Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Comment prévoir ce que le juge va décider ?

Par Paxa­ta­gore


Aux Etats-Unis, les juges fédé­raux sont nom­més par le pré­si­dent des Etats-Unis, à vie. Comme tout un paquet de hauts res­pon­sa­bles, la déci­sion du Pré­si­dent doit être con­fir­mée par le Sénat. Le Sénat donne son accord après une audi­tion, plus ou moins lon­gue, de l’impé­trant par le comité judi­ciaire du Sénat. A cette occa­sion, on dis­cute de ses con­cep­tions juri­di­ques et, for­cé­ment, poli­ti­que, de ses pré­cé­den­tes déci­sions (s’il était déjà juge) ou de ce qu’il pense de tel­les ou tel­les déci­sions impor­tan­tes. C’est un exer­cice déli­cat, par­fois long, et le can­di­dat a pour objec­tif d’évi­ter de se lier les mains tout en se met­tant le moins de monde à dos. Cer­tains ne pas­sent pas la barre et sont désa­voués par le Sénat. Notre hôte a plu­sieurs fois évo­qué, ces der­niers jour, la pro­cé­dure de nomi­na­tion, tou­jours en cours, de Mme Sonia Sot­to­mayor, comme jus­tice à la cour suprême.

Pour autant, il faut bien avoir à l’esprit que ce que le can­di­dat-juge peut dire pen­dant ces audi­tions n’a stric­te­ment aucune valeur juri­di­que. Il peut don­ner son avis sur plein de ques­tions, y com­pris la meilleure façon de cui­si­ner les petits pois, on ne pourra pas par la suite le révo­quer parce que les déci­sions qu’il rend ne sont pas con­for­mes à ce qu’on atten­dait de lui. C’est l’une des gran­des limi­tes de l’exer­cice. Cette chro­ni­que recense plu­sieurs cas, fameux, dans l’his­toire amé­ri­caine, où des can­di­dats choi­sis en fonc­tion des con­vic­tions qu’on leur sup­po­sait, se sont révé­lés avec le temps bien dif­fé­rents. Le cas le plus récent est celui de David Sou­ter, nommé par les Répu­bli­cains et qui fai­sait alors pro­fes­sion de foi d’ori­gi­na­lisme (une doc­trine en vogue aux Etats-Unis qui veut qu’on ne doive inter­pré­ter la Cons­ti­tu­tion que con­for­mé­ment à ce que ses auteurs ont ou auraient voulu dire) et qui s’est révélé être en fait beau­coup plus libé­ral (c’est-à-dire, dans le voca­bu­laire poli­ti­que amé­ri­cain et avec plein d’approxi­ma­tion : de gau­che).

C’est tout le sel de ces audi­tions devant le Sénat : son­der le can­di­dat, sa pro­fon­deur, sa soli­dité, pour être à peu près cer­tain des déci­sions qu’il va ren­dre.

On pour­rait tou­te­fois s’inter­ro­ger sur la légi­ti­mité de ce pro­cédé. Après tout, nous autres Fran­çais, nous n’avons aucune pro­cé­dure de cet ordre. Les can­di­dats à la magis­tra­ture sont inter­ro­gés sur leurs com­pé­ten­ces juri­di­ques par le biais de con­cours, qui sont cor­ri­gés par d’autres magis­trats : à aucun moment le pou­voir légis­la­tif n’inter­vient dans la sélec­tion des juges (il faut noter du reste qu’il y a trop de juges en France pour qu’il puisse réel­le­ment pro­cé­der à un con­trôle). Il en va de même pour les con­seillers d’Etat, issus de l’ENA ou nom­més direc­te­ment par le gou­ver­ne­ment, ou encore des mem­bres du con­seil cons­ti­tu­tion­nel ou des magis­trats de la cour des comp­tes.

Pour­tant, ce pro­cédé me paraît tout à fait légi­time. Les déci­sions qu’un juge va ren­dre ont des réper­cus­sions impor­tan­tes, sur les par­ties au pro­cès évi­dem­ment mais plus géné­ra­le­ment sur l’ensem­ble de la société (du moins, de temps en temps). Il est légi­time de la part de la repré­sen­ta­tion natio­nale d’avoir une petite idée de l’état d’esprit de celui ou de ceux qui vont ren­dre cette déci­sion. Les par­ties elles-mêmes peu­vent sou­hai­ter savoir “à quelle sauce” elles vont être jugées, ne serait-ce que pour adap­ter leur argu­men­ta­tion en con­sé­quence. La pré­vi­si­bi­lité d’une déci­sion de jus­tice est un élé­ment essen­tiel dans un Etat de droit : cha­cun doit pou­voir rai­son­na­ble­ment pou­voir con­naî­tre l’éten­due de ses droits et de ses obli­ga­tions.

Il me sem­ble que le sys­tème amé­ri­cain accepte par­fai­te­ment le fait que le juge a des pré­sup­po­sés, de tous ordres et en tire les con­sé­quen­ces : il faut mieux con­naî­tre les pré­sup­po­sés du juge, pour pou­voir les com­bat­tre uti­le­ment le cas échéant. (Il faut pren­dre le terme “pré­sup­po­sés” au sens large : ce peut être des pré­ju­gés ,au sens où l’on entend habi­tuel­le­ment ce mot, mais aussi une opi­nion sur une loi, une pra­ti­que juri­di­que, des habi­tu­des…).

Com­ment fait le sys­tème fran­çais ? Il tend lar­ge­ment à igno­rer les pré­sup­po­sés du juge, du moins en public. La for­ma­tion des juges n’ignore pas ce point : à l’ENM, on est sen­si­bi­lisé à ce dan­ger et on est invité à le com­bat­tre. On appelle le juge à être son pro­pre garant, ce qui n’est pas vrai­ment satis­fai­sant. On cher­che ainsi à obte­nir des juges qui sont plu­tôt “neu­tres”. De la même façon, une bonne par­tie des pré­sup­po­sés de cha­que juge lui vien­nent de son appar­te­nance à la magis­tra­ture : la for­ma­tion et la coha­bi­ta­tion avec les autres col­lè­gues amè­nent les juges à par­ta­ger un cer­tain nom­bre de réflexes com­muns (dans une cer­taine mesure évi­dem­ment). C’est une façon comme une autre d’assu­rer une cer­taine pré­vi­si­bi­lité des déci­sions.

Il est frap­pant de voir à cet égard que le monde poli­ti­que ignore tota­le­ment cette ques­tion, qui pour­tant expli­que lar­ge­ment le cli­vage impor­tant exis­tant entre le monde poli­ti­que et le monde judi­ciaire. Peut-être devrait-on ins­tau­rer un sys­tème simi­laire à celui des Amé­ri­cains ? Nos juges y gagne­raient peut être en légi­ti­mité, les hom­mes poli­ti­ques seraient con­duits aussi à s’inter­ro­ger sur ce qu’ils atten­dent d’un bon juge… Tou­tes sor­tes de réflexions qui font actuel­le­ment défaut chez nous.

Commentaires

1. Le mercredi 22 juillet 2009 à 16:55 par Sofienne

Cher Maître,
Autant je souscris facilement au point relatif à la prévisibilité des décisions de justice, autant j’ai plus de réserves quant à la faculté du Sénat à désavouer un juge. Cela lui donne le pouvoir de ne pas permettre à un juge d’excercer s’il est en désaccord politique avec le Sénat justement. Or la justice se veut indépendante.

Avant de passer l’examen du Sénat, ces juges sont nommés par le président, ce qui pose le même problème.

Si le Sénat peut agir en contre-pouvoir du président - ce qui est une bonne chose - il n’y a pour autant rien pour jouer le rôle de contre-pouvoir du gouvernement pris dans son ensemble.

Vous ne semblez pas vous en émouvoir, pourtant, à vous lire, j’ai la conviction que vous vous souciez de ce genre de choses. Je suis également certain que cela ne vous a pas échappé.

Aurais-je donc raté quelque chose ? Y a-t-il quelque chose que je n’ai pas vu et qui mitige ce risque de partialité ? Ou bien la question ne se pose-t-elle pas pour d’autres raisons ?

Bien à vous,
Sofienne.

2. Le mercredi 22 juillet 2009 à 17:03 par Paxatagore

@Sofienne : le contrôle du président et du Sénat s'exerce a priori, et une fois pour toute : si la personne pressentie est finalement nommée, elle est nommée à vie et ne peut plus être révoquée (enfin, en théorie si, avec l'Impeachment, mais c'est extrêmement compliqué et la tradition juridique américaine considère que l'impeachment n'est pas possible pour révoquer un juge qui prendrait des décisions qui ne plaisent pas au Congrès). C'est aussi la contrepartie de l'indépendance ! On ne doit pas oublier que le juge jouit de pouvoirs considérables et à vie (aux Etats-Unis). Il ne me semble pas aberrant que le président et les sénateurs - qui sont élus - puissent avoir leur mot à dire.

3. Le mercredi 22 juillet 2009 à 17:17 par Gascogne

Et où places-tu la frontière de cette connaissance des “présupposés” du juge ? Jusqu’à ses convictions religieuses, appartenance à un loge maçonnique, goûts sexuels ? Car tous les éléments de personnalité d’un juge peuvent avoir leur influence sur sa décision, sauf à considérer que seule la loi, et dans une moindre mesure lorsque cela est nécessaire son interprétation (dans le sens de ce que souhaite le législateur), doit servir de guide à sa décision, et non pas ses propres convictions.
Laisser croire que les juges se laissent emporter par leurs sentiments, c’est laisser penser que le juge se décide en fonction de ses opinions politiques ou religieuses, peut important que les éléments de l’infraction soient réunis au pénal, ou que les conditions de la loi soient remplies au civil.
C’est laisser la porte ouverte à tous les communautarismes, et au choix de son juge.
Ce raisonnement me paraît extrêmement dangereux.

4. Le mercredi 22 juillet 2009 à 17:36 par Sofienne

@Paxatagore (2)

Merci beaucoup Paxatagore. La dimension “a vie” m’avait échappé. Elle a effectivement une importance, car les gouvernements se succèdent à un rythme différent de celui des juges. Et la précision que tu apportes à propos de l’Impeachment est importante également.

Le gouvernement ne choissant pas TOUS les juges en exercice durant sa durée de vie mais seulement “tous les nouveaux”, mon commentaire n’a plus lieu d’être : l’indépendance de la justice n’est pas compromis puisque chaque gouvernement hérite de tous les juges déjà en place et qu’il n’a pas choisi.

Tout est clair à présent, merci encore :)

5. Le mercredi 22 juillet 2009 à 17:40 par courbet

J’aime bien l’idée que s’organise autour de la désignation d’un magistrat un débat publique, se rapprochant de ce qu’on peut voir pour une élection d’homme ou de femme politique. Cela dit, cela doit avoir nécessairement les mêmes avantages et inconvénients et le risque de dérive à la vouloir tout connaitre de la vie privée d’un candidat fait partie des inconvénients.

Là où je n’ai pas bien saisi, c’est sur le choix du juge pour un procès. En effet, suivant la couleur politique du président et du sénat américains, des juges de différents “présupposés” sont nommés. Mais par la suite, qui choisi quel sera votre juge ou vos juges, si vous êtes justiciable aux Etats-unis ? D’autant plus s’il n’y a pas de controle a posteriori de l’activité du magistrat désigné à vie…

6. Le mercredi 22 juillet 2009 à 17:41 par SF

Mais vous, Maître, “vieil” avocat du Bareau de Paris, vous connaissez les juges je supppose, et donc vous savez à quelle sauce vous et votre client allez être mangé. N’est-ce pas suffisant?

7. Le mercredi 22 juillet 2009 à 17:57 par DM

Il y a une autre différence entre ce cas et le cas français: un juge de la Cour suprême des États-Unis a une importance sans commune mesure avec un juge français, quand bien même ce serait le premier président de la Cour de cassation.

La Cour suprême ne comprend que 9 juges, donc chacun est important (la Cassation ou le Conseil d’État ont bien plus de membres).

Elle peut annuler pour inconstitutionnalité des lois votées par le Congrès (impossible en France). Aux États-Unis, les tribunaux sont créateurs de droit (si la Cour suprême décide d’un point de droit fédéral, tous les tribunaux des États-Unis doivent se conformer), alors que le Code civil interdit aux tribunaux français de se prononcer hors du cas d’espèce (même si, en pratique, il y a la jurisprudence).

De fait, la Cour suprême a parfois dû appuyer des évolutions sociétales — par exemple la légalisation de l’avortement ou la fin de la prohibition légale de l’homosexualité et actes sexuels « contre nature » (encore récemment, certains états fédérés conservaient de telles lois, même si en pratique depuis plusieurs décennies elles n’étaient pas appliquées, ou seulement comme adjuvant dans des poursuites pour d’autres infractions).

C’est pour cela que l’on interroge les candidats sur leurs croyances sociétales, sur divers sujets sensibles et clivés politiquement (avortement, politiques raciales, contrôle des armes à feu).

8. Le mercredi 22 juillet 2009 à 18:00 par DM

@Courbet: Si vous êtes poursuivi aux États-Unis, vous ne le serez probablement pas devant un tribunal fédéral, qui seuls sont concernés par ce processus de nomination. La grande majorité des procès le sont devant des tribunaux des états fédérés.

En ce qui concerne les juges fédéraux, les seuls qui attirent autant l’attention sont les 9 juges de la Cour suprême des États-Unis, pour les raisons que j’ai explicitées dans mon message précédent.

La Cour suprême juge toujours collectivement, à ma connaissance. Il n’y a donc pas de choix du juge entre les 9 membres (à part celui du juge rapporteur).

9. Le mercredi 22 juillet 2009 à 18:19 par villiv

en tout cas, chez nous, en France
même lorsque le juge a décidé
et même si l’on a pas deviné à l’avance ce qu’il va juger
on sait qu’il se peut que la décision ne soit pas exécutée :



cf la news du jour : Pénal -22/07/2009
82 153 peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution
source : cliquez là

10. Le mercredi 22 juillet 2009 à 19:00 par Sofienne

@Paxatagore (2)(4)

Cher Paxatagore,

Je vous ai tutoyé par accident en (4). C’est un maheureux réflexe-internet mais qui ne reflète pas mon intention en l’occurence ; j’ai cliqué trop vite sur “envoyer”.

11. Le mercredi 22 juillet 2009 à 19:21 par Paxatagore

@Gascogne : ton raisonnement est un peu simpliste. Il y a toute une série de domaines où le juge a légalement le droit de se décider assez souverainement alors que tu prends précisément des exemples où il est contraint par la loi. Quand le juge détermine une peine (et même si notre liberté diminue en ce moment), il est souverain. Ca me paraît intéressant de savoir, quand on le nomme, s'il est plutôt répressif et à l'égard de quelle catégorie de délinquant. Pour d'autres questions, nous avons aussi une marge d'interprétation (pensons à l'arrêt Perruche par exemple : la doctrine s'est disputée pour savoir s'il était conforme au droit ou pas. Indiscutablement, ses auteurs ont eu un choix à faire). On peut difficilement nier que le juge a un pouvoir d'interprétation - même si, un commentaire le soulignait indirectement, il ne faut pas fantasmer là dessus et qu'on n'a pas non plus l'occasion de "faire jurisprudence" tous les quatre matins.

Je ne dis pas que les juges se laissent emporter par leurs sentiments, je dis juste qu'ils réfléchissent en fonction d'un certain nombre d'éléments, qui tiennent aussi à leur conviction. Il faut noter du reste que c'est souvent des convictions sur le droit qui sont en jeu et pas forcément des convictions religieuses ou politiques. Cela n'a rien à voir avec le communautarisme (à ma connaissance, il n'y a pas une communauté des originalistes !) et ne permet absolument pas de choisir son juge pour une affaire donnée.

12. Le mercredi 22 juillet 2009 à 19:22 par Scif

Voui, mais c’est oublier que les opinions d’un juge évoluent en fonction des saisons, voire des jours, selon qu’il est ou non de bonne humeur : c’est la fameuse “théorie du petit-déjeuner”, bien connue par la doctrine anglo-saxonne. Le législateur devra-t’il en venir à mettre son nez dans le café au lait ?

Blague à part, sur le fond, je ne suis pas d’accord sur deux points : sur l’interprétation “culturaliste” que vous faites de la différence entre les Etats-Unis et la France sur ce point. Mais cette différence n’est pas culturelle (en France, on est pas idiots au point de ne pas savoir que les juges ont leurs propres opinions et qu’elles influent sur la jurisprudence), elle est systémique. Et sur le fait qu’il faille recourir à une telle procédure pour les juges “ordinaires” (judiciaires et administratifs).
Un membre de la Cour suprême se trouve investi de pouvoirs extrêmement importants pour prendre des décisions sur une poignée de sujets politiques majeurs (avortement, peine de mort, questions raciales) pour des décennies, et le législateur américain ne peut y dire mais, parce qu’il est lié constitutionnellement - Constitution très difficile à modifier.
Qu’une juridiction française en fasse de même ! Le législateur sera un peu interloqué mais sans façon, il prendra une loi pour contrecarrer la jurisprudence trop audacieuse. Pas la peine pour lui de sonder les consciences et les âmes, il sera toujours temps de corriger le tir après coup.

Par contre, pour les croû… membres du Conseil constitutionnel, ce serait cool.

Paxatagore : vous avez bien saisi ce que je voulais dire. Indiscutablement, il serait impossible, de toute façon, de faire une audition approfondie de TOUS les juges !

13. Le mercredi 22 juillet 2009 à 20:24 par greg971

je n’y connais rien mais le fait qu’un juge soit investi à vie lui confère une sorte d’indépendance forte puisque quelle que soit sa décision il ne sera pas professionnellement inquiété.
Cela veut il dire qu’en france un juge peut être intimidé devant une décision socialement ou politiquement houleuse?

14. Le mercredi 22 juillet 2009 à 20:28 par Gascogne

A simpliste, simpliste et demi (on peut sans problème continuer à se balancer ce genre de gentillesse à la tête, j’ai cru comprendre que nous ne faisions quasiment plus partie du même corps). Le juge n’est JAMAIS contraint par le loi, et c’est bien pour cela que les voies de recours existent. Je connais, tout comme toi, des magistrats légalistes qui prononceront des décisions contraires à leurs convictions intimes. J’en connais tout autant certains qui tordront la loi pour faire passer leurs convictions politiques, particulièrement chez certains magistrats syndiqués. Tout ce que je voulais dire, c’est que ramener de manière excessive le raisonnement qui peut se concevoir pour des magistrats d’une cour suprême qui ont des pouvoirs bien plus importants que le vulgus magistrum français, cela revient à ouvrir la boîte de Pandorre sur la possibilité de mettre en place un “contrôle des esprits”. Et bien des politiques seraient ravis de cela. Maintenant, si tu penses devoir livrer à la communauté tes pensées les plus intimes, libre à toi. Le jour où cela nous sera imposé, sans doute pas si lointain, je quitterai définitivement la magistrature, qui n’aura plus de magistral que le nom.

Paxatagore : tout doux, ami parquetier ! Comment discuter si on s'invective ? Qui parle de pensées intimes ? Avant de me nommer juge à la cour suprême, est-ce aberrant qu'on m'interroge sur ce que je pense, par exemple, de la jurisprudence sur la faute contractuelle susceptible d'être une faute délictuelle ? Si je fais d'avantage confiance à la parole d'un policier qu'à celle d'un présumé innocent déjà condamné ? Ca ne m'amuserait pas forcément, c'est sur, mais il me semble que la société a aussi le droit de choisir ses juges en toute connaissance de cause !

15. Le mercredi 22 juillet 2009 à 21:27 par Manny

Merci pour ce billet enrichissant. Je n’avais pas vraiment compris jusqu’ici l’intérêt des auditions dans le cas de Mme Sottomayor, pensant naïvement qu’il s’agissait simplement d’une procédure de façade. Je ne pensais pas que des candidats pouvaient purement et simplement être refusés, vu que la décision venait “d’en haut”…

16. Le mercredi 22 juillet 2009 à 22:50 par Terence

Peut-être devrait-on instaurer un système similaire à celui des Américains ? Dites-vous.

Cher Pata (vous permettez que je vous appelle Pata ?).

La haine de soi est mauvaise conseillère, et le système français a ses propres cohérences et incohérences ; s’en remettre à un autre système c’est là s’en remettre à ces cohérences tout à fait valables de l’autre côté l’Atlantique mais bien peu de ce côté qui est le nôtre.

Résumons la présente situation : en important ces solutions qui ne sont qu’une longue maturation d’une histoire judiciaire adossée à une culture juridique (ou l’inverse même) tout aussi longue, et qui n’est pas la nôtre, vous cumulerez sur la tête du pauvre justiciable français ce qui ne peut fonctionner que là-bas et ce qui ne fonctionne pas ici.

CQFD

Ne me remerciez pas Pata ; et les romains ont-ils jamais remercié l’Oracle ? (En revanche, une offrande, un sacrifice…je ne dis pas non…)

Ps : pour toute autre question de nature juridique ou non juridique, je consulte au tarif horaire de 850 € HT de l’heure. Je propose également des abonnements pour les confrères. A bon entendeur…

17. Le jeudi 23 juillet 2009 à 00:22 par Rizgar Amin

Houlà ! C’est moi qui fatigue ou quoi ?

Il me semble que, dans notre système juridique à nous, le justiciable est surtout en droit de trouver lorsqu’il a besoin de s’adresser à lui un juge non pas plein de “préjugés”, non pas plus “neutre” (c’est quoi “neutre” pour un juge, Suisse ?), mais certainement “IMPARTIAL” comme l’exige un certain article 6 traitant du procès équitable, inclus dans une certaine convention traitant des droits de l’Homme :
http://conventions.coe.int/Treaty/f…

18. Le jeudi 23 juillet 2009 à 00:37 par salah

@ Paxatagore

‎1- «En France…à aucun moment le pouvoir législatif n’intervient dans la sélection des juges »

Le Sénat aux US lorsqu’il auditionne le candidat au poste de juge n’est pas dans son rôle de ‎pouvoir législatif .Il joue un rôle d’appareil de l’exécutif puisqu’il n’est pas appelé à légiférer.‎

2. En France ,je vois mal des juges formateurs former des nouveaux juges de façon différente à ‎leur formation. Sachant que tout modèle est reproducteur de sa propre image à l’infini (histoire de petit pois) ,‎

S’il faut trouver au moins un avantage au modèle américain même si on doit accepter que le juge ‎ne doit rien laisser transparaître de sa personne privé ,bon gré malgré son jugement , il est que ce même ‎juge s’en est expliqué ailleurs ,sur ses convictions et sur sa vie .Il s’en est expliqué ailleurs que chez ses semblables. ‎Ce n’est pas rien ! ‎

19. Le jeudi 23 juillet 2009 à 01:00 par didier specq

@Gascogne

L’approche de Paxatagore est certes originale. Y répondre en expliquant que c’est la porte ouverte à tous les communautarismes est un peu fastoch. D’autant que c’est un terme piégé. Un peu comme comme les mots “corporatisme”, “poujadisme”, “populisme”, etc.

Je connais des quartiers entiers des villes de l’agglomération lilloise où ne vivent jamais les magistrats, les avocats, les journalistes… N’est-ce pas une forme de communautarisme à l’envers de juger les gens qui sortent de ces quartiers avec des critères qui, parfois, peuvent être très éloignés des conditions de vie concrètes de ces quartiers?

Prenons par exemple un quartier d’Hem, bien connu des magistrats locaux, qui se trouve autour de l’avenue Laennec. Dans ce quartier, on y deale en gros du cannabis depuis une trentaine d’années. L’avenue Laennec à Hem, il y a 30 ans de cela, était déjà surnommé le boulevard du shit. Tous les magistrats qui sont restés en poste à Lille connaissent ce secteur.

Prenons un jeune homme de ce quartier. Il a forcément été tenté par le trafic de stups (ses parents aussi). Beaucoup y succombent, certains sont condamnés.

Histoire.

Au hasard d’une perquisition, on trouve des pains de résine de cannabis chez un de ces jeunes Hémois déjà condamnés. Mettons quatre ou cinq kilos. Bref, une bonne quantité. Mais, à Lille, on est blasé, on fait passer ça en comparution immédiate sans grosses investigations, voire sans investigations du tout.

Caricaturons à peine.

Approche possible des gens qui connaissent le quartier: ce prévenu en CI, c’est un paumé qui, en échange de quelques centaines d’euros, est obligé de “tenir” ce stock pour un gros caïd qui bien sûr a les moyens de ne pas prendre de risque. Le prévenu n’est qu’un exploité, il mérite donc (par exemple) quatre mois de prison ferme assortis de quatre mois de sursis avec mise à l’épreuve.

Approche possible des magistrats dont la communauté ne réside jamais (je les comprends!) aux abords de l’avenue Laennec: ce gars-là se fout de nous, ne donne pas le nom du commanditaire en prétendant qu’il a peur des représailles, il a déjà été condamné pour stups, il mérite donc une peine plancher de quatre ans ferme.

Quatre ans ferme ou quatre mois ferme, ça fait tout de même une différence. Et, dans les deux cas, la loi est appliquée. A partir du même dossier. C’est un problème, non?

.

20. Le jeudi 23 juillet 2009 à 01:06 par didier specq

@Terence

Je n’ai pas dit que les viols devaient être jugés par des violeurs. J’ai simplement que, bon, il fallait voir un peu comme ça se passe et que des jurés (attention! jamais condamnés!) venus d’Hem, ça me plairait bien de temps en temps en correctionnelle…

21. Le jeudi 23 juillet 2009 à 02:08 par PrometheeFeu

Je pense qu’il faut aussi réfléchir au fait que les législateurs écrivent les lois pour les juges. En pratique, c’est les juges qui liront les textes de loi et les interpréterons comme ils veulent. En connaissant leur clientèle, les législateurs peuvent adapter leur écriture. En choisissant leur clientèle, les législateurs peuvent s’assurer qu’on lira bien ce qu’ils écrivent.

Paxatagore : malheureusement, ça fait longtemps que le législateur a cessé d'écrire la loi pour les juges. Il écrit la loi pour l'opinion publique (du moins, en France).

22. Le jeudi 23 juillet 2009 à 03:13 par Uncle Scrooge

A noter qu’en Suisse voisine les principaux juges (les 37 juges de la Cour Suprême (tout domaine) et les membres des Hautes Cours des états) sont nommés par les parlements respectifs -avec audition- pour 6 ans. Ce qui permet d’éviter la toute puissance de l’exécutif et qui donne une onction démocratique au Juge (particulièrement important si le pays connaît le contrôle préjudiciel constitutionnel général). Tout en évitant la monstruosité que constitue les campagnes politiques judiciaires. Cela semble être un compromis satisfaisant puisqu’aucun juge n’a été révoqué depuis 135 ans -.-

23. Le jeudi 23 juillet 2009 à 07:37 par marie

Bonjour, je trouve intéressant de rapprocher ce système d’audition des futurs juges à la cour suprème de ce qui existe pour choisirs les jurés aux Etats Unis.

Pour avoir eu la chance d’y assister à un procès criminel, j’ai pu constater que les avocats (de la défense comme de l’accusation) ont le droit de poser des questions aux jurés pour tenter de sonder leurs préjugés, avant que le jury soit définitivement constitué…

Genre que pensez vous des alcooliques  ? maladie ou non ? comprenez vous que l’on puisse porter une arme dans des quartiers dangereux ?… bon, les questions étaient certainement plus subtiles, mais c’était y’a dix ans, je ne me souviens plus de tout !

Ensuite les avocats adressaient une petite liste au président avec les numéros des jurés qu’ils souhaitaient voir récuser et on tirait ensuite au sort les jurés suivants, nouvelles questions, récusations, jusqu’à ce qu’on arrive à 12.

Ce système m’avait beaucoup impressionné par rapport au système français où on ne connait des jurés que leur nom, âge et profession. Ensuite l’avocat n’a que quelques secondes pour se prononcer “récusé” ou pas, à la tête de la personne, au pifomètre comme le conseillait dupont moretti lui-même.

Je me souviens en particulier de cette jurée interrogée sur l’insécurité qui s’est mise à dire qu’à la télévision, on ne voyait que des noirs commettre des vols ou des crimes et que comme par hasard, c’était un noir qui était dans le box… Inutile de vous dire qu’elle a été récusée tout de suite ! En France, cela n’aurait pas été possible… Nous n’avons que l’indice du foulard hermes, et encore…

Ne pourrait-on pas introduire un système équivalent en France ? Juste sur le choix du jury ?

24. Le jeudi 23 juillet 2009 à 08:47 par didier specq

@Marie

Le système français des jurés ne concerne, comme vous le savez, que les crimes. Ce sont les affaires les plus graves, en tous cas les plus dures sur le plan de la vie, l’amour, la mort.

Je dis ça parce que les affaires politico-financières par exemple peuvent être très importantes aussi et elles échappent aux jurés.

Je ne suis pas très choqué donc que ces jurés soient choisis purement par tirage au sort (pas tout à fait quand même car, concrètement, ils peuvent refuser, ils sont inscrits sur les listes électorales, ils peuvent être récusés “au pif” comme vous le décrivez, etc). On dit toujours que la justice marche mal mais je note que les assises rendent des arrêts très peu contestés alors que ce sont des affaires souvent très douloureuses et contestées au départ.

En revanche, si le système des jurés se généralisait à l’ensemble de la correctionnelle (les délits donc également) afin de donner une légitimité supplémentaire aux juges, il faudrait sans doute voir du côté des USA. J’ai l’impression que des jurés tirés au sort pour trois ans, volontaires, formés quelques semaines, payés de la même façon quand dans leur vie civile normale, défrayés de leurs transports et restos le midi (etc) permettrait de constituer un corps d’assesseurs au président siégeant en correctionnelle. Un président donc (la science juridique) encadré par deux assesseurs populaires (le bon sens). Ces derniers seraient donc majoritaires et le président devrait les convaincre. Après tout, les magistrats sont également minoritaires aux assises et doivent donc convaincre leurs jurés.

Les juges administratifs, quand le corps des jurés est constitué par tirage au sort (ils peuvent refuser bien sûr), devront veiller à ce que les grands équilibres sociaux soient préservés: les fonctionnaires (toutés catégories confondues qui représentent un tiers du salariat français) et les retraités, plus disponibles, ne doivent pas, par exemple, dépasser les proportions de la vie courante.

Bref, vos remarques me semblent tout à fait pertinentes pour des jurés en correctionnelle mais peut-être moins pour le système des jurés aux assises qui fonctionne bien.

J’ai calculé qu’à Lille (un TGI qui gère 1,2 millions de justiciables), il faudrait au maximum une centaine de jurés. C’est réalisable, non?

25. Le jeudi 23 juillet 2009 à 08:56 par Paxatagore

@Didier Specq : sur une simple question de mise en oeuvre, je me demande si un tel fonctionnement, relativement lourd tout de même pour le “juré”, n’induirait pas un biais sociologique important (que précisément, vous avez bien vu). Il faut être fonctionnaire, retraité, chômeur, ou avoir un emploi dans une grande entreprise pour avoir le temps de faire ce que vous décrivez. Les contraintes seraient très importantes et on voit mal que cela passe par le tirage au sort.

Sur le principe, le “bon sens” me laisse parfois un peu perplexe. 9 (ou 12) jurés s’équilibrent pas mal, en règle générale, et forment déjà une “masse” que les magistrats professionnels ont plus de mal à convaincre. A 2, ce serait très différent (je parle d’expérience, en comparant par exemple avec les juridictions échevinales, comme le tribunal pour enfant ou le TASS).

26. Le jeudi 23 juillet 2009 à 09:07 par Laurent

Bonjour maître,

Cela fait plusieurs billets (au moins depuis que je vous lis) que vous nous parlez des US, avec des informations et des parallèles intéressants avec la France.

D’où vous vient cet intérêt ? Je suis non juriste, pouvez vous expliquer en quoi ces éléments de “culture générale” sont utiles à votre métier en France ? Ou bien est-ce en vue d’assister des clients américains en France, ou l’inverse ? ou quoi (oui, je suis curieux….) ??

Laurent

27. Le jeudi 23 juillet 2009 à 10:24 par Simplet

@ Prométhée Feu 21”Je pense qu’il faut aussi réfléchir au fait que les législateurs écrivent les lois pour les juges”.

Comme simple mékeskidi, je trouve cette conception affolante!
Naïvement je pense que les lois devraient être écrites pour les citoyens qui sont censés les respecter, et réputés ne pas les ignorer . Question de prévisibilité.
Je veux faire ceci ou cela: En bon citoyen,  il devrait être simple pour moi de consulter un texte intelligible et clair pour savoir si ce que je projette est ou non autorisé. En mauvais citoyen, je devrais pouvoir calculer le bénéfice-risque de la transgression.
Ce que vous dites en fait pour le péquin lambda, me semble t-il, c'est: agissez comme vous pensez pouvoir le faire au feeling, et des professionnels décideront après coup, sur des critères que vous ne comprendrez pas, ou qui ne vous seront pas intelligibles, ou qui seront particuliers à leur milieu, si vous avez ou non violé la loi selon l'interprétation qu'ils en font, et selon ces mêmes critères, décideront de vous condamner à une peine dont les modalités sont plus qu'élastiques.
Bref "remettez votre vie entre nos mains, nous saurons quoi en faire."
Plutôt inquiétant je trouve.

28. Le jeudi 23 juillet 2009 à 11:15 par chris

@ Didier Specq : “4 ans de prison ferme ou 4 mois (…) c’est un problème ? “
Oui, au XXI° siècle informatisé, internétisé, c’est un énorme problème. Les mots clés ça existe depuis belle lurette. Seulement voilà, les fossiles sont partout.

29. Le jeudi 23 juillet 2009 à 13:07 par Tom75

@21 PrometheeFeu Si la loi était écrite pour les juges, déjà il y en aurait moins, et elle serait mieux écrite. L’élégance juridique (ou la lisibilité, car ça revient au même) s’est beaucoup perdue en France, y compris dans les contrats.

@7 DM Tout à fait d’accord. Il faut y ajouter que la Cour suprême admet les opinions dissidentes : le ou les juges qui ne sont pas d’accord avec la majorité expriment publiquement leur position. Il me semble que ces opinions ont une certaine influence.

30. Le jeudi 23 juillet 2009 à 14:15 par la guiche

“une bonne par­tie des pré­sup­po­sés de cha­que juge lui vien­nent de son appar­te­nance à la magis­tra­ture : la for­ma­tion et la coha­bi­ta­tion avec les autres col­lè­gues amè­nent les juges à par­ta­ger un cer­tain nom­bre de réflexes com­muns”(dans une cer­taine mesure évi­dem­ment)”

Dois-je rappeler les chamailleries en commentaires 3, 11, 14 ?

Bonne ambiance chez les magistrats…

Sur le fond, je suis vraiment perplexe sur votre proposition de passer au grill les Magistrats avant qu’ils n’entrent en fonction pour sonder leur for intérieur.

Prenons un instant le parallèle avec un procès d’assises.

La question d’une intime conviction n’est posée qu’aux jurés d’assises.

L’intime conviction du Président, de ses Assesseurs ou de l’Avocat Général, en revanche, n’interesse pas la Justice.

De même, les “présupposés” dont vous parlez sont recherchés avec minutie, au stade de la récusation, par la défense et l’accusation, toujours à propos des seuls mêmes jurés.

Doit-on tirer au sort les Magistrats qui siègeront et permettre aux parties de virer ceux qu’ils estiment trop représsifs, trop ceci ou trop cela ?

Chacun sa fonction.

Je ne crois pas que la votre doive dépendre de régles d’accès à la magistrature dictées par des critères personnels autres que vos seules compétences.

Je suis donc pas convaincu, loin s’en faut, par votre parallèle avec la nomination des juges fédéraux, qui, d’ailleurs, comme vous le rappelez justement, n’ont pas les mêmes fonctions que les Magistrats français.

La différence n’est pas mince, puisque les juges font la Loi aux USA alors qu’en France, vous l’interprétez.

31. Le jeudi 23 juillet 2009 à 14:57 par zof

Dans un pays de “common law”, il est finalement relativement logique que le pouvoir législatif choisisse les juges non? Sinon ce n’est plus tout à fait un pouvoir législatif…

32. Le jeudi 23 juillet 2009 à 16:31 par DM

@Didier Specq:

Pour information, aux États-Unis (du moins en Californie, état que je connais assez bien), de nombreux citoyens veulent échapper au “jury duty”, parce que:

  • C’est très mal indemnisé et ils y perdent de l’argent.
  • C’est une perte de temps.
  • On les fait intervenir sur des problèmes dont ils n’ont rien à faire.

Certains vont jusqu’à ne pas s’inscrire sur les listes électorales pour éviter le “jury duty”.

Il y a même des sites de conseils pour échapper au “jury duty”:
http://www.askmen.com/money/how_to_…

Autrement dit, si vous voulez mettre en place un tel système, vous avez intérêt à ce que les indemnités de présence soient suffisantes et versées très rapidement. Or, il semble que les tribunaux français, faute de moyens, n’arrivent pas à payer leurs experts à temps…

33. Le jeudi 23 juillet 2009 à 17:10 par paxatagore

@Simplet (27) : votre conception date un peu… On pensait ainsi au XVIIIeme siècle. Aujourd’hui, malheureusement, le droit est trop complexe de toutes façons pour être directement intelligible par tous. Sa complexité et sa technicité (qui sont à la mesure de la complexité de la société et de ses attentes) rendent nécessaire une professionnalisation du droit. De ce point de vue, il serait souhaitable qu’à défaut d’être lisible par tous les citoyens, les textes de loi soient lisibles facilement au moins pour les juristes. Ce n’est pas toujours le cas, malheureusement.

@LaGuiche(30) : je ne comprends pas bien votre argumentation. La question de l’intime conviction vaut pour tous ceux qui participent au délibéré, magistrats et jurés confondus.

Ma proposition du reste - qui n’était pas bien sérieuse, sauf peut être pour les membres du conseil constitutionnel ou certains membres de la cour de cassation ou du conseil d’Etat - ne vise pas à “sonder les consciences” mais d’avantage à chercher les conceptions juridiques des juges. Les questions ne devraient pas être du genre : croyez vous en Dieu ? Aimez vous les animaux ? Mais plutôt : à votre avis, est-ce que la liberté d’expression (de Gala ou Voici) doit primer sur la protection de la vie privée (de Carla Bruni) ? est-ce qu’il ne faudrait pas réformer l’article 114 du code de procédure pénale ? A vrai dire, les magistrats seraient sans doute plus préparés à l’exercice que les politiques !

34. Le jeudi 23 juillet 2009 à 17:42 par DM

@Simplet, Paxatagore:

La lecture (pas in extenso…) du code civil et d’autres codes m’a fait constater le fait suivant: les articles les plus anciens proposent en général des définitions courtes, tenant en une ou quelques phrases.

Les articles récemment remaniés sont verbeux. Certains contiennent des inventaires à la Prévert (*), des renvois sur d’autres articles, des exceptions.

Bref, la loi devient vraiment compliquée. Si, comme le suggère Paxatagore, une certaine complexité de la loi est inévitable dans les sociétés modernes, il faudrait éviter qu’elle ne soit grevée de complications superflues.

C’est dans la complication et dans les changements fréquents et mal pensés que se cachent les sources d’erreur, d’aberrations, etc.

(Le problème n’est pas propre à la loi, c’est un problème bien connu pour la rédaction de documentations techniques ou à la programmation informatique : plus c’est touffu et avec des renvois et des exceptions, plus on change les choses fréquemment, moins on comprend et plus il y a d’erreurs.)

(*) Lisez par exemple la liste des circonstances qui font passer le fait de mettre une beigne à quelqu’un d’une contravention de 4ème classe (une amende modérée) à un délit passible de 3 ans de prison et 45000€ d’amende, et demandez-vous si tout cela est bien raisonnable.

35. Le jeudi 23 juillet 2009 à 17:43 par Tom75

@paxatagore (33) Le concept de “fraude à la loi” tendrait à dire que même le législateur ne se retrouve pas toujours dans ses propres textes. Un fiscaliste se demandait d’ailleurs après l’arrêt Janfin s’il ne fallait pas se mettre au “chamanisme fiscal” pour interroger l’esprit du législateur.

Bref, ce ne serait pas plus mal de placarder en très gros les vers de Boileau dans les deux chambres, parce que la conception décrite par Simplet reste quand même un idéal. Le Code napoléonien était parfaitement lisible et jusque relativement récemment, les contrats tenaient très bien en quelques pages.

36. Le jeudi 23 juillet 2009 à 19:14 par PrometheeFeu

@paxatagore: Je suis d’accords avec vous. Le législateur ne prend pas le juge en compte. Ce que je disait est qu’il le devrait. En fin de compte, quel que soit la lecture faite par l’opinion publique, les avocats, les profs de droit, les citoyens, les procs, les conseillers etc, c’est la lecture faite par le juge qui sera appliquée. Si on considère que la loi est prioritairement la règle qui contraint l’usage de la Force de l’État, le juge qui l’interprète et qui ordonne son application est le lecteur le plus important et il serait donc bon que le législateur s’adapte a son lecteur. Par contre, si le but premier de la loi est de convaincre vos électeurs de voter pour vous, les choses sont différentes…

37. Le vendredi 24 juillet 2009 à 01:53 par didier specq

@paxatagore
@DM

Je réponds à quelques objections sur mon “système”.

D’abord sur le “bon sens” des jurés. Evidemment, j’ironise un peu et je me doute bien que, dans la tête d’un magistrat par exemple, le bons sens peut cohabiter avec la science juridique. Ce qui m’importe c’est que la représentation de tous soit assurée et que la légitimité des décisions des juges (qui seraient à la fois sortis de l’ENM et du peuple tiré au sort) soit moins contestée. N’oubliez pas que c’est un procès intenté sans arrêt aux magistrats: “vous n’êtes pas légitimes” leur dit-on en substance. On ne peut pas dire ça aux jurés.

Pour ne pas avoir une proportion anormale de fonctionnaires, de retraités et de chômeurs, il suffit de tirer au sort (sous le contrôle des juges administratifs) de plus nombreux jurés issus du secteur privé et des PME jusqu’au moment où la répartition correcte est possible.

C’est lourd? Bof, 100 jurés pour 1 million d’habitants, ça vous semble si difficile?

Un magistrat face à deux jurés en correctionnelle aura plus de poids que trois magistrats face à douze jurés comme aux assises. Certes. Mais mes jurés de correctionnelle sont là pour trois ans, jugent de très nombreuses affaires très différentes avec des présidents très différents. Ils finissent donc par accumuler collectivement un poids, une masse, une expérience… Ne serait-ce que parce qu’ils sont assez nombreux et qu’ils bouffent, par exemple, dans la même cafétaria (comme les magistrats).

C’est cher? Pas tellement puisque ces jurés sont payés sur la base de ce qu’ils gagnaient avant, plus les frais. Ils ne sont pas embauchés définitivement. Selon les besoins (afflux d’un certain contentieux dans un certain tribunal) ils sont d’ailleurs à géométrie variable. Si vous créez une chambre de plus, vous n’avez pas besoin de trois magistrats mais d’un seul. C’est économique et ça devrait plaire à droite.

J’ajoute que ça fait démocratie participative et que ça devrait plaire à la gauche tendance Charentes-Poitou.

38. Le vendredi 24 juillet 2009 à 22:49 par Zepolak

Mais la séparation des pouvoirs n’est-elle pas une necessité absolue ?
Je la vois assez mise à mal par un tel système, en fait…

39. Le samedi 25 juillet 2009 à 09:37 par DM

@Didier Specq: Encore une fois, votre système, pour fonctionner, suppose que l’administration française soit capable de verser à temps les indemnités de présence et ait les budgets pour ce faire.

Actuellement, les tribunaux payent en retard leurs experts (cf Zythom), et les universités payent souvent leurs vacataires avec des mois et des mois de retard.

Bref, tant qu’on n’aura pas plus de marge de manœuvre sur le budget de la justice, et des agents comptables qui auront pour obligation de payer les vacations dans un délai d’un mois, c’est inapplicable. :-)

40. Le samedi 25 juillet 2009 à 11:15 par Véronique

La pré­vi­si­bi­lité d’une déci­sion de jus­tice est un élé­ment essen­tiel dans un Etat de droit : cha­cun doit pou­voir rai­son­na­ble­ment pou­voir con­naî­tre l’éten­due de ses droits et de ses obli­ga­tions.

Très honnêtement, j’ai beaucoup de mal avec votre phrase.

Par exemple, dans un procès, l’imprévisibilité de la décision de justice n’est-elle pas ce qui garantit une bonne administration de la justice, à savoir que le contradictoire est respecté, et l’idée que l’audience est précisément là pour permettre de débattre du dossier ?

Des juges prévisibles n’est-ce pas ce qui explose d’entrée toute idée de justice ?

41. Le samedi 25 juillet 2009 à 13:48 par DM

@Véronique: Je pense qu’il voulait dire que les points de pur droit devraient être prévisibles, que chacun devrait pouvoir savoir d’avance ce qui est licite ou illicite, au lieu que cela dépende d’une fantaisie arbitraire du juge.

C’est la raison pour laquelle, par exemple, en droit fiscal on a introduit la procédure du rescrit: l’administration s’engage à l’avance sur son interprétation du droit.

Cela rejoint l’interdiction de création de lois pénales ex post facto : une personne doit pouvoir savoir avant de commettre un acte si celui-ci sera licite, et, dans le cas contraire, quelle pénalité maximale elle encourt.

42. Le samedi 25 juillet 2009 à 14:32 par Véronique

@ DM

Je ne pense qu’il s’agisse dans le billet que de points de pur droit. Même très peu en fait.

Se référant au modèle américain, il s’agit d’évaluer le bon juge:

C’est tout le sel de ces audi­tions devant le Sénat : son­der le can­di­dat, sa pro­fon­deur, sa soli­dité, pour être à peu près cer­tain des déci­sions qu’il va ren­dre.

43. Le samedi 25 juillet 2009 à 21:04 par Malo

Juste pour rajouter mon petit grin de sel :

en Suisse, les magistrats et les juges sont élus par le Parlement.

Ce qui fait que lorsqu’on a un gouvernement de droite, on a aussi plus de juges à droite, et inévitablement….un rallongement des peines :/.

Pour être élu au Tribunal fédéral, il suffit d’avoir 18 ans, et de ne pas être interdit (quelqu’un mis sous tutelle). Mais en pratique, seuls les juristes expérimentés arrivent à ce poste. D’ailleurs, dernièrement, au niveau cantonal, un candidat au poste de juge a été recalé, car le parlement cantonal considérait qu’il n’avait pas assez d’expérience pratique.

Ce système a été mis en place dans l’idée de rapprocher la justice et le peuple, ne pas en faire deux mondes séparés. Maintenant, ça a ses avantages, et ses inconvénients.

44. Le dimanche 26 juillet 2009 à 01:58 par Uncle Scrooge

@Malo
Vous êtes un peu rude ! En principe les juges sont élus pour leurs compétences, pas pour leurs idées politiques. En tout cas c’est le cas des Juges fédéraux. L’appartenance politique est une façade et elle n’a pas d’influence sur la quotité de la peine puisque dans ce domaine c’est clairement l’expérience et l’intelligence qui font la différence. Notez qu’il y a surtout des juges de centre-droit ou de centre-gauche au TF, ceci expliquant certainement cela. Notez également que selon le principe consacré par tous les bons législateur, avoir un bon système dans un domaine est simple; Prenez ce que fait le droit américain (et non ceux des autres pays de common law not. Australie qui savent rester loin des dérive yankees grâce leur soit rendue), NE LE FAITES PAS. Prenez ce qu’à fait la monarchie la République française (et assimilé si lieu est: Italie notamment), éloignez-vous en. Là vous êtes bien parti. Dans un deuxième temps, rapprochez-vous si possible du droit allemand, autrichien et suédois tout en gardant un oeil sur Londres, Berlin et Tokyo et voila vous êtes certain d’avoir des règles un minimum efficaces et sensées. :) c’est la méthode à peu près utilisée par la Russie pour son nouveau Code Civil, ça devrait marcher pour l’indépendance judiciaire.

45. Le lundi 27 juillet 2009 à 23:43 par PEPITO

Cher collègue, vous êtes un aimable plaisantin…

46. Le mardi 28 juillet 2009 à 09:38 par DM

Je me demande si toutefois des questionnements aussi pointus et orientées politiquement que ceux pratiqués au Sénat américain, qui finissent en général par servir à classer les candidats en « liberal » vs « conservative », ne seraient pas illicites en France (arrêt Barel de 1954 sur la liberté d’opinion des fonctionnaires).

47. Le mardi 28 juillet 2009 à 09:40 par DM

@Uncle Scrooge: Les juges fédéraux aux USA sont nommés et non élus.

48. Le mardi 28 juillet 2009 à 15:24 par tschok

@ Pataxore,

Votre proposition n’a pas soulevé un grand enthousiasme, on dirait…

Les Américains ont une conception de la démocratie qui est plus évoluée que la nôtre.

Visiblement, nous ne sommes pas encore prêts. Mais ça viendra, petit à petit.

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