Qui suis-je ou vais-je et dans quel état j'erre ?
Par Eolas le jeudi 23 octobre 2008 à 08:05 :: Magistrats en colère :: Lien permanent
Par Petit Pois, substitut
Depuis huit ans, je suis une petite main de la Justice pénale. Substitut du procureur dans une ville moyenne du sud de la France qui figure régulièrement au bas des hit-parades des villes criminogènes comme on dit dans les gazettes, je tente, à mon petit niveau et avec mes petits moyens d'apporter une réponse à une délinquance de masse que ni moi, ni mes collègues, ni la police, aussi nombreuse et équipée soit elle, n'endiguerons pas. C'est la délinquance de la misère et du malaise social. Eh oui, dans le sud on a du soleil, mais contrairement à ce que chantait Aznavour, la misère n'est pas moins pénible au soleil.
La misère elle est aussi dans mon tribunal, comme dans tous ceux que j'ai fréquentés jusqu'ici : plein comme un oeuf, des cartons d'archives jusque dans les couloirs. Dans les réunions auxquelles j'assiste à la Mairie, à la préfecture, on me demande les coordonnées de mon secrétariat et je suis obligé d'expliquer que ma secrétaire, c'est ma main droite parce qu'il n'y a que le procureur qui a une secrétaire.
Mais ça, ce n'est pas le problème. Quand j'ai passé le concours d'entrée dans la magistrature, le budget de la Justice était déjà parmi les derniers d'Europe et, comme la plupart de mes collègues, je n'ai pas décidé de devenir magistrat pour m'enrichir, simplement pour essayer d'être utile. Utile à ces victimes dont parle si souvent Rachida Dati mais que, contrairement à elle, je croise tous les jours dans les salles d'audience. Utile à la société en essayant de trouver dans l'arsenal législatif les moyens d'éviter que l'auteur d'une infraction en commette une autre. Utile à mon prochain en essayant de contribuer à lui permettre de vivre en sécurité dans la même ville que moi.
Pendant la moitié de ma carrière, j'ai été substitut des mineurs. Parce que c'est usant, qu'il faut beaucoup de patience pour ne pas mettre des claques, aux mineurs parfois, à leurs parents souvent, c'est un contentieux dont les anciens se débarassent souvent au profit des jeunes magistrats. J'ai croisé beaucoup de gamins paumés, laissés à eux même par des parents absents ou inexistants, d'autres qui reproduisaient dans la rue la violence de la maison, quelques uns qui relevaient déjà plus du psy que du juge et beaucoup qui avaient besoin qu'on leur donne un cadre, qu'on jugule une crise d'adolescence.
J'en ai fait envoyer en prison, comme ma collègue de SARREGUEMINES, et je ne le regrette pas parce qu'à un instant T, dans la vie d'un adolescent qui accumule les actes de délinquance c'est quelque chose qui peut avoir un sens. Un sens parce que ce n'était pas une décision prise à la légère. Parce qu'avant de demander qu'on les emprisonne j'avais demandé qu'on les condamne à de la prison avec sursis, le plus souvent avec une mise à l'épreuve, pour qu'on leur donne ce cadre qui leur manquait. je les ai prévenus, d'audience en audience, que, s'ils recommençaient, la prison les attendrait et que je n'hésiterais pas à les y envoyer. Et l'enseignement essentiel de quatre ans au parquet des mineurs, c'est qu'il ne faut jamais avoir de paroles en l'air. Ma ministre n'a pas dû rester assez longtemps au parquet pour retenir cette leçon. Tous ces gamins dont j'ai requis l'emprisonnement, savaient pourquoi je le demandais et s'ils étaient peut être étonnés de s'apercevoir que ça tombait, ils savaient pourquoi ça tombait.
Puis vint l'ère des injonctions paradoxales. Ca a commencé par une loi sur les peines plancher qui ne m'a pas dérangé parce qu'elle permet aussi de déroger au plancher quand la situation l'exigeait, bref de faire du sur mesure éclairé et pas du prêt-à-condamner aveugle. Alors, légaliste, j'ai appliqué cette loi, TOUTE cette Loi. Puis on a commencé à fliquer l'application des peines plancher, à nous faire remplir une fiche pour chaque condamnation pour alimenter les stastistiques du Ministère. Sur cette fiche, il n'y avait pas de case pour expliquer pourquoi il était juste, et parfaitement légal, de prononcer une peine inférieure au plancher en raison des faits ou de la personnalité de l'auteur. Parce qu'il faut vous dire que, tant qu'ils ne se suicident pas, les mineurs (et les majeurs) dans les prisons, place Vendôme on s'en contre fiche. Ce ne sont que des statistiques.
Comme ces statistiques étaient trop hautes, et que nos prisons sont dans le même état d'indigence et d'indécence que nos palais de Justice, on nous a ensuite vanté les mérites des alternatives à l'incarcération... Magnifique mais pour ça il faut des hommes pour suivre les condamnés en semi-liberté, des bracelets électroniques qui coutent cher, quand ils marchent. Et malgré tout son entregent, notre ministre n'a pas réussi à faire réaliser ce genre de bracelets chez Dior.
A côté de ça, la police de terrain, avec laquelle les magistrats du parquet travaillent tous les jours, est démotivée parce qu'au ministère de l'intérieur, on ne raisonne aussi qu'en statistiques et que pour être bien vu, un commissaire préfère 15 arrestations de petits dealers, qui sont remplacés le lendemain, parce que c'est facile et rapide. Tandis qu'enquêter pour identifier les réseaux qui alimentent ces dealers depuis l'étranger, ça demande du temps et des moyens et que le gros dealer, dans les stats, il compte autant que le petit.
Moralité : substituts de base et flics de base deviennent désabusés parce qu'on ne leur donne pas les moyens humains, matériels et juridiques de faire appliquer efficacement la Loi.
Et quand, en plus, on convoque et traite comme une... (ne soyons pas aussi vulgaire que ceux qui nous gouvernent) une substitut de base qui n'a fait qu'appliquer la Loi à la lettre , je craque.
Je sais que Napoléon a organisé les parquets comme il organisait son armée : en pyramide avec un seul chef en haut. Mais quand le chef est atteint de schyzophrénie, donne ordres et contre-ordres à des troupes qu'il méprise profondément, il ne faut pas qu'il s'étonne de provoquer un grand désordre.
Commentaires
1. Le jeudi 23 octobre 2008 à 17:57 par R. Gary
2. Le jeudi 23 octobre 2008 à 18:26 par Silatrop
3. Le jeudi 23 octobre 2008 à 19:30 par miha
4. Le jeudi 23 octobre 2008 à 19:59 par Scottie
5. Le jeudi 23 octobre 2008 à 21:14 par LDiCesare
6. Le jeudi 23 octobre 2008 à 21:49 par L.M. Confidential
7. Le jeudi 23 octobre 2008 à 21:50 par L.M. Confidential
8. Le jeudi 23 octobre 2008 à 22:16 par Valérian
9. Le jeudi 23 octobre 2008 à 22:36 par SpectrumKnight
10. Le jeudi 23 octobre 2008 à 23:24 par Manu
11. Le vendredi 24 octobre 2008 à 00:03 par BB
12. Le vendredi 24 octobre 2008 à 09:47 par Ordzo
13. Le vendredi 24 octobre 2008 à 09:57 par Alma
14. Le vendredi 24 octobre 2008 à 10:27 par Tinkerbell
15. Le vendredi 24 octobre 2008 à 17:20 par PEB
16. Le vendredi 24 octobre 2008 à 18:51 par BB
17. Le samedi 25 octobre 2008 à 14:53 par Tinkerbell