« Vous nous demandez si nous sommes timides, timorés… »
Par Eolas le jeudi 23 octobre 2008 à 06:07 :: Magistrats en colère :: Lien permanent
Par Damoclès, magistrat
Maître eolas,
Vous nous demandez si nous sommes timides, timorés...peut être simplement résignés. 8000 robes noires comme autant de personnes endeuillées, pleurant un idéal enterré, l'idéal de justice. L'homélie sera brève et sévère.
On martèle que les juges ont démissionné sans connaître vraiment leurs missions et le contexte difficile dans lequel elles sont remplies. Garants des libertés individuelles, ils tranchent les litiges et se prononcent sur les affaires pénales en statuant sur la culpabilité et la peine. Le volume des affaires a explosé, signe d'une société qui ne sait plus s'autoréguler et cherche à tout prix des coupables expiatoires. De loin nos robes noires impressionnent;, de près elles sont mitées tant notre justice est miséreuse. Nos concitoyens savent-ils seulement que notre grand pays compte 11, 2 juges et 2, 9 procureurs pour 100 000 magistrats, se classant ainsi au 35è rang européen pour les juges et au 42 è pour les procureurs sur une échelle de 43 pays ? Le nombre de magistrats est sensiblement le même que sous Napoléon. Alors oui, les magistrats sont fatigués, épuisés, maltraités, y compris parfois par leur hiérarchie. Les lois s'empilent et même les magistrats ne peuvent plus affirmer pour eux-mêmes que "nul n'est sensé ignorer la loi".
Etre magistrat, c'est tout le contraire du chercher à plaire..."Qui vous savez" a sans doute oublié que l'inconfort de cette position contribuait aussi à la légitimité de notre fonction. L'impartialité et l'indépendance commandent en effet d'être au-dessus pour décider loin du tumulte, sauf que ce tumulte vient de nous rattraper. Crise de confiance ou crise de défiance ? On lance des sondages de satisfaction en oubliant ou en faisant mine d'oublier que le procès fait forcément un ou des mécontents : celui qui n'a pas obtenu gain de cause ou celui qui se dit injustement condamné. Sans sompter que depuis quelques années, aux cris à l'injustice du condamné, s'ajoutent les diatribes des victimes qui ne se satisfont jamais de la sentence...Le fameux Toujours plus ! gangrène aussi la justice.
Jeune magistrat, je suis révolté par la caporalisation de la justice mais aussi par la difficulté des hauts magistrats à protéger l'autorité judiciaire. Mais quelle capacité de résistance peut-on espérer de Procureurs généraux nommés en Conseil des ministres ? Au-delà de la justice, c'est la démocratie qui est en péril. Que penser en effet d'un pays dans lequel le Procureur et ses substituts ne sont pas considérés par la Cour européenne des droits de l'homme comme une autorité judiciaire ?
Face à toutes ces questions, épris de doutes, la tentation de faire simplement son travail en rentrant chez soi à des heures décentes (et non à 22, 23 heures ou minuit) est d'autant plus forte que la difficulté de ce métier n'est pas reconnue et que les attaques et destabilisations incessantes le rendent encore plus difficile. Que dire des nuits de permanence (payées 46 € brut non revalorisées depuis 2001 ah le pouvoir d'achat !!!), des week ends et jours fériés payés environ 30 € brut ? Nos concitoyens savent-ils que si un enfant est en fugue, errant ou maltraité, c'est la justice qui est saisie à tout moment du jour et de la nuit avec souvent un jeune magistrat au bout du fil ? Nos concitoyents savent-ils que l'on peut être réveillés plusieurs fois par nuit, se rendre sur les lieux et aller travailler le lendemain ? Nos concitoyens savent-ils qu'ils nous arrivent de pleurer sur des dossiers difficiles et de nous sentir tellement seuls face à une décision grave et lourde de conséquence pour les personnes ? Nos concitoyens savent-ils que parce que nous sommes à leur service jour et nuit, que le travail de la police et de la gendarmerie ne peut se réaliser sans le concours de la justice ? On félicite les enquêteurs mais rarement les procureurs alors qu'ils contribuent largement à la sécurité de nos concitoyens.
Nos concitoyens savent-ils que parce que leur rendre justice est une tache noble, nous prenons encore le chemin des palais de justice alors que de plus en plus souvent nous sommes tentés de les fuir...
Demain, nous lirons des communiqués que personne ne retiendra, demain nous nous rassemblerons sur les marches des palais et notre petit nombre pourrait laisser croire que ce sont les professionnels de la justice qui sont sortis fumer une cigarette...alors que ce sont nos idéaux que nous défendons avant qu'ils ne partent en fumée...Demain, nous rendrons encore la justice avec les épaules encore un peu plus lourde du fardeau des attaques répétées.
Alors, s'il est toujours légitime de se demander qui jugera les juges, le temps est venu de savoir qui rendra justice aux juges ?
Mon cher maître, merci de nous avoir accordé ce droit à la défense que bien peu nous reconnaissent aujourd'hui...
C'est aussi cela l'Etat de droit
Commentaires
1. Le jeudi 23 octobre 2008 à 11:15 par LDiCesare
2. Le jeudi 23 octobre 2008 à 15:01 par mad
3. Le jeudi 23 octobre 2008 à 15:03 par mad
4. Le jeudi 23 octobre 2008 à 21:01 par GreG
5. Le samedi 25 octobre 2008 à 12:51 par hatonjan
6. Le lundi 27 octobre 2008 à 15:49 par ronan
7. Le dimanche 2 novembre 2008 à 21:30 par Kemmei