les mystères de l'OPP
Par Dadouche le mardi 8 juillet 2008 à 16:25 :: Commensaux :: Lien permanent
Par Dadouche
J'ai déjà évoqué à plusieurs reprises (par exemple ici) l'OPP, l'Ordonnance de Placement Provisoire, qui peut être la hantise du juge des enfants ou du substitut des mineurs quand on lui demande de la prendre un vendredi soir à 18 heures.
Un récent article de Libération évoque une OPP prise par le parquet de Nanterre.
Je n'entrerai pas dans le détail de cette situation, que je ne connais pas, et au sujet de laquelle l'article donne essentiellement le point de vue des parents. Mais c'est l'occasion de rappeler le fonctionnement de cette procédure, humainement jamais facile à mettre en oeuvre, qui entraîne le placement en quelques heures d'un mineur.
D'abord le principe : le juge des enfants ne prend aucune décision sans audience préalable, avec convocation de la famille.
C'est le premier alinéa de l'article 1184 du Code de Procédure Civile : Les mesures provisoires prévues au premier alinéa de l'article 375-5 du code civil, ainsi que les mesures d'information prévues à l'article 1183 du présent code, ne peuvent être prises, hors le cas d'urgence spécialement motivée, que s'il a été procédé à l'audition, prescrite par l'article 1182, du père, de la mère, du tuteur, de la personne ou du représentant du service à qui l'enfant a été confié et du mineur capable de discernement.
Les convocations pour cette audience doivent être adressées 8 jours au moins avant la date de celle-ci (article 1188 CPC)
La décision prise par le juge des enfants à l'issue de cette audience est alors en principe un jugement.
Si cette procédure permet d'agir relativement vite, il est cependant des cas où une intervention immédiate peut être nécessaire.
Rappelons qu'en tout état de cause le juge des enfants intervient lorsque la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises (article 375 du Code Civil)et que chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel (article 375-2).
Les situations où une Ordonnance de Placement Provisoire peut être nécessaire supposent donc quelque chose de plus que l'existence d'un danger.
Deux hypothèses :
- le juge des enfants est déjà saisi de la situation du mineur
Une mesure d'action éducative en milieu ouvert ou une mesure d'investigation est déjà en cours et des éléments apparaissent brusquement, qui rendent indispensables un placement le jour même. Exemples parmi de nombreux autres : le mineur est hospitalisé à la suite de violences subies au domicile, les parents ont mis à la porte leur ado dont ils ne supportent plus les provocations, ...
Les dispositions de l'alinéa 1er de l'article 375-5 du Code Civil permettent alors au juge des enfants d'intervenir en urgence et de confier provisoirement, par ordonnance, le mineur à une structure habilitée. Il doit dans sa décision caractériser, outre les motifs qui rendent le placement nécessaire, l'urgence qui empêche de respecter la procédure habituelle de convocation préalable.
L'alinéa 2 de l'article 1184 du CPC dispose alors que : Lorsque le placement a été ordonné en urgence par le juge sans audition des parties, le juge les convoque à une date qui ne peut être fixée au-delà d'un délai de quinze jours à compter de la décision, faute de quoi le mineur est remis, sur leur demande, à ses père, mère ou tuteur, ou à la personne ou au service à qui il était confié.
A l'issue de cette audience, un jugement est rendu qui peut soit maintenir la décision de placement soit y mettre un terme.
- le juge des enfants n'est pas encore saisi de la situation
C'est le Procureur de la République qui est destinataire d'un signalement urgent, qui peut émaner de l'Aide Sociale à l'Enfance, d'un service hospitalier, de l'Education Nationale, des services de police. Il peut s'agir d'un mineur en fugue trouvé sur le ressort, d'un mineur victime de mauvais traitement, d'un mineur étranger isolé (sans doute la majorité des situations dans les plus grosses juridictions), d'un mineur dont les deux parents sont en garde à vue et pour lequel il n'y a pas de solution familiale... Les situations sont multiples.
Les dispositions de l'article 375-5 du Code Civil permettent alors au Procureur de confier le mineur provisoirement à une structure, à charge pour lui de saisir le juge des enfants dans un délai de 8 jours par requête.
L'alinéa 3 de l'article 1184 du CPC dispose alors que :Lorsque le juge est saisi, conformément aux dispositions du second alinéa de l'article 375-5 du code civil, par le procureur de la République ayant ordonné en urgence une mesure de placement provisoire, il convoque les parties et statue dans un délai qui ne peut excéder quinze jours à compter de sa saisine, faute de quoi le mineur est remis, sur leur demande, à ses père, mère ou tuteur, ou à la personne ou au service à qui il était confié.
C'est le cas décrit dans l'article de Libération : l'OPP a été prise par le Parquet le 26 juin, on peut raisonnablement penser que la requête a été faite le même jour, et l'audience est prévue le 10 juillet, dans le délai de 15 jours.
Ce délai de 15 jours prévu dans les deux hypothèses, qui paraît toujours trop long aux premiers intéressés, permet non seulement au juge d'organiser matériellement l'audience (libérer un créneau dans son emploi du temps, faire adresser les convocations en temps utile) mais également de rassembler davantage de renseignements que ceux qui ont conduit à la prise de décision en urgence.
Comment en effet éclairer la prise de décision finale si on ne dispose pas d'autres éléments que ceux que l'on avait lorsqu'on a pris la décision en urgence ? Les observations réalisées durant le placement peuvent être précieuses, des dispositions peuvent être prises par la famille durant ce délai (par exemple hospitalisation d'un parent, reprise d'un traitement, départ d'un conjoint violent).
Une OPP n'est pas nécessairement suivie d'un placement à plus long terme. Elle peut permettre de procéder à des investigations complémentaires, de calmer une situation de crise. Elle peut aussi, même si elle n'est pas utilisée dans ce but, être un électrochoc qui permet des changements dans une situation complexe.
Elle peut également avoir des conséquences désastreuses, en braquant durablement les parents qui se sentent stigmatisés.
Vous l'aurez compris : ce qui caractérise l'OPP c'est l'urgence, la nécessité d'agir sans délai.
Je ne connais aucun magistrat qui aime statuer par OPP : agir en urgence, c'est presque toujours le signe qu'on a pas su repérer une situation de crise qui couvait. Par ailleurs, une décision sans audience préalable est toujours insuffisamment éclairée et mal comprise par les premiers concernés.
La réflexion est permanente sur le sujet de l'urgence : faut-il intervenir ? faut-il faire jouer un soi-disant principe de précaution ? est il préférable que le Parquet prenne l'OPP ou qu'il saisisse le juge des enfants immédiatement et lui laisse le soin d'en apprécier l'opportunité ? comment agir dans l'urgence et non dans la précipitation ?
Les réponses sont différentes selon chaque situation. Elles peuvent dépendre par exemple de l'âge des mineurs concernés : un bébé est plus vulnérable qu'un enfant plus âgé, qui peut alerter sur sa situation. La protection de la sécurité physique immédiate peut plus fréquemment nécessiter d'agir sans délai que les hypothèses de carences éducatives, même graves. L'intention affichée des parents de s'éloigner au plus vite pour éviter une intervention des services de protection de l'enfance peut également justifier une intervention en urgence, de même que l'existence de précédents de violence au sein de la famille.
Je ne tenterai pas de faire croire que toutes les OPP apparaissent justifiées a posteriori. Mais il est facile de refaire le match une fois qu'il est terminé.
Par ailleurs, aux grands principes qui guident l'action des magistrats viennent se mêler des réalités matérielles et humaines. Quand un enfant qu'on n'a pas placé assez vite s'est retrouvé à l'hôpital, on a tendance ensuite à faire jouer un principe de précaution dans des situations tangentes. Quand on entend, après un dramatique fait-divers, que "le juge doit payer", on est tenté d'ouvrir le parapluie un peu plus vite. Quand on a déjà vingt-cinq audiences prévues dans la semaine, on est secrètement soulagé que le Parquet prenne l'OPP et rédige sa requête quelques jours plus tard pour laisser le temps de caser cette audience imprévue dans les délais légaux. Quand on voit arriver une requête avec demande d'OPP, que l'Aide Sociale à l'Enfance n'attend à l'autre bout du fax que ladite OPP pour organiser le placement, qu'on sait que passé une certaine heure la décision sera plus compliquée à mettre en oeuvre, qu'on sort d'une audience houleuse et qu'on se prépare à la suivante qui ne sera guère plus tranquille, on prend le temps de lire les éléments de façon approfondie voire de décrocher son téléphone pour obtenir une précision supplémentaire, mais pas forcément de rédiger deux pages pour caractériser la nécessité d'intervenir en urgence
Enfin, chacun a une conception de l'urgence, tout comme chacun a une conception du danger. Il y a des situations qui n'appellent pas de longs débats, d'autres qui sont bien plus complexes. Il faut savoir résister aux appels insistants du chef de service de l'Aide Sociale à l'Enfance, du service d'AEMO ou du substitut des mineurs : "Mais comment, untel n'est toujours pas placé ?" ou "On attend toujours votre OPP pour la situation Trucmuche". Il faut parfois savoir dire non. Mais quelle que soit la décision, on a toujours peur de se planter, et on suscite toujours des réactions. Et on se plante parfois, dans un sens ou dans l'autre.
Je n'ai pas trouvé de statistiques récentes sur le nombre de décisions prises en urgence, mais mon expérience personnelle me conduit à constater qu'elles ne concernent finalement qu'une part très réduite des décisions de placement, dans la juridiction de taille moyenne dans laquelle j'exerce, où les cabinets des juges des enfants sont chargés mais dans une mesure encore gérable, où le dialogue est constant avec le substitut des mineurs et les services éducatifs, et où le Conseil Général met quelques moyens dans la Protection de l'Enfance, dont il a la responsabilité (on peut toujours mieux faire, mais c'est pire ailleurs).[1]
Ce billet n'ayant pas vocation à commenter la situation qui a donné lieu à l'article de Libération ni à servir de défouloir à tous ceux qui "connaissent quelqu'un dont les enfants...", mais à expliquer la procédure appliquée en l'espèce, tout commentaire d'une décision judiciaire particulière sera considéré comme un troll, quel que soit l'intérêt des réflexions développées, et traité en conséquence.
Notes
[1] Pour ceux qui veulent pousser la réflexion sur cette notion d'urgence et les contradictions dans lesquelles peuvent se débattre les juges des enfants à ce sujet, j'ai trouvé cet article rédigé par un sociologue en 2006 pour une revue spécialisée, qui soulève des questions intéressantes. Je précise que les données de l'enquête effectuée par l'auteur remontent aux années 1996-2000, soit avant les lois de 2002 et 2007 qui ont pour la première renforcé notablement le contradictoire dans la procédure d'assistance éducative et pour la deuxième créé des dispositifs qui offriront à terme davantage de solutions intermédiaires que l'alternative AEMO/Placement.
Commentaires
1. Le mardi 8 juillet 2008 à 16:49 par Audrey
2. Le mardi 8 juillet 2008 à 16:53 par nap1128
3. Le mardi 8 juillet 2008 à 17:02 par Tigrou_bis
4. Le mardi 8 juillet 2008 à 17:13 par Thau
5. Le mardi 8 juillet 2008 à 17:18 par Deilema
6. Le mardi 8 juillet 2008 à 17:23 par Kiki
7. Le mardi 8 juillet 2008 à 17:25 par Joel
8. Le mardi 8 juillet 2008 à 17:34 par lala
9. Le mardi 8 juillet 2008 à 17:57 par raven-hs
10. Le mardi 8 juillet 2008 à 17:58 par loz
11. Le mardi 8 juillet 2008 à 17:59 par villiv
12. Le mardi 8 juillet 2008 à 18:12 par eul'Pingouin
13. Le mardi 8 juillet 2008 à 19:08 par kara
14. Le mardi 8 juillet 2008 à 19:12 par Youkoulélé
15. Le mardi 8 juillet 2008 à 19:23 par lolo
16. Le mardi 8 juillet 2008 à 19:26 par deilema
17. Le mardi 8 juillet 2008 à 19:49 par Avokidécouvrel'AE
18. Le mardi 8 juillet 2008 à 19:58 par Véronique
19. Le mardi 8 juillet 2008 à 20:20 par Véronique
20. Le mardi 8 juillet 2008 à 20:31 par Bruno
21. Le mardi 8 juillet 2008 à 21:03 par Billevesée
22. Le mardi 8 juillet 2008 à 21:21 par salah
23. Le mardi 8 juillet 2008 à 21:31 par Nichevo
24. Le mardi 8 juillet 2008 à 21:35 par Thau
25. Le mardi 8 juillet 2008 à 21:49 par salah
26. Le mardi 8 juillet 2008 à 21:50 par questionnée
27. Le mardi 8 juillet 2008 à 22:10 par Véronique
28. Le mardi 8 juillet 2008 à 22:12 par elektra
29. Le mardi 8 juillet 2008 à 22:48 par Bruno
30. Le mardi 8 juillet 2008 à 23:04 par yves
31. Le mercredi 9 juillet 2008 à 00:28 par bardilon
32. Le mercredi 9 juillet 2008 à 00:54 par Suppress
33. Le mercredi 9 juillet 2008 à 01:19 par Avokienapprendchakjour
34. Le mercredi 9 juillet 2008 à 08:24 par Véronique
35. Le mercredi 9 juillet 2008 à 09:08 par Caroline
36. Le mercredi 9 juillet 2008 à 10:06 par eul'Pingouin
37. Le mercredi 9 juillet 2008 à 10:10 par Orange
38. Le mercredi 9 juillet 2008 à 11:02 par Véronique
39. Le mercredi 9 juillet 2008 à 11:27 par Mussipont
40. Le mercredi 9 juillet 2008 à 11:34 par Thau
41. Le mercredi 9 juillet 2008 à 11:37 par Bruno
42. Le mercredi 9 juillet 2008 à 11:42 par aliocha
43. Le mercredi 9 juillet 2008 à 11:47 par Kiki
44. Le mercredi 9 juillet 2008 à 11:53 par Mussipont
45. Le mercredi 9 juillet 2008 à 12:06 par Avokiapprendencoreettoujours
46. Le mercredi 9 juillet 2008 à 12:09 par aliocha
47. Le mercredi 9 juillet 2008 à 12:18 par Véronique
48. Le mercredi 9 juillet 2008 à 13:32 par Christine
49. Le mercredi 9 juillet 2008 à 13:59 par No comment
50. Le mercredi 9 juillet 2008 à 14:06 par tam
51. Le mercredi 9 juillet 2008 à 14:15 par Orange
52. Le mercredi 9 juillet 2008 à 15:10 par tschok
53. Le mercredi 9 juillet 2008 à 15:42 par bardilon
54. Le mercredi 9 juillet 2008 à 15:58 par aliocha
55. Le mercredi 9 juillet 2008 à 16:18 par Caroline
56. Le mercredi 9 juillet 2008 à 16:24 par aliocha
57. Le mercredi 9 juillet 2008 à 17:07 par MlleV
58. Le mercredi 9 juillet 2008 à 17:40 par Audrey
59. Le mercredi 9 juillet 2008 à 17:46 par tam
60. Le mercredi 9 juillet 2008 à 18:55 par Jean-Luc Rongé
61. Le mercredi 9 juillet 2008 à 20:28 par Bruno
62. Le jeudi 10 juillet 2008 à 09:03 par Georges
63. Le jeudi 10 juillet 2008 à 10:34 par Thau
64. Le jeudi 10 juillet 2008 à 11:08 par aliocha
65. Le jeudi 10 juillet 2008 à 11:51 par Georges
66. Le jeudi 10 juillet 2008 à 12:05 par aliocha
67. Le jeudi 10 juillet 2008 à 12:28 par Georges
68. Le jeudi 10 juillet 2008 à 12:42 par aliocha
69. Le jeudi 10 juillet 2008 à 12:50 par Georges
70. Le jeudi 10 juillet 2008 à 13:01 par David Alexandre
71. Le jeudi 10 juillet 2008 à 13:32 par Mussipont
72. Le jeudi 10 juillet 2008 à 13:40 par NoID
73. Le jeudi 10 juillet 2008 à 15:02 par NoID
74. Le jeudi 10 juillet 2008 à 15:13 par ramses
75. Le jeudi 10 juillet 2008 à 15:18 par aliocha
76. Le jeudi 10 juillet 2008 à 15:35 par ramses
77. Le jeudi 10 juillet 2008 à 15:36 par NoID
78. Le jeudi 10 juillet 2008 à 15:42 par aliocha
79. Le jeudi 10 juillet 2008 à 16:00 par Avokili
80. Le jeudi 10 juillet 2008 à 16:07 par Eolas
81. Le jeudi 10 juillet 2008 à 16:44 par aliocha
82. Le jeudi 10 juillet 2008 à 17:17 par Eolas
83. Le jeudi 10 juillet 2008 à 17:55 par aliocha
84. Le jeudi 10 juillet 2008 à 18:05 par Eolas
85. Le jeudi 10 juillet 2008 à 20:57 par aliocha
86. Le jeudi 10 juillet 2008 à 22:05 par elektra
87. Le vendredi 11 juillet 2008 à 09:29 par Aouassi Nadia
88. Le vendredi 11 juillet 2008 à 13:13 par NoID
89. Le vendredi 11 juillet 2008 à 14:05 par aliocha
90. Le vendredi 11 juillet 2008 à 14:45 par Bruno
91. Le vendredi 11 juillet 2008 à 16:02 par aliocha
92. Le vendredi 11 juillet 2008 à 16:54 par Bruno
93. Le vendredi 11 juillet 2008 à 17:41 par parano
94. Le vendredi 11 juillet 2008 à 19:47 par Esurnir
95. Le vendredi 11 juillet 2008 à 22:22 par Aouassi Nadia
96. Le samedi 12 juillet 2008 à 10:47 par aliocha
97. Le samedi 12 juillet 2008 à 13:58 par Djaysee
98. Le samedi 12 juillet 2008 à 15:41 par Avoetledoubledegrédejuridiction
99. Le dimanche 13 juillet 2008 à 01:00 par bruno
100. Le dimanche 13 juillet 2008 à 01:28 par Avokiconclu
101. Le dimanche 13 juillet 2008 à 23:10 par Fantômette
102. Le lundi 14 juillet 2008 à 01:40 par Bruno
103. Le lundi 14 juillet 2008 à 01:47 par Avovalavie
104. Le lundi 14 juillet 2008 à 10:56 par Fantômette