'optimiste
30. Le samedi 12 décembre 2009 à 00:03 par ramon
31. Le samedi 12 décembre 2009 à 00:46 par Monseigneur
32. Le samedi 12 décembre 2009 à 05:12 par Remy
33. Le samedi 12 décembre 2009 à 08:37 par marsan
34. Le samedi 12 décembre 2009 à 09:06 par Gwenwed
35. Le samedi 12 décembre 2009 à 09:38 par Maboul Carburod....z
36. Le samedi 12 décembre 2009 à 09:45 par melianos
37. Le samedi 12 décembre 2009 à 09:49 par Maboul Carburod....z
38. Le samedi 12 décembre 2009 à 09:57 par bébert
39. Le samedi 12 décembre 2009 à 10:47 par MarJac
40. Le samedi 12 décembre 2009 à 12:03 par YR
41. Le samedi 12 décembre 2009 à 17:27 par vemac
42. Le samedi 12 décembre 2009 à 17:58 par hervé
43. Le samedi 12 décembre 2009 à 18:15 par Maboul Carburod....z
44. Le samedi 12 décembre 2009 à 19:16 par gilberto
45. Le samedi 12 décembre 2009 à 23:43 par Marianne
46. Le dimanche 13 décembre 2009 à 09:57 par Caton
47. Le dimanche 13 décembre 2009 à 10:05 par Tro choi
48. Le dimanche 13 décembre 2009 à 14:42 par Dom
49. Le dimanche 13 décembre 2009 à 17:27 par Marianne
50. Le dimanche 13 décembre 2009 à 23:27 par Térence
51. Le mercredi 16 décembre 2009 à 14:06 par Maz
52. Le jeudi 17 décembre 2009 à 18:41 par Evoweb