Le suicide d'un condamné en pleine cour d'assises
Par Eolas le jeudi 14 juin 2007 à 11:55 :: Dans le prétoire :: Lien permanent
Le problème de la sécurisation des palais de justice vient de connaître un regain d'actualité dramatique avec le suicide, cette nuit, d'un accusé au moment du verdict, en pleine cour d'assises à Laon (prononcez "Lan").
Je ne connais pas du tout cette affaire, ni aucun des intervenants. Il est hors de question pour moi de tirer des leçons de ce fait divers, c'est bien trop tôt et une enquête administrative a été ordonnée par le ministère de la justice, et une autre, judiciaire va avoir lieu.
Je vous vois froncer des sourcils (pour ceux qui ont une webcam). Une enquête administrative est diligentée sur ordre de la Chancellerie (autre nom du ministère de la justice) par l'Inspection Générale des Services Judiciaire (IGSJ). Elle vise à informer le ministre et le Gouvernement, et peut aboutir à des instructions générales, une réforme des textes, ou des mesures disciplinaires. Une enquête judiciaire est diligentée sur ordre du parquet, par la police judiciaire. Elle vise à rechercher si une infraction a été commise, ici une complicité pour l'introduction de l'arme, par exemple, et le cas échéant à exercer des poursuites.
Ma première pensée a été qu'un drame encore plus terrible a été évité. L'accusé avait six balles dans son arme, et comparaissait libre ; il devait donc se situer à la barre, à quelques mètres de la cour et du jury quand cela s'est passé. Il aurait pu faire un carnage.
Ma deuxième est pour les jurés. J'ai déjà expliqué comment on devient juré : ce sont des citoyens tirés au sort qui remplissent un devoir civique. Devoir juger une affaire de viols sur mineurs dans un cadre intra-familial est déjà assez pénible. Assister en plus à une telle scène aussitôt après a de quoi les traumatiser à vie. Ils ont toute ma sympathie.
Ma troisième est pour la famille de cet accusé, qui était aussi la partie civile. Les victimes de viol, surtout dans un cadre familial, ont une tendance irrationnelle à culpabiliser, culpabilité qui peut être aggravée par le prononcé d'une peine lourde. Alors si en plus elles se mettent sur le dos ce geste... Espérons qu'elles auront toute l'assistance dont elles vont avoir besoin.
Enfin, se pose la question de la présence de cette arme dans le prétoire, malgré un portique. L'enquête l'apprendra. Je ne vais pas jouer les haruspices.
Simplement, pour vous éclairer, d'après les éléments donnés par la presse (Le Monde, Libération, le Figaro).
L'accusé comparaissait libre, après avoir effectué 18 mois de détention provisoire. La détention provisoire, dans une affaire criminelle, est demandée par le juge d'instruction au juge des libertés et de la détention au moment de la mise en examen. Pour une affaire criminelle, le mandat de dépôt est d'un an puis de six mois, renouvelables jusqu'à atteindre deux années si le crime fait encourir jusqu'à 20 années de réclusion criminelle, et trois ans s'il fait encourir trente années de réclusion ou la perpétuité (voir ce billet pour l'échelle des peines en matière criminelle). Ici, les faits étaient punis de 20 années de réclusion criminelle. Il n'a donc pas été remis en liberté à l'expiration du délai maximal de détention provisoire. Soit que le juge d'instruction n'ait pas jugé utile de renouveler la mesure, soit que le juge des libertés et de la détention l'ait refusée, soit que la procédure de renouvellement n'ait pas été respectée, entraînant une remise en liberté d'office. Je ne sais pas ce qu'il en a été ici.
La comparution d'un accusé libre n'a plus rien d'exceptionnel depuis la réforme du 15 juin 2000, qui a supprimé l'obligation pour l'accusé de se constituer prisonnier avant les débats (la "prise de corps"), jugée contraire à la convention européenne des droits de l'homme. L'accusé rentrait chez lui chaque soir et revenait le lendemain à l'audience. Toutefois, la loi prévoit qu'à la clôture des débats, « Le président fait retirer l'accusé de la salle d'audience. Si l'accusé est libre, il lui enjoint de ne pas quitter le palais de justice pendant la durée du délibéré, en indiquant, le cas échéant, le ou les locaux dans lesquels il doit demeurer, et invite le chef du service d'ordre à veiller au respect de cette injonction. » C'est l'article 354 du Code de procédure pénale. En cas de condamnation à de la prison ferme, la cour décerne aussitôt mandat de dépôt (art. 366), et le service d'ordre se saisit immédiatement de la personne du condamné, le menotte, et le conduit sous escorte à la maison d'arrêt.
C'est à ce moment là que les faits se sont produits, avant même semble-t-il que le président ait eu le temps de prononcer le mandat de dépôt. Les policiers et gendarmes savent ce qu'il en est, mais attendent que le président prononce le mandat pour procéder à l'interpellation. En tout cas, l'accusé savait probablement ce qu'il faisait : c'était le moment ou jamais, puisque quelques secondes plus tard, il n'aurait plus eu accès à sa sacoche (qui aurait été emportée et fouillée, et l'arme aurait été découverte).
Je ne m'épuiserai pas en vaines considérations sur la raison de son geste. Il peut aussi bien révéler une innocence bafouée qu'une culpabilité impossible à assumer, à soixante ans, pour quelqu'un qui a goûté la prison durant un an et demi et sait comment y sont traités les violeurs de mineurs. J'espère, sans trop y croire, que les contempteurs habituels de la justice, pour qui elle ne peut que se tromper, mal juger et détruire des vies innocentes, parce qu'ils ont perdu leur affaire de mur mitoyen il y a dix ans, auront la délicatesse de ne pas tenter d'exploiter ce drame.
Enfin, sur le portique, une anecdote me revient à l'esprit. Dans un tribunal proche de Paris, une consoeur accompagnait un jeune client prévenu devant le tribunal correctionnel. Il passe par le portique des visiteurs et la rejoint, et ils se dirigent de conserve vers la salle d'audience. Au bout de quelques mètres, son client lui dit : "Vous savez, m'dame : leur portique, il est nul." Et il sort de son blouson un couteau qui aurait eu sa place chez un équarrisseur. Après avoir copieusement engueulé son client et l'avoir obligé à ressortir du palais se débarrasser de son arme (pour les connaisseurs, un bac à fleurs à côté du tribunal sert de râtelier : vous savez désormais où ça se passait), elle est allée glisser à l'oreille des gardes de l'entrée qu'ils devraient augmenter la sensibilité du portique.
Commentaires
1. Le jeudi 14 juin 2007 à 12:34 par Vercruysse
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