Un juge heureux mais pas content
Par Eolas le jeudi 23 octobre 2008 à 05:02 :: Magistrats en colère :: Lien permanent
Par Musashi, juge d'instance
Je suis un juge heureux, car je ne fais pas de pénal, ou très peu, 20 % de mon temps, parce que je ne connais pas de juge qui ne fasse pas un minimum de pénal.
Le pénal nous bouffe tous, nous prend de plus en plus de temps, 60 % de temps total des juges, le reste, c'est du civil.
Je suis juge d'instance. D'ou mon bonheur. Relatif quand même.
Assesseur dernièrement au tribunal correctionnel, on a dû mettre 2 ans ferme (4 ans dont 2 ans SME) à un toxicomane qui avait 4 condamnations à son casier judiciaire, dont 3 pour stupéfiants, et dont la récidive était visée. Il encourait 10 ans pour détention de 2 grammes de cannabis. La peine plancher était de 4 ans. Il sortait de prison, aucun projet, on a baissé à 2 ans avec difficulté. Avant, c'était il y a 18 mois, il aurait eu quelques mois fermes, voire un TIG. Ce n’est plus possible.
Bref, on me fait remplir les prisons. Je le fais, on l'a fait, nous les juges, ligotés par les textes législatifs, on perd de plus en plus de latitude. On applique la loi. Les gens ont voté pour ça aussi. La surpopulation des prisons, c’est aussi la responsabilité des électeurs.
On n'est pas content de faire cela. Mais si on plus on nous reproche les conséquences de l'application de ces textes, soit la surpopulation pénale et les conséquences que cela entraîne sur les prisonniers, alors effectivement on n’est pas content.
Je ne suis pas content.
On peut être heureux et pas content quand même.
Je ne suis pas content à cause de l’attitude de mon Ministre.
Je préférerais à tout prendre un ministre cynique qui assume les conséquences de sa politique pénale. Cela aurait le mérite d'être clair.
Je ne supporte plus les fausses concertations (sur la carte judiciaire dont l'idée n'était pas mauvaise mais dont l'application est désastreuse. Depuis un an, rien n’a avancé au niveau de la Chancellerie. On ne parle pas d’argent, surtout pas, et on fait des projets au niveau des Cours d’Appels sans connaître réellement nos possibilités d’action, surtout, qu’en plus, la commission Guinchart a conclu au transfert de certains contentieux des tribunaux d’instance vers les tribunaux de grande instance. Aller faire des projets avec ça!!!!!!!,.... mais on perd un temps fou quand même.......)
Je ne supporte plus non plus les "je vous soutiens" alors que tous les actes démontrent le contraire.
Je suis juge d'instance. Donc je suis quand même heureux. Je passe 80 % de mon temps à faire du civil. Essentiellement des jugements civils et des tutelles des majeurs.
Du contentieux et du gracieux. j'aime bien les tutelles des majeurs, le gracieux. Je suis là pour aider, pas pour sanctionner. Je rassure les filles (eh oui, c'est essentiellement les filles) qui culpabilisent de prendre les 1000 euros de retraite leurs mères qu'elles hébergent et que leur reprochent les autres membres de la famille, les autres filles, ou fils. Le calcul est vite fait de toute façon. une maison de retraite, c'est 1500 euros, minimum. 1000 euros pour s'occupe de la mère, c'est donné alors qu'il y a déjà pour 200 euros de couches par mois pour changer la mère et qu'il faut la supporter 24 heures sur 24, et ce même si elle ne vous reconnais pas.....oui, c'est ça la vie, ce n'est pas la misère, seulement la vie. J'en ai plein des situations comme ça.
Je rassure aussi le tuteur qui culpabilise de laisser la mère, âgée, veuve depuis peu et plus guère vaillante, et ses deux fils handicapés de 40 ans vivre dans une maison sans wc et douche. Je suis aller les voir. Ils étaient heureux ensemble. Je fais quoi ?, je les sépare pour qu'ils vivent au propre dans des maisons spécialisées.... mais séparées car aucune structure n'accueillera ensemble la mère et ses deux fils.... ou je fais tout pour les laisser ensemble.... j'ai ordonné de les laisser ensemble et je débloque 10000 euros de leurs comptes, car ils ont de l'argent, pour construire un wc et une douche. Les séparer les tueraient. C'est de ma responsabilité. C'est pour ça que je fais ce métier, pour être utile aux gens.
Ca ne va pas être simple d’être utile l’année prochaine quand je vais devoir revoir TOUTES les mesures que j’ai en stock en 3 ans et demi. Ce n’est pas compliqué, ma charge de travail pour les tutelles va doubler, et celle de ma greffière, bénie soit elle pour sa disponibilité et sa compétence, tripler. (J’ai bien écrit TRIPLER). On va se débrouiller, parce qu’on n’aura aucune (AUCUNE) aide.
Le parlement vote des lois sans s’inquiéter une seule seconde de leurs applications, c’est un autre débat qui fait quand même partie de ce débat.
Je me déplace une fois par mois pour les tutelles et je fais des vues des lieux dans les dossiers civils. Je fais de la proximité, et ce bien avant l'invention de ce mot. J'aime ça. Je met fin aux conflits. J’apaise.
Je suis heureux car je n'ai pas toujours été juge d'instance. Je connais donc mon bonheur actuel. J'ai été au parquet aussi, comme substitut. 60 heures par semaine, un travail de forçat, pas d'horaires, des contraintes énormes, mais tellement passionnant, tellement. on sent battre le pouls de la ville, en tout cas de sa délinquance, c'est déjà ça. Mais c'était il y a plus de 10 ans. Ca à changé, moins de latitude, plus de contrôle.
Ma charge de travail est correct et je sais que là aussi j'ai de la chance. Beaucoup de collègues gallèrent.
Plus le temps. Plus le temps de prendre le temps de la réflexion. D'ou certaines erreurs.
D'ou aussi les incompréhensions. Car plus le temps de motiver ses jugements. Et motiver, c'est expliquer, à soi et aux parties, pourquoi on prend telle décision, et pas telle autre.
Mais le temps de la réflexion ne se comptabilise pas et depuis quelques années, tout est comptabilisé. Chaque juge, pour être rentable, devra faire tant de jugements. Ce qu'il y a dedans, ca ne rentre pas dans la comptabilité.
Le métier se transforme et je suis certain que ce n'est pas dans l'intérêt du justiciable. D'ou ma révolte. Petite.
Pour la première fois, je serai sur les marches du palais jeudi, pour protester contre les doubles discours, les incohérences, les intimidations de mon Ministre.
Bon sang, ce n’est quand même pas trop demander d’avoir un Ministre qui ne dit pas tout et son contraire.....ça me paraît être le minimum...faut croire que non, en fait.
Je déclare quand même que je suis un juge heureux pour l’instant parce que c’est aussi mon tempérament et que tout n’est pas noir de mon métier. Mais je ne suis pas content parce que la place du noir augmente dangereusement. Je suis donc inquiet.
Voila, c’est un peu brouillon (même beaucoup en me relisant, mais je ne sais comment élaguer), mais comment tout dire en un billet . Je n’ai pas parlé de mes greffiers qui sont aussi une autre source de contentement. Tous ne sont pas greffiers, nombreux sont les “faisant fonctions” qui font le même travail, aussi bien, mais sont moins payés, mais tous font de leurs mieux, sincèrement. Dans mon petit tribunal, il y a une bonne ambiance, ça joue aussi.
En tout cas, merci à Me EOLAS et les colocataires d’essayer d’expliquer notre métier qui n’est pas simple, même si il en donne l’impression.
Commentaires
1. Le jeudi 23 octobre 2008 à 13:32 par faisant fonction de greffier du juge des tutelles
2. Le jeudi 23 octobre 2008 à 13:32 par Bardass
3. Le jeudi 23 octobre 2008 à 14:31 par LDiCesare
4. Le jeudi 23 octobre 2008 à 22:56 par ceriselibertaire
5. Le vendredi 24 octobre 2008 à 12:00 par Mr Sardine
6. Le samedi 25 octobre 2008 à 08:11 par Mussipont
7. Le samedi 25 octobre 2008 à 14:28 par faisant fonction de greffier du juge des tutelles
8. Le dimanche 26 octobre 2008 à 11:39 par hatonjan
9. Le dimanche 26 octobre 2008 à 18:18 par Musashi
10. Le dimanche 26 octobre 2008 à 18:19 par Musashi
11. Le lundi 27 octobre 2008 à 12:23 par Mussipont
12. Le lundi 27 octobre 2008 à 18:34 par OlEB, juge de base
13. Le mardi 28 octobre 2008 à 06:19 par laura.conti1
14. Le mercredi 29 octobre 2008 à 21:47 par Musashi
15. Le mercredi 29 octobre 2008 à 22:00 par Musashi
16. Le jeudi 30 octobre 2008 à 23:12 par Kemmei