La protection des mineurs est-elle soluble dans la pédagogie ?
Par Dadouche le jeudi 30 avril 2009 à 18:00 :: Commensaux :: Lien permanent
Par Dadouche
A l'heure où s'ouvre le procès des accusés du meurtre d'Ilan Halimi, dont on peut s'attendre à ce qu'on nous abreuve dans les semaines qui viennent, c'est une question de procédure qui semble focaliser une partie de l'attention.
Les avocats du principal accusé mais surtout les parties civiles ont sollicité à cor et à cri que la Cour d'assises examine cette affaire publiquement, pour des motifs différents.
La presse rapportait ainsi les propos des avocats du chef de ce « gang »: « Cette publicité (des débats) protège les justiciables contre une justice secrète, échappant au contrôle public et constitue ainsi l'un des moyens de contribuer à préserver la confiance dans les tribunaux ».
Les parties civiles ont quant à elles argumenté leur demande en indiquant leur souhait que ce procès soit "pédagogique".
Fort bien.
Sauf que...
les règles de publicité devant la Cour d'assises
Le principe est, certes, clairement énoncé par les dispositions de l'article 306 du Code de Procédure Pénale, que « les débats sont publics ».
La justice doit être rendue publiquement, non seulement pour protéger les justiciables mais aussi parce que le procès pénal et la peine éventuellement prononcée ont un rôle d'exemplarité.
Il souffre deux exceptions, qui ont des fondements différents :
- le huis clos (article 306 du CPP), ordonné par la cour (c'est à dire le Président et les deux assesseurs professionnels) dans deux hypothèses
1 ) si la publicité est dangereuse pour l'ordre ou les moeurs
2 ) si, dans une affaire de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d'agressions sexuelle, la victime le demande.
La Cour peut également décider l'étendue de la mesure de huis-clos, en autorisant certaines personnes à assister aux débats.
Cette décision est donc prise pour des considérations d'ordre public et de délicatesse à l'égard des victimes.
- la publicité restreinte, spécifique aux juridictions pour mineurs, qui consiste à n'admettre à assister aux débats que les personnes suivantes limitativement énumérées par l'ordonnance de 1945 : la victime, les témoins, les proches parents, le tuteur ou représentant légal du mineur, les membres du barreau, les représentants des sociétés de patronage et des services ou institutions s'occupant des enfants et les délégués à la liberté surveillée. Ou pour résumer : les victimes, la famille et/ou les représentants légaux de l'auteur et les éducateurs.
Cette publicité restreinte, prévue par les articles 14 et 20 de l'ordonnance de 45, est d'ordre public devant le Tribunal pour Enfants et la Cour d'assises des mineurs. Cela signifie qu'il n'y a pas d'alternative.
Le non respect de cette règle devant la Cour d'assises est même un motif de cassation.
Une seule exception a finalement été posée dans une loi du 4 mars 2002, par ce que l'on pourrait appeler l'amendement Patrick Dils, qui, après la révision de sa condamnation initiale, avait été jugé et condamné), à l'âge de 31 ans, par une cour d'assises des mineurs sous le régime de la publicité restreinte et souhaitait comparaître en appel en public.
La loi dispose donc depuis que les débats sont publics « si la personne poursuivie, mineure au moment des faits, est devenue majeure au jour d' ouverture des débats et qu'elle en fait la demande, sauf s'il existe un autre accusé qui est toujours mineur ou qui, mineur au moment des faits et devenu majeur au jour de l'ouverture des débats, s'oppose à cette mesure ».
Le fondement de cette disposition est la protection du mineur poursuivi en justice.
En l'occurence
Les meurtriers supposés (car toujours présumés innocents) d'Ilan Halimi sont jugés par la Cour d'assises des mineurs car deux d'entre eux étaient mineurs au moment des faits.
Selon les termes de l'article 9 de l'ordonnance de 1945, Si le mineur a des coauteurs ou complices majeurs (...) en cas de poursuites pour infraction qualifiée crime, il sera procédé à l'égard de toutes les personnes mises en examen conformément aux dispositions de l'article 181 du code de procédure pénale ; le juge d'instruction pourra, soit renvoyer tous les accusés âgés de seize ans au moins devant la Cour d'assises des mineurs, soit disjoindre les poursuites concernant les majeurs et renvoyer ceux-ci devant la cour d'assises de droit commun.
Il était donc juridiquement possible soit de juger tous les accusés devant la Cour d'assises des mineurs, soit de juger les majeurs devant la Cour d'assises "classique" et de juger séparément les deux mineurs devant la Cour d'Assises des mineurs.
Rappelons qu'un procès devant une Cour d'assises vise, avant tout, à déterminer si les accusés sont coupables des faits qui leur sont reprochés et, le cas échéant, de prononcer la peine adaptée.
Il est donc utile, voire crucial, quand les faits reprochés aux uns ont permis ceux reprochés aux autres, de les juger en même temps. Pour arriver autant que possible à un truc tout bête : la manifestation de la vérité.
C'est pourquoi le juge d'instruction puis, hier, la cour d'assises, ont estimé nécessaire que le cas des deux mineurs ne soit pas disjoint de celui des majeurs. Compte tenu du rôle essentiel prêté à l'une de ces deux accusés, surnommée "l'appât" dans certains articles, cette décision paraît logique si on cherche à établir les responsabilités des uns et des autres.
En l'occurrence donc, les protestations filmées de Maître Szpiner (qu'on pouvait curieusement, dans les journaux télévisés d'hier, admirer en quasi simultané à Paris et Toulouse) et les arguments soulevés par les uns et les autres n'y peuvent mais : la loi s'applique et les deux accusés mineurs ont légitimement usé de leur droit absolu à la publicité restreinte.
Mais pourquoi la justice des mineurs est-elle une justice secrète ?
Les dispositions destinées à assurer une certaine discrétion aux procédures mettant en cause des mineurs vont bien au delà des règles de la publicité restreinte.
L'article 14 de l'ordonnance de 1945 (applicable également devant la cour d'assises des mineurs) dispose en effet que : La publication du compte rendu des débats des tribunaux pour enfants dans le livre, la presse, la radiophonie, le cinématographe ou de quelque manière que ce soit est interdite. La publication, par les mêmes procédés, de tout texte ou de toute illustration concernant l'identité et la personnalité des mineurs délinquants est également interdite. Les infractions à ces dispositions seront punies d'une amende de 6000 euros ; en cas de récidive, un emprisonnement de deux ans pourra être prononcé.
Je n'épiloguerai pas sur la façon dont ces dispositions ont été bafouées ces derniers jours, par exemple avec la publication d'un dessin d'une accusée mineure accompagnant un article relatant son histoire personnelle[1].
Ces mesures, qui attentent au principe de publicité des débats judiciaires et à la liberté de la presse, se justifient par la nécessité de protéger les mineurs, qu'ils soient turbulents, sauvageons ou carrément barbares.
L'article 40 de la Convention internationale des Droits de l'Enfant prévoit (notamment) que les Etats signataires doivent veiller à ce que la vie privée d'un enfant suspecté ou accusé d'une infraction à la loi pénale soit pleinement respectée à tous les stades de la procédure.
Un mineur, fût-il l'auteur du crime le plus horrible, est avant tout considéré comme un être en construction, par essence réadaptable et qui doit pouvoir commencer sa vie d'adulte sans le poids des actes commis durant son enfance.[2]
C'est pourquoi depuis 1945 le législateur a toujours réaffirmé le principe de la publicité restreinte et de secret sur l'identité des mineurs poursuivis, y compris en 2002.
Là où la publicité est, pour les majeurs, la solution la plus protectrice, c'est au contraire le secret qui protège le mieux les mineurs.
Un procès d'assises peut-il être pédagogique ?
On retombe, avec cette affaire, dans la question, régulièrement soulevée, du rôle social du procès pénal.
Et on retombe à mon sens dans les mêmes malentendus, que l'on a encore récemment entraperçus après la décision du CSM concernant Fabrice Burgaud.
Une juridiction statue sur ce dont elle a été saisie. Ni plus, ni moins.
Ainsi, le CSM saisi de faits disciplinaires reprochés à Fabrice Burgaud ne pouvait en profiter pour faire le "procès de l'affaire Outreau".
Ainsi, une cour d'assises ne peut, en jugeant une affaire particulière, "mettre en évidence les sources de cette haine du juif à l'état brut qui s'est manifestée durant le martyre de ce garçon" comme l'aurait souhaité le président du CRIF ou faire " le procès des préjugés qui tuent et de l'antisémitisme du XXIe siècle" que le président de l'UEJF appelait de ses voeux.
Certes, une audience d'assises a un rôle pédagogique, en exposant les ressorts d'un crime, de sa genèse, de ses conséquences, de son horreur parfois.
Elle peut, quand chacun se prête à cette recherche de vérité, permettre aux victimes de comprendre, parfois de "faire leur deuil", pour reprendre cette expression désormais consacrée.
Mais la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a.
Un crime, c'est la rencontre entre la personnalité de ses auteurs, des circonstances, un dessein plus ou moins résolument formé, une victime. Une audience de cour d'assises, c'est d'abord et avant tout la tentative de relation et de reconstitution de cette histoire unique, la confrontation de l'accusé avec sa victime ou la famille de celle-ci, la dénonciation parfois ce qui a mené au crime et puis, finalement, la décision sur la culpabilité et le cas échéant la peine.
Que l'audience permette cela, c'est déjà beaucoup. Et en attendre davantage expose à de cruelles désillusions.
Car le principal acteur d'un procès demeure l'accusé. C'est lui qui détient le plus souvent les clés pour comprendre ce qui s'est passé. Il peut, s'il en est capable, ouvrir des portes sur sa vérité intime, sur l'enchaînement qui a conduit aux faits. Il peut aussi brouiller un peu plus les cartes, se sentir une dernière fois tout-puissant.
Je ne me retrouve pas souvent dans les écrits d'Yves Thréard (et c'est un euphémisme). Mais son édito du jour souligne à mon sens très bien à quel point la publicité des débats dans cette affaire aurait pu être anti-pédagogique.
Que nous apprendrait l'antisémitisme allégué de Youssouf Fofana sur l'antisémitisme ? A-t-il vraiment fallu attendre le meurtre d'Ilan Halimi pour savoir que ces préjugés irrationnels et débiles existent toujours ? Fofana est-il un instrument de mesure du "taux de pénétration" de la haine dans les consciences françaises ?
Sans parler de l'atmosphère hautement inflammable dans laquelle se déroule ce procès. Youssouf Fofana et ses co-accusés vont être jugés pour ce qu'ils ont fait, et ceux qui seront reconnus coupables seront, je n'en doute pas, condamnés à des peines à la hauteur de ce qu'ils ont chacun commis. Ils ont aussi le droit de n'être jugés que pour cela.
Et en ce sens, la publicité restreinte destinée à protéger les accusés mineurs protégera également les majeurs, en recentrant cette audience sur ce pour quoi elle est faite en premier lieu : juger les accusés.
La protection des mineurs a finalement peut-être sauvé la pédagogie.
Notes
[1] et je ne mettrai pas le lien vers cet article illicite
[2] on peut noter que les autorités britanniques, après la révélation sur décision judiciaire de l'identité des deux enfants meurtriers du petit Jamie Bulger, leur ont fourni, à leur sortie de prison, une nouvelle identité, épisode dont s'inspire le film Boy A, sorti en février dernier
Commentaires
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