Semaine classique dans un tribunal
Par Eolas le jeudi 23 octobre 2008 à 02:11 :: Magistrats en colère :: Lien permanent
Par la Biscotte, juge d'instruction… entre autres. Les notes de bas de page sont d'Eolas.
Lundi après-midi, audience correctionnelle à juge unique... 34 dossiers à juger, moyenne habituelle…
Petit calcul : l'audience commençant à 13h30, mettons 20 mn par dossier tout compris (exposé des faits, audition du prévenu, éventuellement de la victime, de son avocat, réquisitoire du parquet, plaidoierie de la défense), ça nous mène à.... euh...680mn, donc euh.. plus de 11h d'audience ? Finir à minuit et demi, ça va pas être possible là…
Bon, tant pis, je vais renvoyer des dossiers d'office : les gens seront pas contents d'être venus et d'avoir attendus pour rien, mais je ne peux décemment pas continuer à les juger passé une certaine heure…
Hein ? La circulaire Lebranchu fixant la durée maximale des audiences à 6h ? Bah oui, mais vu le stock des dossiers en attente et le manque de magistrats et greffiers, si je l'applique concrètement cette circulaire, je vais me faire appeler Arthur par ma hiérarchie (mais gentiment hein, je suis indépendante ! et ce sera aussi gentiment inscrit dans mon dossier…) Passons…
Mardi : CRPC[1], aussi appelée “ plaider coupable ”. C'est nouveau ça, plus d'audience, ça se passe en catimini entre le procureur et le prévenu, puis devant le “ juge homolagateur ”…à savoir bibi.
Bon, les peines proposées sont pas celles que j'aurais appliquées à l'audience, mais bon, si je refuse d'homologuer trop de peines, ça va repartir dans le circuit classique des audiences correctionnelles (voir plus haut). Bon, puisque le prévenu est d'accord pour cette peine, homologuons…
Tiens, une loi va sortir pour permettre au juge homologateur de fixer une peine moins lourde que celle proposée par le parquet…
Euh...ils nous réinventent l'audience correctionnelle là ?? La publicité et le débat en moins…
Passons…
Mercredi : l'instruction (et oui, c'est ma fonction principale).
Bon, étant arrivée en poste au moment de l'affaire Outreau, on peut pas dire que je suis vraiment sereine mais bon…
En même temps, plus ça va, moins le procureur en ouvre, des informations judiciaires[2]. Faut dire, ça coûte cher l'instruction, et on a plus d'argent !
Bon, les affaires sont quand même jugées, hein, mais beaucoup plus vite, on va dire. C'est vrai que le problème, c'est qu'à l'audience, les juges ont un peu de mal à savoir réellement ce qui s'est passé, les policiers n'ont pas eu le temps de faire les vérifications, y'a pas eu de confrontations, et on sait rien de la personnalité du prévenu et de sa victime.
Mais bon, le type reconnaît les faits, il est en récidive, il encourt 3 ans de peine plancher, les juges sont un peu coincés là.
Et puis moi, je suis dans un tribunal qui n'a pas eu la chance d'être “ pôle de l'instruction ”, ça veut dire que je ne m'occupe plus des affaires criminelles.
Les enquêteurs sont pas ravis, leur juge d'instruction se trouve maintenant à plus de 100 km d'eux. Pas facile pour travailler en équipe sur ce coup-là…
Les victimes ne sont pas ravies non plus : elles ont pas les moyens de payer le train pour être entendues par le juge d'instruction.
Le juge en question est pas ravi non plus : il avait déjà un cabinet surchargé, et maintenant il doit s'occuper de mes dossiers en plus !
Passons…
Jeudi : Rachida Dati sur France 2. Je sais bien que je ne devrais pas regarder mais bon… Et je ne suis pas déçue, la nausée est à la hauteur du discours de la Garde des Sceaux.
Que de mensonges, que de démagogie, c'est du grand art ! Et ça fonctionne, hélas…
A l'entendre, tout va bien, sa politique pénale est formidable, et nous autres, pauvres magistrats, ne savons que nous plaindre, et refusons de nous moderniser !
Bah, moi, je voudrais bien me moderniser ! Par exemple, quand mon fax est tombé en panne, j'ai tout de suite alerté le greffier en chef pour en avoir un nouveau. Bon, je l'ai eu, j'ai juste dû attendre 4 mois (pour info, le fax à l'instruction, c'est vital, pour recevoir notamment les demandes de mise en liberté des détenus).
Passons…
Vendredi : Comparutions immédiates.
Là, c'est la justice expéditive : en 48 h de moyenne, le type passe de la case arrestation à la case prison, sans toucher 20 000 francs ! Les victimes ont rarement le temps de se préparer (quand elles ont eu la chance d'être prévenues de l'audience), et le tribunal dispose que de très peu d'infos sur le prévenu.
Aïe, il est en récidive, d'où peine plancher applicable.. 3 ans de prison, ça fait beaucoup, non, pour un vol de CD à Carrefour avec un copain ?
Le pauvre substitut est quand même obligé de la requérir, il n'a pas envie d'être convoqué place Vendôme, sinon !
Hein? Le suicide du mineur incarcéré ? Bah oui, là, il aurait fallu être moins sévère apparemment.
C'est quoi déjà les symptômes de la schizophrénie ?
Passons…
Ou plutôt non, tiens, ne passons pas, ça fait un bail qu'on passe, et c'est de pire en pire !
Jeudi, j'irai manifester avec les collègues.
Si l'actualité est calme ce jour-là, on aura peut être quelques échos dans la presse.
Commentaires
1. Le jeudi 23 octobre 2008 à 14:08 par Gari
2. Le jeudi 23 octobre 2008 à 14:55 par Kemmei