Je suis adjoint administratif faisant fonction de greffier…
Par Eolas le jeudi 23 octobre 2008 à 02:48 :: Magistrats en colère :: Lien permanent
Par Steppos, Adjoint administratif des Services Judiciaires (Il décrit en détail sa profession).''
Je suis adjoint administratif faisant fonction de greffier affecté auprès d'une des plus importantes juridiction de première instance de l'Hexagone, sinon peut être LA plus importante. Je suis en poste au sein des services judiciaires depuis un peu plus de quatre ans et demi seulement. Je n'ai connu que deux juridictions et cinq services différents, devant souvent jongler partiellement entre deux. Bref, je n'ai qu'une brève carrière et une expérience donc limitée. J'aimerais pourtant faire valoir ici mon sentiment sur cette justice qui est la notre !
Tout d'abord, et ce même si cela pourra paraître infiniment hors sujet, j'aimerais indiquer quelques mots sur le corps des adjoints des services judiciaires, ces petites mains selon moi trop méconnues de la plupart mais ayant pourtant son importance : puisque, comme dans toute organisation hiérarchiques pyramidale, c'est lorsqu'on se décide à se tourner vers la base, que l'on rencontre le plus d'individus...
Ils font partie des agents de la Fonction Publique d'Etat de catégorie C, auxquels, selon les statuts de la Fonction Publique, sont en principe dévolus des tâches dîtes d'exécution. (D'où, cette remarque cinglante que beaucoup – toutes administrations confondues – ont déjà dû entendre dans la bouche d'un chef de service : « vous n'êtes pas payé pour réfléchir ! »...) Au sein de ce corps des adjoints sont distingués les adjoints administratifs des adjoints techniques (anciennement agents techniques). À ces derniers sont par principe données des tâches manuelles, techniques ou de manutention. De ce fait, ils seront affectés généralement (mais la réalité peut en être tout autre !) notamment – et ce sous l'égide d'un greffier voire d'un greffier en chef – à un service des pièces à convictions, d'archivage, de reprographie, de traitement du courrier, de gestion des fournitures ou de réparation et d'entretien (bien que dans ce cas, cette tâche soit de plus en plus confiée à des sociétés extérieures) Quant aux adjoints administratifs, on peut à nouveau opérer une distinction : d'une part ceux exerçant des fonctions purement administratives, notamment auprès des services administratifs, budgétaires, de gestion du personnel ... des juridictions ou auprès des Services Administratifs Régionaux rattachés auprès de chaque Cour d'Appel (étant soulignés que depuis peu un corps de secrétaire administratif – catégorie B- a été créé au lieu et place des greffiers pour exercer ces fonctions administratives) ; d'autre part ceux exerçant des fonctions plus « juridictionnelles » au sein des Bureaux d'ordre civils ou pénaux, des services d'audiencement correctionnel, de services d'application ou d'exécution des peines et plus généralement des greffes. Et ce sont ces derniers que l'on pourrait qualifier – reprenant les mots de Me Eolas – de « secrétaires de justice ». Le plus souvent les adjoints administratifs affectés à un greffe sont « faisant fonction de greffier ».
Et c'est là que le bât blesse...
Pour l'accès au fonction de greffier est exigé un diplôme de niveau BAC + 2 ou équivalent ( Je ne suis pas certain que les textes imposent un diplôme sanctionnant un cursus en droit mais cela me semble nécessaire au vu de la teneur des épreuves du concours de greffier![1]) Pour l'accès aux fonctions d'adjoint, le concours est de niveau 3ème... (du moins lorsque je l'ai tenté). Comprenez bien : le BEPC n'est pas même exigé !
Pour ma part, je suis titulaire d'une maîtrise en droit, donc a priori ai je les connaissances théoriques requises pour exercer les fonctions de greffier. Mais je sais que tel n'est pas le cas de certains de mes collègues (même si la plupart d'entre eux est bardée de diplômes universitaires ou autres mais dans d'autres spécialisations) et généralement dans les juridictions importantes, un adjoint prête serment dès sa titularisation ( sinon avant , même si cela semble légalement contestable!) afin de pouvoir assurer un turn over sur les audiences civiles et correctionnelles à défaut d'un nombre de de greffiers suffisant. (D'ailleurs il me semble qu'un agent ne peut refuser une première demande de sa hiérarchie d'assurer ces fonctions sous peine d'engager sa responsabilité disciplinaire. Il le pourra par la suite et ce définitivement mais en pratique cela se ressentira sans doute sur son avancement).
En conséquence, une personne n'ayant comme connaissance juridique en tout et pour tout que les quelques jours de formation accélérée suivie à l'Ecole Nationale des Greffes et les quelques stages théoriques et pratiques en juridiction, accomplira des tâches de greffe, tiendra des audiences, signera des décisions et sera garant de la procédure, du jour au lendemain, au même titre qu'un greffier !
Ceci étant et afin de lever toute ambiguïté, je n'affirme pas ici que ces collègues n'ayant pas derrière eux un cursus en droit ne sont pas compétents, je dénonce seulement un système – légal puisque prévu dans les statuts voire peut être dans le COJ (Je ne l'ai jamais vérifié) – qui me semble absolument absurde. D'ailleurs j'estime que ces collègues sont tout aussi compétents que tout autre puisque selon moi, ce n'est pas l'enseignement théorique reçu qui fait la compétence, mais bien la pratique ! (En quatre ans et demi d'ancienneté administrative, j'ai appris bien plus qu'en quatre ans de faculté de droit...)
Et imaginez vous que l'absurdité cesse là ? Que la qualité de faisant fonction est l'apanage des adjoints administratifs ? Que nenni !
Dans bon nombre de juridiction, des greffiers, généralement de premier grade, sont amenés à exercer des fonctions de chef de service, en qualité de faisant fonction de greffier en chef, étant souligné que de part leur tâches originelles, ils ont d'avantage des compétences juridictionnelles et procédurales que de gestion de personnel, d'organisation de travail, bref de management... Là encore la raison en est toujours l'éternelle pénurie de personnel. Et là encore, cette pratique est tout à fait légale.
Et c'est dans ces conditions de faisant fonction de greffier (j'ai prêté serment il y a trois an de cela) que j'ai été amené à gérer seul, le greffe d'une Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infraction de province (sommes toutes moyenne) Moi un simple adjoint administratif, un simple fonctionnaire de catégorie C, avais je entre les mains quelques centaines de victimes en attente d'être indemnisée par un Fonds de Garantie des actes de terrorismes et autres infractions ! Si officiellement, ce service était « chapeauté » par un greffier affecté à un autre service (sur lequel j'étais affecté d'ailleurs partiellement en renfort...), officieusement , je répondais seul du fonctionnement de cette CIVI devant ma hiérarchie.
Actuellement, suis je toujours faisant fonction mais au sein d'un greffe composé d'un greffier et d'un second adjoint, ce qui est bien plus confortable!
Évidemment, comme tout faisant fonction, n'ai je aucune augmentation de traitement, prime ou indemnité... D'ailleurs,une magistrate siégeant à la CIVI, apprenant cet état de fait, avait souligné que dans toute entreprise privée, une telle situation serait susceptible de susciter un recours en reclassement du salarié devant le Conseil de Prud'Homme, avec toutes les conséquences financières l'accompagnant. Mais ce type de recours est bien évidemment absent dans le cadre de la Fonction Publique.
J'aimerai d'ailleurs ouvrir une nouvelle parenthèse - totalement hors sujet je l'admets - sur ce point : une parenthèse destinée à toutes ces personnes qui considèrent tout fonctionnaire comme nantis et privilégiés. Si effectivement la jurisprudence administrative s'est fortement inspirée de la législation du travail des salariés du privé pour dresser les règles applicables aux fonctionnaires, elle n'en a pas repris l'intégralité. Qui plus est, ces règles évoluent bien moins rapidement que celle applicables au privé, notamment concernant les avantages. Je ricane doucement chaque fois que j'entends notre cher Roi Président annoncer sans vergogne que les heures supplémentaires des fonctionnaires sont payées et majorées ! Au sein des deux juridictions auxquelles j'ai pu appartenir, je n'ai jamais « pointé » et donc toute heure supplémentaire effectuée n'était dès lors pas comptabilisée. En outre, dans toutes les juridictions où un système de « pointeuse » a pu être instauré (ainsi que dans d'autres administrations ), il n'a jamais été question que ces heures soient payées mais simplement récupérées ! Ce qui est d'ailleurs le cas des greffiers ayant assuré les permanences de week end ou les audiences tardives (étant précisé que ce droit à récupération n'est pas offert aux faisant fonction...) Bref, les seuls « privilèges » que je puis concéder à nos détracteurs et l'application – pour le moment - maintenue des 35 h et la sécurité de l'emploi. Mais au vu de l'actuelle réforme du statut de la Fonction Publique, je doute que ces exceptions perdurent...
Sur ce, je referme cette parenthèse...
Mais si les adjoints ne sont pas dans une situation des plus réjouissantes, ce ne sont pourtant pas les plus mal lotis ! Ici la palme revient sans nul doute aux vacataires, assistants de justice ou autres stagiaires... tous ces contractuels (sous)rémunérés au SMIC/horaire qui contribuent à la « survie » de bon nombre de juridictions. Et je les remercie tous aujourd'hui ! A ce titre, dans mon ancienne juridiction, le bureau d'ordre pénal ainsi que l'audiencement correctionnel ne fonctionnaient véritablement que grâce à une dizaine de vacataires recrutés rituellement. Et dès la cessation de leur CDD, les services en question s'effondraient jusqu'à la nouvelle vague de recrutements suivante. De même le greffe civil avait il l'habitude de demeurer à flot grâce à l'aide d'une ribambelles de contractuels. Plus récemment, dans mon actuel service, sa survie n'a été possible que par le biais de l'affectation de deux vacataires durant cinq mois.
Ce recours aux contractuels est courant et tendra à se généraliser. Et pour cause ! Il s'agit là d'une mannes financière, d'une main d'œuvre bon marché et souvent compétente car issue de licences ou masters en droit ! Alors pourquoi l'administration judiciaire se priverait elle de cette aubaine ?
De même pourquoi se priverait elle des assistants de justice ? Ces jeunes et jeunettes souvent en troisième cycle, dont la loi prévoit qu'ils effectuent des recherches de documentation et de jurisprudence, rédigent des notes de synthèse des dossiers ou des projets de décisions sur les instructions et indications des magistrats. Bien sûr, il convient d'ajouter qu'ils ne disposent d’aucun pouvoir juridictionnel : ils ne prennent en aucun cas de décision (à la différence d'un auditeur de justice). J'ai côtoyé quelques assistants de justice et l' « assistance » des magistrats n'était pas réellement ce qui ressortait de nos conversations. Eux se sentaient d'avantage exploités et considéraient que leurs magistrats avaient tendance à se décharger sur eux (et parfois de tâches n'ayant aucun lien avec leurs fonctions,comme par exemple des recherches et documentations pour leurs rejetons étudiants en droit). Et, à la lecture des attributions dévolues par la loi même, il semble que la différence entre les tâches de l'assistant de justice et celle du magistrat soit bien mince, elle ne tient qu'en quelques mots : « ils ne prennent en aucun cas de décision ».
Mais voilà, en pratique, l'assistant prépare le dossier, assiste aux débats et aux délibérés et rédige la décision de A à Z... Je n'ai jamais réellement assisté à un délibéré (et pour cause) mais il me semble que les magistrats sont censés discuter de la décisions à prendre, confronter leurs opinions et s'accorder sur la manière de trancher le litige et aux termes de cette discussion collégiale, chaque magistrat partant avec la trame à suivre dans la décision qu'il devra rédiger. Alors qu'elle est la différence entre ces magistrats et cet assistant de justice qui aurai assisté au délibéré ? Un terme, un seul : au lieu de discussion, on parle d'instruction. Mais le résultat semble selon moi être le même... Mais tout ceci n'est qu'un sentiment. Comme je l'ai souligné plus haut : je n 'ai jamais assisté à un délibéré et ne sait donc pas comment ça se déroule réellement. (D'ailleurs je suis ouvert à tout commentaire pouvant éclairer ma lanterne, puisque je sais d'ores et déjà que des assistants de justice participent à cette tribune )
Quoiqu'il en soit, même à supposer (et j'imagine que c'est le cas ! ) que les formes légales soient respectées dans le recours aux assistants, c'est tout de même là une magnifique entourloupe législative pour suppléer au manque de magistrats sans en recruter ! Pensez donc ! Un contractuel (sous)payé au SMIC au lieu d'un magistrat avec traitement et primes afférentes ! Et c'est d'ailleurs dans la même logique qu'à un GEC peut être suppléer un greffier, à un greffier, un adjoint, à un adjoint, un vacataire. La Grande Dame est avare et cela ne joue pas en sa faveur !
Je pourrai en écrire bien d'avantage au bout d'un peu plus de quatre ans d'ancienneté (alors je n'ose imaginer ce que pourraient écrire ceux qu'on fait toute leur carrière au service de la Grande Dame ) Mais je vais cesser là mes récriminations.
Je terminerai simplement sur une esquisse laconique de la situation de mon actuel service. Depuis plus de deux ans, il demeure perpétuellement en effectif déficitaire, tant au niveau des magistrats que du greffe (Cf supra) et ce n'est pas un cas isolé . Jusqu'à la fin de l'année, il ne reste qu'un magistrat sur trois, sur une des sections, pour traiter des quelques sept cents dossiers (avec pour seul espoir une éventuelle mise à niveau des effectifs à l'aube 2009) si bien que certaines affaires en état d'être plaidées ont dû être redistribuées en urgence sur l'autre section afin que les débats se tiennent avant la fin de l'année, à défaut de quoi ils n'auraient pu être fixé que sur le premier trimestre de l'année prochaine. D'ailleurs les renvois des affaires se font d'office, depuis la reprise après vacations, sur 2009 et bien sûr les avocats me tombent dessus à bras raccourci, et ce avec plus ou moins de politesse (n'en déplaise à Me Eolas !) Ceci étant, je comprends évidemment cette réaction : eux ont leurs clients derrière eux qui leur mettent la pression. Mais voilà la maison ne fait pas de miracles ! (J'ai pourtant demandé des formations en faiseur de miracle et pour cultiver un don d'ubiquité, mais elles m'ont été refusées...)
C'est là un fonctionnement anormal du service. Mais même à effectifs complets, il ne peut fonctionner véritablement selon les règles édictées par le CPC et le COJ : à sept demi journées d'audiences par semaine, ni le greffier, ni les adjoints ne peuvent se permettre d'y assister à toutes . Aussi la pratique est de déserter les audiences de plaidoiries... Pratique totalement illégale (et il me semble même qu'un plaideur pourrait fort bien soulever la nullité des débats faute de greffier mais je laisse les professionnels de la chose confirmer cette hypothèse) mais nécessaire afin que la Justice puisse être rendue !
Dans ces conditions comment la justice peut elle être rapide, efficace et infaillible comme l'opinion publique et les politiciens exigent d'elle qu'elle soit ?
Pour conclure, je n'ai pas espéré depuis toujours pouvoir intégrer le monde judiciaire. Pourtant, tout môme, j'imaginais la justice comme ces statues dressées fièrement dans maintes tribunaux : une Grande Dame armée de son glaive, l'équilibre de sa sentence dans l'autre poing et coiffée du symbole de la démocratie française, combattant farouchement, au nom de la veuve et de l'orphelin, les injustices, les mécréants, les malfaisants (oui j'étais assez adepte de romans de chevalerie) Désormais je la vois d'avantage comme une « bonne femme », une ménagère de moins de cinquante ans, affalée sur un vieux canapé miteux devant sa télé, une fois la marmaille couchée, et ne réagissant qu'à la tristesse d'un suicide d'un jeune détenu dans sa cellule, à l'injustice d'un innocent condamné à tort, à la bestialité d'un violeur multi-récidiviste fraîchement libéré après avoir purgé sa peine...
Pourtant, je sais que la Grande Dame existe toujours et il convient à nous, petites gens et grandes gens du palais, de La réhabiliter !
En définitive, je me sens comme un sale cabot venant de prendre une rouste : j'encaisse les coups, je courbe l'échine, pourtant, je continue à l'aimer cette fichue Grande Dame, et je reviens vers elle fidèlement pour la servir, encore et toujours, avec fierté...
Notes
[1] Une épreuve écrite de culture générale de 4 heures, coef. 4 ; une épreuve écrite de droit et procédure, au choix du candidat : civil, pénal, travail, coef 4 ; en cas de moyenne de 10/20, grand oral de 20 mn, coef. 4 ; une épreuve orale de 15 mn sur une des deux matières juridiques non prises à l'écrit, coef. 3 ; oral de 15 mn sur les institutions politiques, administratives et judiciaires de la France, coef. 3.
Commentaires
1. Le jeudi 23 octobre 2008 à 18:22 par Herbie
2. Le vendredi 24 octobre 2008 à 00:40 par Raph
3. Le vendredi 24 octobre 2008 à 12:17 par Steppos (ayant déjà signe certains commentaires sous AASJ)
4. Le vendredi 24 octobre 2008 à 20:18 par Raph