La Cour de Cassation met le holà à l'adoption au sein des couples homosexuels
Par Eolas le jeudi 21 juin 2007 à 12:13 :: Commentaire judiciaire :: Lien permanent
Ce billet traînait dans mes cartons depuis longtemps : il aurait dû être publié en février dernier. Et puis vous savez ce que c'est, un coupable à faire sortir de prison, un innocent insolvable que je dois renoncer à défendre, et on oublie.
En voici le texte, mis à jour.
Les médias se sont faits l'écho d'une décision de la cour d'appel d'Amiens du 14 février 2007 ayant autorisé une femme à adopter les enfants de sa compagne, opération qui avait pour objet, après une partie de billard à trois bandes, d'aboutir à ce que chacune des deux femmes exercent l'autorité parentale sur les enfants. Pour ceux qui aiment les débats contradictoires, voici un point de vue, et un autre.
D'autres cours d'appel saisies d'affaires similaires avaient refusé cette adoption comme contraire à l'intérêt de l'enfant (citons par exemple celle de Paris), d'autres l'avaient déjà accepté (la cour d'appel de Bourges). Comme à chaque fois que différentes cours d'appel ont un avis différent sur une question de droit, il appartient à la cour de cassation de statuer et de trancher le différend.
C'est ce qu'a fait le 20 février dernier la première chambre civile de la cour de cassation, en refusant la légalité de cette pratique.
Le mécanisme était à chaque fois le suivant : l'hypothèse de départ est qu'une personne homosexuelle a des enfants. Il s'agit la plupart du temps, bien évidemment, d'une femme, qui généralement est allée à l'étranger se faire pratiquer une insémination artificielle là où cette pratique médicale est légale y compris pour des personnes célibataires, comme en Belgique.
L'hypothèse serait plus compliquée pour les hommes, ce qui supposerait que la filiation ne soit pas établie à l'égard de la mère et que celle-ci renonce définitivement à toute action.
Une fois ses enfants nés, la mère consent une adoption simple au profit de sa compagne. Cette adoption simple, qui se fait devant notaire, a pour effet de transférer à la compagne l'autorité parentale. La mère biologique n'a plus cette autorité sur ses enfants.
Dans un deuxième temps, la compagne adoptante demande au juge des affaires familiales de consentir une délégation de son autorité parentale au profit de sa compagne. Ainsi, la mère récupère ce qu'elle vient de céder, la délégation d'autorité parentale ne faisant pas disparaître celle du délégant, et nous nous retrouvions dans une situation où les deux partenaires exerçaient une autorité parentale constatée par une décision de justice.
Première remarque ici : l'affirmation selon laquelle l'adoption est interdite aux homosexuels en France apparaît comme étant un raccourci. Aucun texte n'interdit expressément l'adoption aux homosexuels, la difficulté dont il est fait état concerne en réalité l'adoption plénière[1] de pupilles de l'Etat, et donc confiés à un organisme d'Etat (l'Aide Sociale à l'Enfance, ASE, qui relève du conseil général) ou un organisme de droit privé agréé, enfants dont l'adoption est préalablement soumise à un agrément délivré par l'ASE (article L.225-1 du Code de l'action sociale et des familles). L'administration a pour pratique constante de refuser l'agrément aux couples homosexuels, le conseil d'état ayant validé cette pratique. Dans l'hypothèse où les parents sont encore en vie, ils peuvent tout à fait consentir à une adoption par un homosexuel, l'article 348 du code civil ne posant aucune restriction sur ce point. Simplement, l'adoption, plénière ou simple, ne peut être demandée que par une personne ou un couple marié (art. 343 du Code civil), ce qui exclut de fait qu'un couple d'homosexuels puisse adopter tous les deux le même enfant (jurisprudence des mariés de Bègles, déjà traité en ces pages). Mais en conséquence, pour qu'un homosexuel puisse adopter, il faut que le ou les parents y consentent.
Dans notre affaire, c'est précisément ce qui s'était passé. La cour de cassation relève pudiquement que la mère a donné naissance le 12 septembre 2001 à deux enfants qu'elle a reconnus et « qui n'ont pas de filiation établie à l'égard de leur père ». Il s'agit donc très probablement d'une insémination artificielle, ce que la naissance de jumeaux tend à rendre encore plus plausible.
Quelques mois plus tard, elle a consenti par acte notarié à l'adoption simple de ses deux enfants par sa compagne, et a demand au tribunal de grande instance de prononcer l'adoption, ce qu'il a refusé.
La mère et sa compagne ont fait appel, et la cour d'appel de Paris a confirmé cette annulation le 6 mai 2004. Les deux compagnes se sont pourvues en cassation, elles contestaient l'appréciation des conseillers de la cour d'appel qui considéraient que cette adoption ne servait pas l'intérêt des enfants, alors que selon elles il était conforme à l'intérêt des enfants d'établir par la voie de l'adoption simple un double lien de filiation avec deux personnes vivant au foyer familial et unies par un pacte civil de solidarité, et que la délégation de l'autorité parentale qui s'en suivrait n'était pas antinomique avec l'adoption simple, le code civil exigeant simplement pour une délégation d'autorité parentale que « les circonstances le justifient ». Or le double lien de filiation né de l'adoption simple était une circonstance de nature à justifier une délégation de l'autorité parentale.
La cour de cassation n'est pas séduite par l'argumentation déployée par les demanderesses. Elle approuve au contraire la cour d'appel par un attendu lapidaire : pour la cour de cassation, la cour d'appel a retenu a juste titre que la mère des enfants perdrait son autorité parentale sur eux en cas d'adoption, et que il n'était ni établi ni même allégué par les demanderesses qu'en l'espèce les circonstances exigeaient une telle délégation d'autorité parentale. La cour de cassation approuve donc la cour d'appel d'avoir relevé que l'adoption d'un enfant mineur ayant pour but de transférer l'autorité parentale de la mère à l'adoptant, il était antinomique et contradictoire avec cette démarche d'indiquer son intention de demander à ce que l'adoptant restitue cette autorité parentale par voie de délégation.
La cour de cassation sanctionne ici un défaut de logique dans l'argumentation des demanderesses : s'il est dans l'intérêt de l'enfant que leur mère biologique exerce sur eux l'autorité parentale, autant qu'elle la garde, plutôt que la transférer à sa compagne. Cette autorité parentale par ricochet n'est pas établie dans l'intérêt de l'enfant, mais dans l'intérêt des deux compagnes, qui souhaitent établir un double lien de filiation sur ces enfants.
Notons au passage que cet arrêt a lui aussi un jumeau, rendu le même jour, et cassant cette fois un arrêt de la cour d'appel de Bourges, qui avait admis la validité de la délégation post-adoption comme conforme à l'intérêt de l'enfant au motif que
[les demanderesses] ont conclu un pacte civil de solidarité en 2001, et qu’elles apportent toutes deux à l’enfant des conditions matérielles et morales adaptées et la chaleur affective souhaitable ;
alors que, selon la cour,
Cette adoption réalisait un transfert des droits d’autorité parentale sur l’enfant en privant la mère biologique, qui entendait continuer à élever l’enfant, de ses propres droits,
ce qui ne peut être considéré comme conforme à l'intérêt de l'enfant.
Ce que la cour de cassation sanctionne ici est un détournement de l'institution de l'adoption dans le but d'établir un lien de filiation entre les deux partenaires d'un couple homosexuel et les enfants de l'un d'entre eux. Un tel lien de filiation n'a rien de juridiquement aberrant en soi, mais l'état du droit civil français exige qu'une loi intervienne sur le sujet. La cour de cassation, comme d'habitude en matière d'homosexualité, met le législateur face à ses responsabilités. Les institutions du droit civil existant n'ont pas vocation à être tordues à toute force pour satisfaire des revendications sur lesquelles le législateur n'a pas jugé utile de se pencher ; si cela ne convient pas aux citoyens, ils auront dans quatre mois [Mise à jour] : cinq ans l'occasion de désigner des représentants plus intéressés par la question.
Pour conclure, l'arrêt rendu la Saint-Valentin dernière par la cour d'appel d'Amiens me semble donc promis à un funeste destin si le parquet général de la cour d'appel d'Amiens s'est pourvu en cassation, ce que j'ignore, mais c'est probable, puisque l'affaire venait sur appel du procureur de la République.
Notes
[1] Le code civil distingue l'adoption plénière, qui fait de l'adopté le parfait équivalent de l'enfant de l'adoptant et rompt à jamais les liens de filiation antérieurs, et l'adoption simple, qui ne brise pas le lien de famille, et transfère l'autorité parentale. L'administration ne fait que des adoptions plénières, car elle ne propose à l'adoption que des enfants totalement abandonnés, qu'on appelle du joli nom de pupilles de l'Etat.
Commentaires
1. Le jeudi 21 juin 2007 à 13:35 par Lepoitevin
2. Le jeudi 21 juin 2007 à 13:36 par v_atekor
3. Le jeudi 21 juin 2007 à 13:45 par PEB
4. Le jeudi 21 juin 2007 à 13:50 par Tigrou
5. Le jeudi 21 juin 2007 à 13:53 par Chandon
6. Le jeudi 21 juin 2007 à 13:56 par J.
7. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:03 par La Vieille
8. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:06 par potagepekinois
9. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:08 par Vicnent
10. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:10 par didier schneider
11. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:14 par Guillaume
12. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:17 par Lepoitevin
13. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:21 par Max_well
14. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:26 par Lucas Clermont
15. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:32 par v_atekor
16. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:40 par Proteos
17. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:42 par Jar0d
18. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:48 par PEB
19. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:52 par jmdesp
20. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:54 par Die Mensch-Maschine
21. Le jeudi 21 juin 2007 à 14:59 par J.
22. Le jeudi 21 juin 2007 à 15:39 par Lumina
23. Le jeudi 21 juin 2007 à 16:02 par J.
24. Le jeudi 21 juin 2007 à 16:10 par stellar
25. Le jeudi 21 juin 2007 à 16:12 par Niju
26. Le jeudi 21 juin 2007 à 16:26 par niju
27. Le jeudi 21 juin 2007 à 17:04 par PEB
28. Le jeudi 21 juin 2007 à 17:22 par bigot de prea... etc
29. Le jeudi 21 juin 2007 à 17:26 par J.
30. Le jeudi 21 juin 2007 à 17:39 par Lara Kraft
31. Le jeudi 21 juin 2007 à 17:41 par Matthieu
32. Le jeudi 21 juin 2007 à 17:46 par J.
33. Le jeudi 21 juin 2007 à 17:49 par Le Hibou
34. Le jeudi 21 juin 2007 à 17:58 par zadvocate
35. Le jeudi 21 juin 2007 à 18:40 par PEB
36. Le jeudi 21 juin 2007 à 18:55 par Clems
37. Le jeudi 21 juin 2007 à 19:09 par Bob
38. Le jeudi 21 juin 2007 à 19:13 par Clems
39. Le jeudi 21 juin 2007 à 20:14 par Die Mensch-Maschine
40. Le jeudi 21 juin 2007 à 20:38 par Jerome
41. Le jeudi 21 juin 2007 à 20:40 par Esurnir
42. Le jeudi 21 juin 2007 à 22:45 par zadvocate
43. Le jeudi 21 juin 2007 à 22:46 par Lepoitevin
44. Le jeudi 21 juin 2007 à 23:27 par Elisabeth
45. Le vendredi 22 juin 2007 à 04:05 par Esurnir
46. Le vendredi 22 juin 2007 à 08:58 par PEB
47. Le vendredi 22 juin 2007 à 09:07 par GALLUS
48. Le vendredi 22 juin 2007 à 09:21 par Guichardin
49. Le vendredi 22 juin 2007 à 10:04 par baralis
50. Le vendredi 22 juin 2007 à 10:05 par bigot de prea... etc
51. Le vendredi 22 juin 2007 à 10:31 par Jerome
52. Le vendredi 22 juin 2007 à 10:45 par Guichardin
53. Le vendredi 22 juin 2007 à 10:51 par Herbie
54. Le vendredi 22 juin 2007 à 10:54 par Guichardin
55. Le vendredi 22 juin 2007 à 11:16 par Joyless
56. Le vendredi 22 juin 2007 à 11:30 par PEB
57. Le vendredi 22 juin 2007 à 11:39 par PEB
58. Le vendredi 22 juin 2007 à 11:56 par Gilbert Sorbier
59. Le vendredi 22 juin 2007 à 12:07 par Gilbert Sorbier
60. Le vendredi 22 juin 2007 à 12:53 par potagepekinois
61. Le vendredi 22 juin 2007 à 13:40 par PEB
62. Le vendredi 22 juin 2007 à 13:58 par Gay
63. Le vendredi 22 juin 2007 à 13:58 par Jolesss
64. Le vendredi 22 juin 2007 à 14:41 par joyless
65. Le vendredi 22 juin 2007 à 15:13 par Zythom
66. Le vendredi 22 juin 2007 à 16:28 par plumette
67. Le vendredi 22 juin 2007 à 16:30 par plumette
68. Le vendredi 22 juin 2007 à 16:43 par Pantin-Lilas
69. Le vendredi 22 juin 2007 à 16:44 par Le Chevalier Bayard
70. Le vendredi 22 juin 2007 à 16:45 par Pantin-Lilas
71. Le vendredi 22 juin 2007 à 16:47 par Lucas Clermont
72. Le vendredi 22 juin 2007 à 18:38 par Gay
73. Le vendredi 22 juin 2007 à 18:53 par potagepekinois
74. Le vendredi 22 juin 2007 à 19:46 par Jerome
75. Le vendredi 22 juin 2007 à 21:33 par Gay
76. Le samedi 23 juin 2007 à 00:44 par Arthur Rainbow
77. Le samedi 23 juin 2007 à 11:14 par PEB
78. Le samedi 23 juin 2007 à 12:12 par Lucas Clermont
79. Le samedi 23 juin 2007 à 13:18 par Gay
80. Le samedi 23 juin 2007 à 13:40 par didier Schneider
81. Le samedi 23 juin 2007 à 19:06 par stellar
82. Le samedi 23 juin 2007 à 22:58 par didier Schneider
83. Le dimanche 24 juin 2007 à 00:52 par siarres
84. Le dimanche 24 juin 2007 à 11:29 par Guichardin
85. Le mardi 26 juin 2007 à 20:37 par Apokrif
86. Le mardi 3 juillet 2007 à 00:44 par gros chat