[Journée d'action des magistrats administratifs] Mais que veulent ces juges sans robe ?
Par Eolas le jeudi 4 juin 2009 à 00:53 :: Magistrats en colère :: Lien permanent
Par AD, Aide à la décision
Mais que veulent ces juges sans robe ?
Pour vous aider à comprendre les billets des magistrats, un petit lexique :
Aide à la décision (AD)
L’aide à la décision comporte les assistants de justice, certains fonctionnaires du greffe, des vacataires et stagiaire. Leur but est de décharger les magistrats d’une partie de leur contentieux.
Je suis un de ces «aide à la décision ». Je fais ce que les magistrats n’aiment pas faire, c'est-à-dire le contentieux de masse.
Qu’est ce que le contentieux de masse ? C’est un contentieux qui ne présente aucun intérêt pour les magistrats, sauf pour les stats.
Le contentieux de masse comprend, entre autres, le contentieux des APL (REP et plein contentieux), les permis de conduire, certains dossiers de pension (en particulier ce qui concerne les refus de bonification de pension pour enfants à charge) et les ordonnances de l’article R222-1 du code de justice administrative[1]
Certains dossiers d’étrangers sont également traités par les AD.
Pour donner un exemple concret : si vous être un conducteur contestant une décision d’annulation du permis de conduire ; ne vous faites pas d’illusion, votre dossier ne sera pas instruit par un magistrat. Un magistrat va relire le projet de jugement, le corriger plus ou moins (plutôt moins) et le signer, mais il sera instruit par un « aide à la décision ». (Pourquoi ? voir le mot "stats").
Conditions de travail
Les conditions de travail changent énormément d’un tribunal à un autre, voir d’une chambre à l’autre.
Les assistants de justice du TA de Paris ne travaillent pas dans les mêmes conditions que ceux d’un petit TA de Province. A Paris, ce sont des numéros parmi d’autre.
Pour ma part, je n’ai rien à redire : l’ambiance est très bonne dans la chambre et dans le tribunal.
Le principal problème reste la taille et la disposition des locaux. : Trop petit et mal organisés. On perd du temps à se promener dans le Tribunal et chercher les dossiers.
Greffe
Maillon indispensable et essentiel de la chaîne de jugement. C’est le véritable rempart entre l’extérieur et les magistrats (et aides à la décision).
Le greffe s’occupe de mettre le dossier en état d’être jugé. Il est également garant du respect du contradictoire.
Ce sont surtout des spécialistes de la procédure, des spécialistes qui examinent les requêtes sous toutes les coutures (pourquoi ? voir "stats").
J’en profite pour donner un conseil aux avocats et intervenants qui déposent des mémoires. Merci de bien respecter les consignes : établissez une liste de vos pièces jointes, numérotez-les, etc.
Mettez-vous les greffiers à dos (ça arrive à certains avocats) et vous risquez d’avoir des demandes de régularisation très souvent et de voir des dossiers atterrir sous la pile.
Informatique
En train de se mettre en place…
Les magistrats tapent tous leurs jugement eux même… Dans certains endroits, on développe l’accès à distance et le travail à domicile. Ces endroits sont encore très rares.
Dans les juridictions parisiennes, les requérants pour le contentieux fiscal peuvent saisir les juridictions par téléprocédure. (pourquoi ? voir "stats").
Stats
Vaste sujet… Les stats, c’est la raison d’être de tous.
Sortir un maximum de dossiers en un minimum de temps… Tenir les objectifs du projet de juridictions (sorte de contrat d’objectif pour la juridiction)…
Donc, la technique est simple : Travailler avec des aides à la décision, privilégier les ordonnances et les dossiers de JU (Juge Unique)
Il faut bien comprendre que le but des greffiers, aide à la décision et magistrat est d’amener le moins de dossiers possible à l’audience.
Une audience, c’est au minimum deux magistrats (un président et un rapporteur public) et un greffier. Le coût d’un jugement est donc supérieur à une ordonnance.
Une ordonnance est également traitée beaucoup plus rapidement qu’un jugement. On réduit donc le temps moyen de traitement d’un dossier.
Et travailler avec les AD peut être très rentables : On peut tourner à 100 dossiers par mois (dans les bons mois) et par aide à la décision.
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Pourquoi les magistrats font-il grève demain ?
Avant tout, je pense que le mouvement sera peu suivi (quoique si cinq magistrats font grève, ça fait un quart de grévistes sur le tribunal). Le contexte n’est pas le même que chez les p'tits pois d’en face : les magistrats administratifs sont moins exposés à la presse et aux critiques des politiques que les magistrats judicaires et il n’y a pas la question de la privation de liberté (sauf pour les RAF (reconduites à la Frontière) ou les référés liberté).
Le juge administratif est plutôt discret : ils n’ira pas manifester… Et même s’il le faisait, je ne pense pas que 15 personnes sans robes devant un bâtiment anonyme vont attirer la presse. De plus, les avocats ne seront pas solidaires : on les empêche de parler devant la juridiction administrative.
Les contraintes procédurales ne sont pas les mêmes non plus : la procédure est essentiellement écrite, les parties ne peuvent que produire de «brèves observations orales » à l’audience. D’ailleurs, il est indiqué sur les avis d’audience que la présence n’est pas obligatoire. Les audiences sont donc relativement courtes (on arrive à traiter 120 dossiers en une heure…). Il n’y pas de date limite pour lire les jugements[2].
La grève n’est pas une grève pour avoir plus de salaire… Ce n’est pas pour avoir moins de travail pour avoir le temps de glander.
Je sais que le slogan est « jugez vite, nous (le Conseil d'État) jugerons bien »… Mais les magistrats du STACAA ( service des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, prononcez « sta-ca-ha ») veulent juger bien… Donc, on emploie des AD pour pré-macher le travail.
La grève est là pour que chaque magistrat ait moins de dossier à sortir et plus de temps de traiter les correctement, pour que l’on consacre le temps nécessaire à chaque justiciable.
La grève est là pour qu’il y ait également plus de personnel dans les greffes et pour avoir le temps de mieux encadrer les aides à la décision.
Cela signifie qu’il faut soit avoir plus de personne, soit moins de matières à traiter, alors que l’inverse se produit : on réduit le nombre de magistrats et on augmente le nombre de contentieux (ex : le DALO, Droit Au Logement Opposable).
L’augmentation du nombre de dossiers devant les juridictions administratives dépend également des réformes annoncées dans d’autres administrations (confiscations des véhicules pour les conducteurs avec un permis annulé, déclaration d’impôts sans signature électronique, stats pour les arrestations d’étranger).
Pour résoudre le problème, le gouvernement créer des réformes : on remplace les invitations à quitter le territoire français (IQTF) et Arrêtés de reconduite à la frontière par voie postale par les Obligations de Quitter le Territoire… que viendra-t-il après ?
S’il fallait donner une revendication pour cette grève : avoir le temps de bien juger.
On pourrait créer un nouvel article dans le CJA, pour les magistrats administratifs.
Lorsqu'un nouveau conseiller arrive à son poste, le président donne lecture de l'instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans tous les bureaux de la juridictions :
« La loi ne demande pas compte aux juges administratifs des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une statistique; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes, dès l'affectation du dossier, dans le silence et le recueillement de leurs bureaux et de chercher, dans le respect de la cadence, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les moyens soulevés contre l'administration et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : " Pouvez-vous juger rapidement ?" »
Si jamais le Conseil envisageait de créer un groupe de travail pour adopter ce texte, je rappelle que je ne suis pas sur mon lieu de travail. Merci de transmettre les droits d'auteurs à Eolas qui transmettra...
Notes
[1] Ces ordonnances visent à statuer sur un dossier sans l'envoyer à l'audience, soit que le recours soit manifestement irrecevable soit qu'il soit manifestement infondé ce qui commence à poser problème : ces ordonnances excluent tout débat sur ce sujet.
[2] Les juridictions administratives statuent traditionnellement par un “ Il en sera délibéré ” sans plus de précision.
Commentaires
1. Le jeudi 4 juin 2009 à 10:30 par Ti
2. Le jeudi 4 juin 2009 à 16:49 par thugeek
3. Le jeudi 4 juin 2009 à 23:16 par AD
4. Le vendredi 5 juin 2009 à 00:04 par Mike
5. Le vendredi 5 juin 2009 à 01:46 par AD
6. Le vendredi 5 juin 2009 à 20:06 par Triskael