Ressenti
Par Eolas le jeudi 23 octobre 2008 à 02:13 :: Magistrats en colère :: Lien permanent
Par Juge d'instance, juge… d'instance. Si, si. Il présente lui-même ce qu'est cette juridiction. Les notes de bas de page sont d'Eolas.
Je profite de l'occasion donnée, dont je vous remercie sincèrement, pour m'exprimer sur les difficultés quotidiennement rencontrées. Je serai volontairement sobre.
J'exerce dans un tribunal d'instance de province, de taille moyenne.
Pour ceux qui l'ignorent, le tribunal d'instance est une juridiction d'exception[1] dont la compétence est limitativement énumérée. Il connaît ainsi des litiges de moins de 10 000 €, du contentieux locatif, des régimes de protection des majeurs (tutelle et curatelle) et des mineurs (administration des biens, tutelle), des saisies des rémunérations du travail, du paiement direct des pensions alimentaires et, pour le mien par délégation, du surendettement. Et encore vous ai-je fait grâce des contentieux exotiques (douanes, conditions des funérailles…). Il connaît également des contraventions (par exemple de la plupart des excès de vitesse)[2].
La juridiction d'instance a subi, subit et subira les réformes sans moyen.
En voici un aperçu chronologique.
La juridiction de proximité :
Invention de l'ère chiraquienne, destinée à rapprocher la justice du justiciable. Plusieurs juges (non professionnels) sont actuellement en fonction. Il a fallu prendre sur notre temps pour les former, temps en partie consacré en pure perte, certains n'ayant pas été retenus. Une fois en place, pas de personnel de greffe supplémentaire. Les audiences qui leur sont attribuées viennent en déduction de celles tenues par les magistrats professionnels. Et cela ne s'est pas traduit par une décharge d'activité puisque dans le même temps, le taux du ressort s'est accru à 10 000 €[3].
Résultat des courses, le nombre de dossiers examinés par audience s'allonge, de même que les délais. Et, quand il n'y a pas de juge de proximité, c'est le juge d'instance professionnel qui exerce la fonction,,, Que de complexité!
Le rétablissement personnel :
Il est né de la loi de la seconde chance de M. Borloo, avant qu'il n'aille herboriser à l'écologie. Le principe : les personnes dont la situation est irrémédiablement compromise sont orientées par la commission de surendettement vers le juge de l'exécution, qui peut prononcer un rétablissement personnel avec, à la clé, l'effacement des dettes.
Dans un premier temps (il a fallu attendre 3 ans et demi pour que la loi soit modifiée), et alors même que le travail avait été fait par la commission, le juge devait saisir un mandataire (au coût modique de 200 € H.T.) pour établir le bilan économique et social de la situation, même pour quelqu'un au RMI ou retraité. Réforme comme toujours sans moyen supplémentaire (un poste de fonctionnaire a été créé pour cette activité, toujours pas pourvu depuis plusieurs années). Conséquence, le délai d'examen de la procédure entre la transmission par la commission et le juge d'instance (faisant fonction de juge de l'exécution) a un temps avoisiné 2 ans (estimons nous heureux, le rapport du comité de suivi de cette loi a pointé certaines juridictions à 5 années…). Ainsi, entre la saisine de la commission et la fin de la procédure, 3 ans s'étaient en moyenne écoulés.
Depuis, le délai est retombé à 14 mois environ. Et il ne s'agit pas de paresse de notre part : les audiences étaient de 7 dossiers il y a 5 ans, de 15 à 20 aujourd'hui. Les personnes attendant dans le couloir apprécient.
La réforme des tutelles
A compter du 1er janvier prochain, l'ensemble des mesures de protection ouvertes (tutelle ou curatelle) doivent être révisées, afin de déterminer si la mesure doit être ou non maintenue, allégée ou aggravée. Une paille, quelques milliers, Aucun moyen supplémentaire encore une fois. La charge de travail est évaluée, j'arrondis, à un demi-temps plein de magistrat sur 3 ans, et un temps plein de greffier : il faut entendre les incapables[4], leur représentant, la famille peut-être. Il est inutile de se demander ce qui arrivera à l'expiration du délai de révision prévu par la loi : les mesures qui n'auront pas été étudiées prendront fin d'elles-mêmes, et elles seront sûrement légion. Et je ne développe pas pour être trop long sur le coût des expertises obligatoires qui resteront, s'agissant d'une obligation imposée en cours de mesure par la loi, à la charge du budget de l'Etat (soit 200 € environ par expertise que multiplient quelques milliers d'expertises, que multiplient quelques centaines de tribunaux d'instance). C'est toujours moins que les milliards pour les banques me direz-vous.
La réforme de la carte judiciaire
Réforme phare de ce gouvernement, qu'aucun autre n'avait parait-il réussi à mener à terme. Notre tribunal d'instance absorbera plusieurs juridictions supprimées et devrait augmenter son effectif de greffe d'un tiers (rien n'est sûr : de 4 à 8 personnes en plus selon les départs). Accroissement qui ira de pair avec l'activité récupérée de ces juridictions. Aucun gain à espérer de ce côté. Les locaux sont à aménager, pour en «densifier l'occupation», selon les termes poétiques de la Chancellerie. Petit problème, nous sommes déjà en octobre 2008 et rien n'est encore programmé… Où loger les nouveaux arrivants ? Et bien évidemment, je ne parle pas des archives, que nul ne sait où ranger. Une sacrée pagaille en perspective.
J'espère ne pas avoir été trop long et avoir donné un aperçu des difficultés dans lesquelles nous nous débattons, afin que le justiciable n'en pâtisse pas trop, C'est loin d'être toujours réussi.
Pour en sortir, pour ne pas augmenter la dépense publique (il n'y a plus de sous, sauf pour les banques), cessons les réformes ineptes, irréfléchies, votées à la va-vite, mal rédigées, non financées et sans moyen.
Simplifions, mais de la vraie simplification, pas celle qui complexifie pour simplifier (la dernière proposition de loi dite de simplification et d'allègement des procédures que vient d'adopter en première lecture l'Assemblée Nationale fait plus de 70 pages…).
Notes
[1] Par opposition à la juridictio nde droit commun qu'est le tribunal de grande instance (TGI) : le TGI connaît de tout litige que la loi n'a pas, par exception, attribué à une juridiction spéciale, appelée juridiction d'exsception. Cette expression n'a en langage juridique aucune connotation péjorative.
[2] Son greffe gère aussi les demandes liées à la nationalité française, délivrant les certificats de nationalité et enregistrant les déclarations d'acquisition de la nationalité (enfants étrangers nés en France, époux de Français…
[3] Il était auparavant de 7600 euros
[4] Incapables juridiquement, c'est-à-dire incapables par l'effet de la loi de faire valablement des actes juridiques : ce terme recouvre les mineurs, les personnes très âgées, les personnes malades mentales…