CIP, un métier d'avenir
Par Eolas le jeudi 23 octobre 2008 à 07:11 :: Magistrats en colère :: Lien permanent
Par WK, Conseiller d'Insertion et de Probation (CIP). Fonctionnaire relevant de l'Administration Pénitentiaire, il est l'auxiliaire du Juge d'application des Peines (JAP) et du service de l'exécution des peines du parquet. Il effectue des enquêtes en vue de l'aménagement de peines et suit l'exécution des peines aménagées.
Je suis CIP. Ce n'est pas un métier fort connu du grand public. Laissons la description d'une semaine de travail classique vous mener sur la voie de ce que je suis.
Lundi : de permanence en milieu ouvert[1], je reçois les personnes sortant de l'audience du Tribunal de Grande Instance condamnées à une peine d'emprisonnement avec sursis et une mise à l'épreuve ou à un Travail d'Intérêt Général. Ce jour là, je reçois également les "sortants" de prison qui n'ont pas de suivi, dans un délai de 6 mois après leur libération. Pour finir, je vérifie auprès du Parquet qu'aucune comparution immédiate n'a lieu cette après-midi. A toutes ces personnes, je leur expliquerai leurs droits et leurs devoirs dans le cadre judiciaire.
Mardi : de permanence en milieu fermé, je reçois les nouveaux "arrivants" à l'établissement pénitentiaire dont je dépend. Je m'occupe de prévenir les familles, de leur expliquer les mandats, les parloirs, le dépôt du linge, la peine, etc etc. Je m'occupe également ce jour là des prévenus qui nous ont envoyé un courrier : "prévenir mon avocat que...", "mes papiers ne sont pas à jour..." , "je voudrai participer à l'activité de...", "il faut retrouver mon chien, je n'ai pas de nouvelles depuis mon incarcération...". Bref, du tout venant.
Mercredi : une (voire deux) enquête(s) aménagement de peine sur mon secteur géographique, à ¾ d'heure de route de mon service. Le magistrat qui me mandate, le Juge d'Application des Peine (JAP), veut que je vérifie la faisabilité de l'aménagement de peine demandé. Rentrée, je tape mon rapport, le fait valider par mon chef. L'après-midi, j'ai une réunion partenariale avec au choix : l'ANPE, une association d'insertion, des éducs de tout poil, un lieu de TIG[2], des JAP, la direction de l'établissement pénitentiaire.
Jeudi, Vendredi et parfois Samedi : je reçois mes 165 suivis. 165 personnes à qui il faut que j'explique leur mesure de justice (Sursis Mise à l'Epreuve, TIG et sursis-TIG[3], PSE[4], Libération Conditionnelle[5], Semi-Liberté[6]). 165 personnes qui ne doivent pas récidiver ni manquer au respect de leurs obligations. 165 personnes qui me sont confiées par la Justice et qui doivent, à la fin de leur mesure, seulement aller mieux. Ces 165 personnes, au mieux je les vois tous les mois et demi. Parce que le temps me manque...un peu.
Entre temps, les demandes de rapports tombent : rapports semestriels sur la mesure, rapports d'audience lors d'une nouvelle comparution, rapports d'enquête ceci, rapports d'enquête cela.
S'il y avait un autre jour dans la semaine, je pourrai aussi m'occuper d'un de mes "champ d'intervention transversal" au choix : problématique du logement, maintien des liens familiaux, les ressources d'emploi, l'implantation de la culture en milieu carcéral...
Alors, qui suis-je ? Je suis travailleur social de l'Administration Pénitentiaire. Fonctionnaire de catégorie B+ ou encore Cii (recruté à Bac + 2, mais payé catégorie B). Nous sommes 3000 en France. Nous suivons les quelques 60 000 détenus en plus des 100 000 mesures de milieu ouvert. Nous sommes soumis au devoir de réserve, sans droit de grève. Nous nous sommes mis en mouvement en juin 2008 suite à un retocage indiciaire du revenu de nos supérieurs. Parce que nous avions été oubliés. Encore.
Nous ne sommes plus des Éducateurs depuis 1999, date de la création de notre corps. Nous sommes maintenant des Conseillers d'Insertion et de Probation. Conseiller quoi, insérer comment ? La politique du chiffre nous touche également et rend notre métier incohérent, impossible parfois.
On crie que nous n'arriverons à rien et que la société toute entière en paye les pots cassés. On hurle que nous mettons, au mieux, des pansements sur des jambes de bois bouffées par des termites. Nous étions 1000 devant le ministère en juin dernier, on voulait juste avoir les moyens humains, logistiques et financiers de faire notre métier correctement. Nous avons été accueillis par des CRS. Nous avons eu des 1/30 prélevés sur notre salaire. Parce que nos supérieurs estimaient que lorsque nous dénoncions notre situation nous n'assurions plus le service public. Parce qu'ils sont comme ça, nos supérieurs, ils aiment bien l'ironie.
Nous ne sommes pas connus du grand public et parfois c'est douloureux.
Nous ne sommes pas reconnus par notre ministre et toujours c'est affligeant,
frustrant, déprimant.
Merci de m'avoir lue.
Postface d'Eolas : merci à vous et à tous vos collègues. J'ai beaucoup de clients, d'ex-clients devrais-je dire mais je vous pardonne, qui s'en sont sortis grâce à vous. Parce que vous avez cru à ce dossier de libération conditionnelle monté en catastrophe qui a permis à ce père de retrouver ses enfants la veille de Noël. Parce que cette tête à claque qui ne savait que piquer des chéquiers a senti le vent du boulet avant qu'il n'obtienne in extremis une prolongation de délai d'épreuve qui lui a remis les pieds sur terre. Un bon CIP, ça vaut toutes les peines planchers pour lutter contre la récidive.
Notes
[1] Milieu ouvert : les condamnés ne sont pas incarcérés. Milieu fermé : ils le sont.
[2] Travail d'intérêt général, une activité non rémunérée effectuée à titre de peine, assortie d'une peine de prison mise à exécution si le TIG n'est pas effectué dans le délai fixé par le tribunal, 12 mois au maximum.
[3] Le TIG peut assortir une condamnation avec sursis ou être prononcée à titre de peine principale ; les modalités d'exécution varient légèrement, mais là n'est pas le sujet.
[4] Placement sous Surveillance Électronique, le “bracelet électronique”, qui permet de s'assurer que le condamné est présent chez lui aux heures déterminées par le JAP. Une sorte de détention à domicile.
[5] Généralement à mi-peine, le détenu qui présente des gages de réinsertion peut obtenir une libération conditionnelle, très encadrée par le JAP et suivi par un CIP. Il doit avoir un logement, un travail, un bon dossier disciplinaire, etc. Les libérés conditionnels sont ceux qui récidivent le moins.
[6] Régime d'exécution d'une peine d'emprisonnement : le condamné sort dans la journée de l'établissement pénitentiaire pour suivre une formation ou travailler ; il revient dormir en prison le soir. Les semi-libertés sont exécutées dans des établissements spécialisés pour éviter le contact avec les détenus : vous imaginez la source de trafic.
Commentaires
1. Le jeudi 23 octobre 2008 à 09:40 par Muscardin
2. Le jeudi 23 octobre 2008 à 10:15 par Mussipont
3. Le jeudi 23 octobre 2008 à 10:21 par karc'hariad
4. Le jeudi 23 octobre 2008 à 10:28 par abp
5. Le jeudi 23 octobre 2008 à 10:32 par Mandet
6. Le jeudi 23 octobre 2008 à 11:36 par AASJ
7. Le jeudi 23 octobre 2008 à 12:00 par Loop
8. Le jeudi 23 octobre 2008 à 13:36 par hatonjan
9. Le jeudi 23 octobre 2008 à 15:59 par lea
10. Le jeudi 23 octobre 2008 à 19:10 par Emilie aka WK, CIP
11. Le jeudi 23 octobre 2008 à 20:31 par hatonjan
12. Le jeudi 23 octobre 2008 à 23:11 par Emilie aka WK, CIP
13. Le vendredi 24 octobre 2008 à 00:04 par La Girafe
14. Le vendredi 24 octobre 2008 à 05:29 par Véronique
15. Le vendredi 24 octobre 2008 à 09:09 par Emilie, CIP
16. Le vendredi 24 octobre 2008 à 09:23 par Christophe
17. Le vendredi 24 octobre 2008 à 12:01 par Véronique
18. Le vendredi 24 octobre 2008 à 13:03 par Emilie, CIP
19. Le vendredi 24 octobre 2008 à 15:34 par Véronique
20. Le vendredi 24 octobre 2008 à 15:35 par Véronique
21. Le vendredi 24 octobre 2008 à 15:38 par Véronique
22. Le vendredi 24 octobre 2008 à 15:51 par Cippette un coup t'es tout pâle
23. Le vendredi 24 octobre 2008 à 18:00 par Emilie, CIP
24. Le vendredi 24 octobre 2008 à 18:40 par Armand
25. Le vendredi 24 octobre 2008 à 19:08 par Emilie, CIP
26. Le vendredi 24 octobre 2008 à 19:35 par Emilie, CIP
27. Le vendredi 24 octobre 2008 à 23:14 par CIP12
28. Le samedi 25 octobre 2008 à 01:17 par une etrangere
29. Le samedi 25 octobre 2008 à 09:42 par Véronique
30. Le samedi 25 octobre 2008 à 10:54 par CIP aussi!
31. Le samedi 25 octobre 2008 à 10:55 par CIP aussi!
32. Le samedi 25 octobre 2008 à 10:55 par CIP aussi!
33. Le samedi 25 octobre 2008 à 10:55 par CIP aussi!
34. Le samedi 25 octobre 2008 à 12:57 par une etrangere
35. Le samedi 25 octobre 2008 à 17:04 par Stephy
36. Le samedi 25 octobre 2008 à 18:46 par CIP encore !
37. Le samedi 25 octobre 2008 à 21:49 par Lucas Clermont
38. Le samedi 25 octobre 2008 à 23:57 par hatonjan
39. Le dimanche 26 octobre 2008 à 00:44 par boggey
40. Le dimanche 26 octobre 2008 à 07:21 par Véronique
41. Le dimanche 26 octobre 2008 à 09:50 par Emilie, CIP
42. Le dimanche 26 octobre 2008 à 10:06 par hatonjan
43. Le dimanche 26 octobre 2008 à 12:58 par Boggey
44. Le lundi 27 octobre 2008 à 08:00 par Véronique
45. Le lundi 27 octobre 2008 à 20:47 par Boggey