De la formation emphytéotique des nouveaux magistrats
Par Eolas le jeudi 23 octobre 2008 à 03:10 :: Magistrats en colère :: Lien permanent
Par Mandret, parquetier dans un petit tribunal
Les atteintes répétées à l’institution judiciaire en général et à la magistrature en particulier ont souvent pris la forme de critiques acerbes à l’encontre de la formation des magistrats. Trop centrée sur elle-même, ne donnant pas assez “d’épaisseur humaine” à ses étudiants, parfois même comparée à une usine de petits poids, que n’a t’on pas entendu ?
Alors c’est fait, Mesdames, Messieurs, la formation nouvelle est arrivée
L’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) a récemment présenté le “nouveau séquençage” de la formation initiale des magistrats. Outre l’introduction en début de scolarité d’un stage avocat d’environ 6 mois, la formation des magistrats français durera désormais 36 mois (contre 31 précédemment, déjà l’une des plus longue de la fonction publique).
A la lecture de ce projet, la formation débute donc désormais par un grand stage avocat, puis par huit mois d’études à l’école de Bordeaux, se poursuit par un stage juridictionnel de dix mois, continue par un stage extérieur à l’institution de six semaines auquel s’enchaîne un stage de langue avec séjour à l’étranger d’environ cinq semaines pour se terminer enfin par un stage de préparation aux premières fonctions (ouf !). Soit trois ans de formation après l’entrée à l’école qui succède, rappelons le, à cinq années d’études universitaires et parfois une à deux années de préparation au concours.
Un magistrat cuit à point est donc un magistrat à bac + 10.
Rappelons également que cette réforme fait suite aux conclusions de la commission parlementaire suite à l’affaire dite d’Outreau qui avait recommandé un rapprochement des formations magistrats/avocats et proposé avec force d’allonger significativement la durée du stage avocat déjà présent dans la formation initiale.
Les attentes et exigences multiples auxquelles a du répondre l’ENM depuis quelques années et l’introduction dans son cycle de formation de stages supplémentaires l’a donc conduite à étirer la durée de cette formation initiale pour la porter à trois ans.
En dépit des pratiques de nos voisins européens, en dépit de ce qui se fait s’agissant des autres écoles de la haute fonction publique, c’est décidé, le magistrat passera trois ans à la Magistrat’Ac ou ne sera pas
En effet, même si la comparaison est peu aisée compte tenu de la variété
des modes d’accession à la magistrature chez nos voisins, dans les pays qui
recrutent les auditeurs de justice par concours, la durée est plus proche des
deux années (Espagne et Portugal) et est même de 18 mois en Italie.
D’ailleurs dans ces pays l’allongement interminable la formation n’a pas
été privilégiée, mais l’exigence d’une expérience professionnelle
préalable a prévalu.
De même assez peu de pays ont mis en place un tronc commun entre magistrats
et avocats estimant que la faculté de droit jouait ce rôle.
Alors voilà, la mise en cause systématique de magistrats dans des faits divers plus médiatiques les uns que les autres justifie à peu près tout. Mais à y regarder de plus près, pourquoi faire passer 6 mois à un auditeur de justice chez un avocat ? Le stage précédent de 2 mois ne suffisait donc pas ? Etre élève pendant trois ans guérit donc de tous les maux de cette satanée jeunesse dont il faut absolument débarrasser les magistrats?
Il est absolument certain que le juge d’instruction ayant passé 4 mois de plus dans un cabinet d’avocat à rédiger des conclusions civiles sera plus à même de comprendre la situation de l’assassin ou de l'escroc qui lui fait face lors d'une mise en examen.
Il est tout aussi certain que le président correctionnel se souviendra de sa plaidoirie devant le tribunal de l’incapacité quand il aura à entendre une victime à la barre.
L’ouverture de l’école sur le monde extérieur et sur l’ensemble des acteurs qui font le monde judiciaire est essentielle. Mais pourquoi s’arc-bouter sur cette relation magistrats/avocats. Nos rapports sont ils si exécrables. Je ne le crois pas. Cette mesure a été prise pour contenter un petit nombre de parlementaires conseillés par une minorité d’avocats qui ne sont en rien représentatifs de la profession.
Tellement d’autres choses auraient pu être mises en place dans le cadre de cette réforme, qui n’était d’ailleurs pas indispensable, la formation de l’ENM (ancienne version) étant copiée dans de nombreux pays.
D’abord, l’idée d’une concertation européenne pour harmoniser les formations au sein de l’Union n’a jamais préoccupé nos dirigeants. L’idée de conditionner le concours à l’exercice d’une profession judiciaire préalable même de courte durée, de multiplier les stages dans des institutions ou entreprises totalement extérieures au monde judiciaire, ou tout simplement de mettre en place un système de parrainage en dehors de toute voie hiérarchique étaient sans doute trop simple pour être mise en place.
Enfin, il aurait été tellement plus naturel, pour répondre aux préoccupations visant le jeune magistrat esseulé face à son dossier, de tout simplement pourvoir des postes en sortie d’école dans de grands tribunaux, avec de nombreux collègues prêts à répondre à la moindre question du jeune arrivant plutôt que de faire, de ce bel outil qu’est l’ENM, une usine à gaz et de parsemer dans les barreaux de France et de Navarre de jeunes collègues en soif d’apprendre à devenir tout simplement ... Magistrats.
Commentaires
1. Le jeudi 23 octobre 2008 à 15:36 par mad
2. Le jeudi 23 octobre 2008 à 16:44 par Légisphère
3. Le jeudi 30 octobre 2008 à 09:43 par hatonjan
4. Le jeudi 30 octobre 2008 à 16:19 par Mandet
5. Le mercredi 5 novembre 2008 à 13:22 par Pax Romana
6. Le vendredi 7 novembre 2008 à 10:35 par Mandet