Garde des souris
Par Eolas le jeudi 23 octobre 2008 à 07:06 :: Magistrats en colère :: Lien permanent
Par e**, substitut
Quelques réflexions sur ce que pourrait voir tous les jours un Garde des sceaux transformé en petite souris curieuse de parcourir les couloirs et salles d’audience d’un tribunal...
Commençons par l’audiencement d’un dossier devant le tribunal correctionnel :
- lorsqu'un prévenu est placé sous le régime de la détention provisoire, il doit comparaître devant le tribunal correctionnel dans les deux mois de son renvoi, une année pour la cour d'assises ;
- si aucun détenu ne figue au dossier, alors, comptez.... comptez comme vous voulez, dans de nombreux cas le futur condamné gagnerait devant la cour européenne des droits de l'Homme en poursuivant la France sur le fondement du droit à être jugé dans un délai raisonnable...
Une ordonnance d’organisation des services fixe dont les jour et heure des audiences. Et les journées ne faisant que 24 heures et les années que 365 jours, il devient difficile de créer une nouvelle audience correctionnelle. Sauf à supprimer l’audience du JAF de lundi après-midi. Et expliquer aux justiciable qu’ils divorceront dans huit mois parce que d’ici-là toute les audiences sont remplies.
La justice est en effet confrontée à un petit problème : pour tenir une audience, il faut un ou trois magistrats qui, précisément, n’ont pas d’autre audience ce jour-là, qu’elle soit pénale, civile, commerciale ou autre.
Il faut aussi un greffier, soumis au même aléa de disponibilité. Un huissier d’audience, c’est mieux.
Une présence policière pour intervenir lorsque le public est véhément, c’est un plus également.
Quand l’audience aura eu lieu, il faudra matérialiser le jugement.
Sa motivation relève du magistrat, qui la plupart du temps la dactylographie lui-même.
Ne mentons pas : si la motivation est obligatoire, elle se résumera très très très (trop...) souvent : “attendu qu’il ressort des éléments de la procédure et des débats que l’infraction est constituée ; que les faits sont d’une gravité telle qu’ils justifient le prononcé d’une peine d’emprisonnement non assortie du sursis”.
La décision ne sera réellement motivée au fond qu’en cas d’appel, afin que la cour puisse confirmer ou infirmer le raisonnement des juges correctionnels.
N’allez pas croire qu’il en est ainsi parce que les magistrats sont des fainéants... Non, ils n’ont juste pas le temps de motiver une décision qui n’est pas contestée et qui a été acceptée par le condamné. S’ils le faut, ils prennent ce temps. Mais ils rendront leur délibérés civils vendredi prochain au lieu de lundi.
Qu’il y ait ou non motivation au fond, le greffe devra mettre en forme la décision.
Le greffier l’aurait bien fait cet après-midi mais, hasard de l’activité pénale du ressort, il est appelé à assister à l’audience de comparutions immédiates. Elle débutera à 14 heures. Le temps d’examiner les trois dossiers, il sera peut-être 17 heures 45.
Mince, voilà des heures supplémentaires que le greffier va pouvoir récupérer. Il en avait déjà quelques unes sous le coude et, ainsi, ne viendra pas travailler vendredi prochain. C’est dommage, il aurait justement pu avancer à ce moment-là dans la dactylographie de l’audience d’il y a trois semaines. Allez, ce n’est que partie remise.
Dommage, comme vous dites mon bon monsieur. Mais si le greffier ne prend pas ses heures de récupération, personne ne les lui paiera. Donc il a bien raison de les prendre. Où est son sens du service public, me demanderez-vous ? La première année, il devait être là, sans aucun doute. La deuxième aussi. La troisième, il commence à se demander si on ne le prendrait pas un peu pour une poire. Il se rend compte que s’il reste au delà de son temps de travail prévu, non seulement il ne sera pas payé, mais encore personne ne lui dira merci
Ayant entendu parler du juge d’instruction, cet homme le plus puissant de France, la souris est bien curieuse d’entrer dans sa zone. Si ce magistrat a de la chance, il se trouve derrière une porte sécurisée, à l’abri des intrus vindicatifs. S’il exerce dans un tribunal plus ancien ou moins bien équipé, il est en libre accès, susceptible d’être pris à parti par la famille de la personne qu’il vient justement de recevoir avant de solliciter son incarcération.
Mais voici justement cette personne, gardée sous bonne escorte. Ils sont arrivés ce matin à 08 heures 30. Le temps que le parquetier prépare l’ouverture de l’information judiciaire, que le juge d’instruction prenne connaissance du dossier et réalise l’interrogatoire, il est 11 heures 30, au mieux. On attend que le juge des libertés et de la détention (le fameux JLD) vienne statuer son sort : maison d’arrêt ou contrôle judiciaire ? Ah, j’apprends que le JLD était ce matin à l’annexe du tribunal, à trente kilomètre d’ici, où il statuait sur la procédure relative aux étrangers en situation irrégulières placés au centre de rétention. Aujourd’hui, vingt-trois personnes lui sont présentées; L’audience se finira vers 13 heures 45. Le temps d’avaler un sandwich, de faire pipi et de prendre la route, le JLD sera au tribunal vers 15 heures. Il prendra connaissance du dossier et recevra la personne vers 15 heures 30, au mieux.
L’ex-gardé-à-vue désormais mis en examen et bientôt détenu sera donc resté, ainsi que son escorte, environ huit heures dans les couloirs de l’instruction. Son avocat, s’il na pas la chance d’avoir ses locaux professionnels à deux pas, aura perdu une grande partie de son temps lire les vieux magasines déposés par les uns ou les autre, comme chez le dentiste.
Essayons de pénétrer dans l’antre du magistrat, son cabinet. Un bureau, grand, petit, fonctionnel, mal fichu, définitif, temporaire, vue sur la mer, sur les montagnes, aveugle, allez savoir sur quoi vous allez tomber...
Tiens, le greffier.
Bon, moins bon, expérimenté ou non, comme le magistrat peut l'être. De leur alchimie dépendra la réussite du cabinet. Inutile de penser qu’il tournera correctement si le juge prend son greffier pour un moins que rien. Malheureusement, certains magistrats sont ainsi. Il faut être objectif, c’est parfois justifié (il y a des greffiers mauvais et caractériels), parfois non (il y a des juges caractériels et mauvais).
Tiens, ici, c’est un fonctionnaire de greffe fraîchement sorti d'école. Le juge dit de celui-ci (en réalité celle-ci) qu’il n'est rien d'autre qu'un pur bijou. Oui, on a parfois de la chance...
Tiens, un ordinateur. Patience, madame le juge, il sera renouvelé dès qu'il aura atteint le barre stratégique, comptable et administrative des cinq années. Comment ça celui-ci n’est pas équipé du port USB qui vous permettrait d’utiliser la clé que VOUS vous êtes achetée ? Patience, ma chère : cinq années, qu’ils disaient !
Tiens, le placard à fournitures. Oh, une congénère ! Pas vivante, non, vous savez ces objets en forme de souris qui déroulent une bande de correcteur. Ça a l’air d’être d’une bonne contenance. Comment ça, au bout de quelques décimètres la bobine n’enroule plus rien, le correcteur n’adhère plus au papier et il faut jeter ce qu’il reste de ce malheureux objet... Mince, quel gâchis. Peut-être croyait-on que l’administration ferait des économies en achetant cette marque ? Certes, s’il faut les jeter à mi-course, on n’est peut-être pas si gagnant que ça...
Ha, la boîte à stylos. Ils ont l’air chouette ceux-là, de type roller ou ink-gel. Tiens, justement, voici que le greffier en parle avec son collègue d’un autre cabinet. Que disent-ils ? Non, ce n’est pas possible ? Ces stylos sont justement réservés au magistrat, il est hors de question qu'un simple greffier les utilise. Parole du responsable des fournitures. C’est vrai qu’après tout, un greffier peut très bien se contenter d'un "Bic".
Voici la bible du magistrat : ses codes. À jour, bien entendu. Mais j’apprends qu’il a reçu les derniers courant novembre, quand ils sont en librairie fin août ou début septembre.
La curiosité nous pousse à jeter un œil, par exemple ce code pénal 2008.
Mince!, lorsqu'il est sorti, il n'était déjà plus à jour puisque n'y figuraient pas les dispositions nouvelles sur la récidive.
Tiens, les greffiers poursuivent leur conversation. J’apprends qu’alors qu’ils sont garants de l'authenticité de la procédure et, à titre totalement accessoire, tenus au respect de délais aussi peu importants que ceux de durée de détention, notification d'expertises ou ordonnances, de convocation etc.., qu’il n’auront pas eu le loisir de consulter leur code nouveau. En effet, seul le magistrat y a droit, à charge pour lui de donner ses exemplaires, très souvent périmés, à son greffier. C'est bien connu, un greffier d'instruction ne fait pas de procédure pénale...
D’ailleurs, le voici se dirigeant vers la salle des photocopieuse, ou il va réaliser la copie du dossier pour le double gardé au cabinet et une autre pour un avocat qui vient de la solliciter. Ah bon, pas de service de reprographie ? C’est le greffier qui fait cela tout seul ? C’est dommage, il a peut- être mieux à faire dans son cabinet, comme trier le courrier du jour, mettre en forme les derniers dossiers etc.
Tiens, voici le juge, en conversation avec des enquêteurs. Ils ont l’air motivés, ne comptant pas leurs heures. Ah, je crois comprendre que leur direction ne souhaite pas qu'ils aillent à Cuges les Pins entendre ce témoin pourtant capital, qu'il va donc falloir donner commission rogatoire au service d'enquête local pour procéder à cette audition capitale, qui sera donc réalisée par quelqu'un qui ne connaît pas complètement le dossier, son ambiance, ses à-cotés.
Qu’en penser ? Une seule chose : un bâton statistique est un bâton, résoudre une affaire de chat écrasé compte autant qu'un gros dossier de stupéfiants, et coûte beaucoup moins cher...
Ah j’entends l’enquêteur quémander, et être ravi d’obtenir de sa part, le vieux code de procédure pénale 2006 du juge (hé oui, nous somme en 2008 mais le 2007, c’est le greffier qui l’a). C’est vrai que ces pauvres enquêteurs doivent se contenter, à sept ou huit dans l'unité, d'un millésime 2004.
Nouveau coup de fil, cette fois à un expert. Contrit, le juge doit lui dire que, non, ce n'est pas normal qu'il ait dépassé le délai qu’il lui avait fixé pour rendre son rapport. Que, oui, c'est comme ça, rapport rendu dans les délais ou non, il ne sera payé que dans quatre ou cinq mois, voire plus parce que vous comprenez mon bon monsieur (cela vaut aussi pour les dames), nous sommes fin septembre, il n'y a plus d'argent dans les caisses et on n'aura de nouveaux crédits que début janvier.
Tiens, une question ? Si la justice était une entreprise privée, ne serait-elle pas réduite à déposer son bilan tous les ans à la fin du troisième trimestre, les actifs mobilisables étant insuffisants pour couvrir le passif exigible ?
Tiens, voilà qu’on parle des enquêteurs de personnalité, appartenant au service pénitentiaire d'insertion ou de probation ou relevant d'associations spécialisées. Il se dit qu’ils font ce qu'il peuvent avec ce qu'ils ont : toujours beaucoup de motivation et souvent aucun autre moyen matériel que leur huile de coude pour vérifier la véracité de ce que la personne mise en examen leur affirme.
Tiens, voici que l’interprète sort du bureau du JLD et vient saluer le juge d’instruction. Il a assisté les enquêteurs en garde-à-vue. Pendant 48 heures. Il est intervenu auprès du juge lors de l’interrogatoire de première comparution. Il sera convoqué ultérieurement pour une nouvelle audition de la personne mise en examen. Ah, il habite à trois heures de route de Paris, seul endroit où vous avez pu trouver un interprète parlant la langue qui vous intéresse ? Peu importe, il a l’air motivé, a le sens du devoir et de sa fonction. Il viendra. Et si l’interrogatoire va dure en tout et pour tout 15 minutes parce que la personne refuse de s’exprimer , le juge remerciera l’interprète qui sera renvoyer chez lui. Il expliquera que bien entendu il va être rémunéré pour l’interprétariat qu’il vient de faire (rassurez-vous, il y a un forfait pour la première heure). Que, bien entendu, il sera indemnisé de ses frais de déplacement (forfait kilométrique). Que, non, son temps de trajet (6 heures aller et retour pour une heure d’interprétariat rémunérée), ne peut être pris en compte... Que non, il est impossible de tricher (on appelle cela un faux) et d’ajouter une ou deux tranches horaires pour compenser cela. Je crois comprendre que la prochaine fois, l’interprète convoqué répondra que ça aurait été avec plaisir, mais que ce jour-là, justement, il a piscine...
Et voici l’armoire des dossiers. En moyenne, 80 à 90 par juge d'instruction en France. Dans ce tribunal en particulier, jusqu'à 180...
Certes, sa conscience commande au juge de faire au mieux, d'essayer de participer d'une justice bonne, correcte, lisible, fière d'elle. Mais, parfois, il devra seulement survoler des dossiers plus qu’il ne les ai instruira. Faisant toujours le maximum pour "sortir" les dossiers en cours dans des délais corrects, donnant systématiquement la priorité aux dossiers dans lesquels des personnes avaient été placées en détention provisoire. Mais parfois, souvent, en étant noyé sous le flot des nouveaux dossiers ouverts à l'occasion d'une permanence qui reviendra une semaine sur trois...
Tiens, suivons le substitut du procureur de la République, qui sort du débat devant le JLD.
La souris apprend que, pour simplifier, ce magistrat représente la société et en défend les intérêts, tant en matière pénale que civile ou commerciale, et exerce, au nom du procureur, l'action publique.
C'est à lui que les enquêteurs, tous les jours, rendent compte des affaires en cours, des garde-à-vues qu'ils ont décidées. C'est lui qui va devoir prendre la bonne décision, choisir la bonne voie de poursuite, souvent dans l'urgence des nombreux coups de fil qu'il va recevoir de nuit comme de jour.
C'est lui qui va aller requérir à l'audience correctionnelle. Pour cela, il aura préalablement examiné les dossiers, quand il aura eu le temps de le faire, et découvert le contenu de la plupart d'entre-eux, les poursuites ayant été ordonnées par son collègue de permanence au moment des la garde-à-vue. Comme ses collègues juges correctionnels, comme le greffier, comme l'huissier d'audience, comme les avocats et surtout comme les prévenus, il sera présent à 08h30 pour l'ouverture de l'audience et sera encore là à 19h00, quand elle se terminera.
Celui-ci vient d’arriver dans la juridiction. Son constat est globalement positif : nouvelle juridiction, nouveaux locaux (neufs) pour exercer ce nouvel aspect de sa profession.
Mais légère amertume quand la photocopieuse est en panne depuis trois semaines, qu’elle n’est plus sous garantie, qu’elle n’a pas encore cinq années d’ancienneté...
Quand les écrans plats, neufs, qui équipent la salle d’audience, ne fonctionnent pas et que vous ne pouvez pas montrer les photographies de cette pauvre dame qui s’est faite tabasser par le prévenu.
Quand la permanence revient une semaine sur trois, parce qu’un poste est vacant. Certes, on ne dit plus vacant, mais on compte en activité par magistrat. À ce jeu-là, certes, ce tribunal est mal loti mais les magistrats ont appris que, non, il ne fait pas partie des priorités et n’aura pas de renfort dans l’immédiat. Qu’importe, il manque un magistrat dans ce parquet depuis quatre ans, alors le procureur fait alors avec les moyens du bord, et notamment en comptant sur le renfort d’un collègue mis à sa disposition par le procureur général.
Ces quelques réflexions ne sont pas de la fiction. Elles synthétisent des événements vécus dans plusieurs tribunaux. Et qui pourraient sans doute être relevé par de nombreux collègues. Globalement, nos juges et procureurs vont bien. Mais notre justice va mal.
Je me suis concentré sur des aspects purement matériel qui grèvent le fonctionnement du tribunal et ralentissent le cours de la justice. Je laisse à d’autres le soin d’aborder les problèmes rencontrés dans des fonctions que je n’ai pas exercées en dehors de mon stage en qualité d’auditeur de justice. Je laisse à d’autre le soin d’aborder le parfois incompréhensible amoncellement de textes qui fait que le juriste n’y retrouve pas ses petits.
Il me semble que la mobilisation du 23 octobre sera un O.V.N.I. dans le monde du travail français. Personne ne va demander d’augmentation, personne ne va demander de partir plus tôt à la retraite, personne ne va demander de nouveaux avantages sociaux, personne ne va demander plus de jours de congés...
Non, il va seulement être fait ce constat : nous devons rendre la justice au nom du peuple français. Ce serait peut être faire justice à ce peuple que de nous donner les moyens de le faire correctement.
Nous ne demandons pas du luxe, non. Nous nous contenterions bien volontiers de pouvoir avoir la satisfaction d’avoir des moyens matériels corrects pour rendre la justice et donner autre chose qu’une obole, qui plus est bien tardive, aux services et personnes qui y contribuent.
J’exerce un très beau métier.
S’il ne fait pas rouler sur l’or (il reste sous l’égide de la grille des rémunérations de la fonction publique), il me donne largement les moyens de vivre.
J’ai la chance de l’avoir choisi.
J’ai la chance de l’aimer.
Madame le Garde des sceaux, Mesdames et Messieurs les prochains Garde des Sceaux, laissez-moi l’aimer encore.
Commentaires
1. Le jeudi 23 octobre 2008 à 11:17 par tarrega, magistrat
2. Le jeudi 23 octobre 2008 à 12:39 par avocaillon
3. Le jeudi 23 octobre 2008 à 14:12 par e**
4. Le jeudi 23 octobre 2008 à 15:18 par Ferdi
5. Le jeudi 23 octobre 2008 à 16:15 par Eolas
6. Le jeudi 23 octobre 2008 à 16:17 par avocaillon
7. Le jeudi 23 octobre 2008 à 16:21 par avocaillon
8. Le jeudi 23 octobre 2008 à 16:27 par e**
9. Le jeudi 23 octobre 2008 à 19:03 par prof
10. Le jeudi 23 octobre 2008 à 19:49 par hatonjan
11. Le samedi 25 octobre 2008 à 12:13 par ronan
12. Le samedi 25 octobre 2008 à 20:54 par Earered
13. Le vendredi 7 novembre 2008 à 23:31 par karc'hariad