Inside the délibéré
Par Eolas le mardi 20 février 2007 à 12:49 :: Dans le prétoire :: Lien permanent
Comme annoncé, voici un billet d'une guest star,
Comme annoncé, voici un billet d'une guest star, en l'espèce Dadouche (oui, c'est un pseudonyme), magistrate de son état, qui nous propose une sorte de docu-fiction narrant un délibéré d'assises. Elle s'est inspirée de son expérience personnelle, ayant été assesseur[1] aux assises, mai qu'il soit clairement entendu que ce récit ne s'inspire directement d'aucune affaire réelle, son serment de magistrate s'opposant à ce qu'elle brise le secret des délibérés. Les jurés et leurs propos sont des mélanges de diverses personnalités, de même que les faits jugés sont d'une banalité qui les met à l'abri de tout rapprochement. Selon la formule habituelle, toute ressemblance avec des personnes existante ou ayant existé serait purement fortuite, mais ça n'en serait pas moins bon signe.
Certaines explications seront fournies par votre serviteur sous forme de notes de bas de page, le reste du texte sous la ligne ci-dessous est de l'auteur. Pendant que nous nous métamorphosons en petite souris pour écouter ce qui va se dire, rappelons brièvement que les douze hommes et femmes[2] qui vont entrer ont consacré les deux derniers jours à cette affaire : aux faits, reconstitués de manière détaillée, aux témoins, tous entendus, à la personnalité de l'accusé, décortiquée et mise à nu. Ils auront donc bien plus d'éléments que nous pour fonder leur décision. Ne jugeons pas les juges, nous ne sommes que spectateurs muets.
Mais silence ! J'entends des pas. Voici la cour et le jury.
L’accusé a eu la parole en dernier. Les portes de la salle de délibéré se sont fermées, avec un policier en faction devant[3].
Les jurés ont pris leurs marques depuis le début de la session. Ceux qui ont participé aux précédentes affaires rassurent les petits nouveaux. Le deuxième assesseur, une juge placée[4] qui vient de sortir de l’école, est désignée volontaire pour servir le café et distribuer les sandwiches que la greffière a obligeamment commandés en prévision d’un délibéré tardif.
Tout le monde se détend un peu après deux heures de plaidoirie/ réquisitoire/ plaidoirie. Qu’il faisait chaud dans cette salle d’audience ! Les miracles de l’architecture judiciaire permettent à chacun d’aller à son tour faire une petite pause technique longtemps attendue. Et chacun prend place autour de la table, déplie les notes consciencieusement prises pendant cette journée d’audience. Certains en ont des pages entières, dans lesquelles ils se replongent fébrilement. D’autres ont tout noté mot à mot les deux premières heures et n’ont plus rien écrit. On passe un dernier coup de fil chez soi pour prévenir qu’il vaut mieux oublier le dîner et la soirée en famille.[5]
Le premier juré est assis à côté du président. Les assesseurs sont mélangés aux jurés. Les robes (noires et rouge) sont tombées, les vestes ne vont pas tarder.
Après quelques minutes de flottement, le président demande le silence et explique aux jurés les mécanismes de vote, les systèmes de majorité[6]. Il rappelle que le premier débat et la première série de votes doivent porter sur la culpabilité de l’accusé.
Il invite les jurés tour à tour à évoquer ce qui les a marqués, les questions qu’ils se posent, leur impression à l’issue des plaidoiries. La question de la culpabilité porte sur deux aspects dans cette affaire : Jérémy, 20 ans, a passé la soirée en boîte de nuit. Il y a rencontré Ludovic, 22 ans, qui, l’alcoolisation aidant, a fait des remarques déplacées sur les supposées difficultés sexuelles du jeune homme que sa petite amie vient de quitter. Jérémy, qui avait noyé son chagrin dans le gin-tonic toute la soirée, s’est jeté sur lui et il a fallu les deux videurs pour les séparer. Jérémy s’est retrouvé sur le parking, attendant les amis avec lesquels il était venu. Malheureusement, Ludovic quitte la boîte de nuit avant eux. Jérémy veut terminer de venger son honneur de mâle blessé et la bagarre reprend. Ludovic pratique la boxe et Jérémy se retrouve bientôt en mauvaise posture. Paniqué, il sort le couteau que ses amis lui ont offert pour son anniversaire quelques jours auparavant et menace Ludovic, qui continue pourtant à se rapprocher. Jérémy balaye l’espace devant lui avec le couteau. Ludovic se rapproche quand même. Jérémy continue et rencontre tout à coup une résistance. Ludovic s’effondre, touché au cœur à travers son mince T-shirt. Jérémy reste quelques instants les bras ballants avant de prévenir le personnel de la boîte de nuit qui alerte les secours. Ludovic ne survit pas à sa blessure.
L’information judiciaire avait été initialement ouverte du chef d’assassinat, c’est à dire meurtre avec préméditation. Au vu des premières constatations, l’hypothèse selon laquelle Jérémy avait attendu Ludovic sur le parking pour le tuer était plausible. L’instruction n’a pas permis d’établir la circonstance aggravante de préméditation et Jérémy a été renvoyé devant la cour d’assises pour meurtre, c’est à dire pour avoir volontairement donné la mort à Ludovic. Le procureur et le juge d’instruction ont considéré qu’un coup de couteau porté dans la région thoracique révélait une intention de tuer. Jérémy a maintenu durant toute l’instruction qu’il ne souhaitait pas tuer Ludovic et son avocat a plaidé la requalification du meurtre en « coups mortels » (violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner).
Jérémy a tué Ludovic, il n’y a pas de doute là dessus. Mais voulait-il le faire ? C’est de cela que les jurés et les magistrats vont décider.
Le premier juré prend la parole. Il n’est pas le premier parce qu’il est le meilleur, mais simplement parce que son nom a été le premier tiré au sort et c’est lui qui signera avec le Président les procès verbaux.
C’est un monsieur discret, qui n’a pas beaucoup discuté avec les autres pendant les pauses. Personne n’arrive à se rappeler de son nom. Il explique qu’il a deux fils de 20 et 22 ans. Que depuis ce matin il s’interroge sur sa réaction si l’un d’entre eux s’était trouvé à la place de Ludovic… ou de Jérémy. Son fils aîné a déjà été impliqué dans une bagarre (à main nue) dans des circonstances pas si éloignées. Il s’interroge sur le récit que Jérémy a fait de la bagarre, qui n’a eu aucun témoin. Ce qui l’a frappé, c’est que le médecin légiste a expliqué que la « plaie transfixiante » lui paraissait plutôt avoir été faite en « piquant » avec l’arme qu’en « balayant » comme Jérémy l’a raconté. Mais l’expert, interrogé par l’avocat de la défense, a précisé qu’il ne pouvait affirmer avec certitude que cela n'avait pas pu se passer comme Jérémy l’avait dit. Et puis il y a le témoignage du videur qui a séparé les deux belligérants à l’intérieur. Selon lui, Jérémy a dit à deux reprises « je vais le tuer ». Pourtant, le premier juré pense que Jérémy n’a pas voulu tuer Ludovic, qui faisait 10 centimètres et 15 kilos de plus que lui. Il avait lui même de nombreuses contusions et était en train de prendre une véritable raclée lorsqu’il a sorti le couteau. L’alcool et la panique lui ont fait commettre l’irréparable, mais il ne voulait pas tuer.
Le juré suivant, Albert, bafouille qu’il est d’accord, que quand même, Jérémy attendait sur le parking, mais que non il ne voulait probablement pas tuer Ludovic.
A côté de lui, c’est Simone. Elle a été tirée au sort et récusée pour chacune des précédentes affaires. Elle l’a très mal pris et en a parlé à chacune des pauses depuis 2 jours, demandant à chacun pourquoi « on » a pas voulu d’elle avant. Elle a l’occasion enfin de donner son avis et elle ne va pas se priver de le faire. Après quelques considérations sur les détestables habitudes de la jeunesse d’aujourd’hui, elle explique que ce qui l’a le plus marquée c’est le témoignage de la mère de Jérémy. Elle l’a trouvée très digne et a failli avoir les larmes aux yeux quand la mère de Jérémy a dit, posément, qu’elle se demandait depuis le drame quelle erreur elle avait commise en élevant son fils. Elle a dit sa conviction que son fils, « le plus gentil garçon du monde », ne pouvait pas avoir voulu tuer Ludovic. Ils étaient au collège ensemble. Et elle connaît très bien la mère de Ludovic. Pour cette mère, même si elle ne veut pas excuser son fils, tout est de la faute d’Ophélie, qui venait de quitter Jérémy et avait raconté à tous ses copains que c’était « un mauvais coup ». Jérémy en était très affecté et sortait se saouler consciencieusement tous les week-ends. Elle a même trouvé une boulette de shit dans sa chambre. Tout ça, ça a marqué Simone. Elle dit sa conviction que « les mères sentent ces choses là » et pense qu’il n’y avait pas d’intention homicide.
Le juré suivant, Pierre, a commencé à s’agiter sur sa chaise quand Simone a évoqué la mère de Jérémy. Il a tenté de lui couper la parole, mais le président lui a rappelé qu’il aurait son tour. Pierre lève les yeux au ciel pendant que Simone brode sur le thème « seules les mères connaissent leurs petits ». Quand c’est à son tour de parler, il reprend un à un tous les arguments de l’avocat général : oui Jérémy était très alcoolisé (1,18 mg par litre d’air expiré, c’est à dire 2g36 d’alcool dans le sang), mais il a sorti le couteau de sa poche gauche. Alors que dans sa poche droite il avait la clé de sa voiture où il aurait pu se réfugier en attendant ses copains. Il n’y a eu qu’une blessure, mais directement au cœur. Et Jérémy a « piqué » et non « balayé » avec le couteau. Et si le juge d’instruction a renvoyé pour meurtre, c’est bien qu’il pensait que c’était un meurtre. Et l’attitude du jeune homme ! D’abord, ce n’est pas normal qu’il comparaisse libre (il a été remis en liberté sous contrôle judiciaire au bout de 5 mois, juste après la reconstitution). Il s’est contredit dans ses déclarations : en garde à vue il a dit avoir effectué deux balayages, alors qu’il a prétendu en avoir fait 3 ou 4 quand on lui a posé la question à l’audience. Et puis on ne se balade pas comme ça avec un couteau sur soi si on ne prépare pas un mauvais coup. Bref, c’est clair, Jérémy a visé le torse et la région du cœur, et il voulait tuer Ludovic.
Albert a hoché la tête pendant toute la diatribe de Pierre. On
dirait bien que s’il s’exprimait maintenant, il dirait que, même s’il avait
beaucoup bu, Jérémy voulait probablement tuer Ludovic.
Jérôme prend la parole. Tout le monde se demande depuis le
début pourquoi il n’a pas été récusé : il a 23 ans et il est coiffé avec
beaucoup de gel comme Jérémy. Mais l’avocat général qui officiait pour cette
audience s’attache en général à utiliser son droit de récusation pour
préserver un certain équilibre homme/femme, sans tenir compte du peu qu’il
sait par ailleurs des jurés (leur âge et leur profession). Et là, Jérôme
cueille tout le monde à froid : on a beau avoir beaucoup bu (on a
l’impression qu’il sait de quoi il parle !), on se rend quand même compte
de ce qu’on fait avec un couteau. D’accord, la victime n’était pas très
sympathique. D’après la plupart des témoignages recueillis, il a provoqué la
bagarre par des insultes dont on comprend que Jérôme ne les aurait pas
laissées passer non plus, mais ça ne mérite pas qu’on sorte un couteau. Il
pense que Jérémy voulait tuer Ludovic.
Marie-France prend la parole. Elle rappelle les arguments évoqués par le premier juré (elle non plus ne se rappelle pas son prénom). Elle souligne que l’expert psychiatre a estimé que Jérémy ne présente pas d’état dangereux et que la panique et l’alcool ont joué un rôle important dans les faits. Pour elle il n’y a pas d’intention homicide.
Solange dit qu’elle ne sait pas quoi penser. Après le
réquisitoire elle était sûre que c’était un meurtre. Depuis la plaidoirie de
l’avocat de la défense, elle ne sait plus.
Jacques lui non plus n’a pas encore d’opinion. Les explications du médecin légiste sont très troublantes, mais Jérémy a l’air d’un brave gars. Et il a toujours dit, dès qu’il a prévenu les videurs, avant d’apprendre la mort de Ludovic : « je ne voulais pas ». Jérémy a beaucoup pleuré à l’audience. Mais les parents et la soeur de Ludovic aussi. Non, décidément, il ne sait pas.
Géraldine s’exprime enfin. Elle provoque un soupir exaspéré de Simone quand elle explique que ce n’est pas parce que Jérémy est très gentil avec sa mère qu’il n’a pas pu avoir d’intention homicide. Elle aussi est frappée par le fait qu’il est venu en boîte avec un couteau dans sa poche. Elle ne comprend pas non plus qu’on l’ait laissé errer seul sur le parking après la première bagarre. Elle pense que quand on sort un couteau face à un homme désarmé alors qu’on est en rage contre lui, ce n’est pas juste pour lui faire peur.
Les assesseurs, qui ont d’abord laissé parler les jurés, prennent enfin leur tour. Ségolène, la préposée au café, a fait tourner les petits gâteaux et ramassé les emballages de sandwiches pendant la discussion. Elle rappelle que le juge d’instruction, en renvoyant Jérémy du chef de meurtre, n’a pas préjugé de sa culpabilité. Cela signifie seulement qu’il y avait, à la fin de l’instruction, des raisons de penser qu’il avait eu l’intention de tuer. D’ailleurs, la preuve, certains en sont convaincus.
Si le juge d’instruction avait renvoyé directement pour coups mortels, ce débat n’aurait pas pu avoir lieu. Elle explique que la jurisprudence considère en général qu’une blessure volontairement portée dans une zone vitale caractérise l’intention homicide. Elle rappelle que le coup a très vraisemblablement été « piqué », que l’état d’ivresse de Jérémy lui interdisait de conduire une voiture mais ne l’empêchait pas de tenir son couteau. Pour Ségolène, c’est un meurtre.
Jean-Louis, le deuxième assesseur a été juge d’instruction pendant 15 ans. Et des dossiers qui ressemblent à celui-là, il en a instruit un tas. On a pas idée du nombre de jeunes crétins qui se baladent avec un couteau sur eux et qui le sortent dès que la vodka les a mis en forme. Sur tous ces dossiers, un paquet ont été jugés en correctionnelle parce que la victime avait survécu, souvent à quelques millimètres près à gauche ou à droite du cœur. Curieux aussi le nombre de (pas très) fines lames qui balayent devant eux au lieu de « planter » leur adversaire. Souvent, ce ne sont pas les plus courageux mais passons. Pour lui, il est possible que Jérémy ait voulu tuer Ludovic, mais on ne peut pas en avoir la certitude uniquement à cause de la localisation de la blessure ou de menaces proférées sous l’emprise de l’alcool pendant une bagarre. Ce sont des coups mortels.
Le Président a écouté tout le monde, faisant parfois les gros yeux à ceux qui voulaient s’exprimer avant leur tour ou couper la parole à quelqu’un. Il résume un peu les arguments de chacun et rappelle que le doute doit profiter à l’accusé. Il est d’accord avec son deuxième assesseur : il est fort possible que Jérémy ait voulu tuer Ludovic, mais il lui semble qu’un large doute existe sur ce point.
Albert hoche la tête gravement. Manifestement, il vient de changer d’avis pour la cinquième fois. Pierre répète en boucle ce qu’il a déjà dit et commence à s’énerver contre Simone qui montre sa satisfaction que le président soit de son avis. La discussion commence à tourner en rond et le Président propose que l’on passe au vote.
Chacun doit répondre par oui ou par non à la question « Jérémy X. est-t-il coupable d'avoir volontairement donné la mort à Ludovic Y. ? ». Tous marquent leur réponse sur un papier marqué du sceau de tribunal où figure la formule "En mon âme et conscience, ma réponse est : ..." et le déposent dans la boîte à gâteaux vide qui fait office d’urne. Le Ministère de la Justice ne connaît pas de petites économies.
Le Président et le premier juré lisent les bulletins un à un. La réponse est non par 7 voix contre 5. Il aurait fallu au moins huit "oui" pour que la condamnation soit prononcée pour meurtre. Pierre hésite à protester mais le Président le fait taire d’un coup d’œil.
Il faut maintenant poser les questions subsidiaires : « Jérémy a-t-il volontairement commis des violences sur Ludovic ? », « Ces violences ont-elles été commises avec usage ou menace d’une arme ? » et « Ces violences ont-elles entraîné la mort de Ludovic ? ».
Le même rituel reprend et la cour et le jury décident à l’unanimité que Jérémy a volontairement commis sur Ludovic des violences avec arme qui ont entraîné sa mort.
Il faut maintenant décider de la peine. Le Président rappelle que la peine maximale qui peut être prononcée est la peine de 20 ans de réclusion criminelle et que la peine minimale est d’un an, éventuellement avec sursis. Il explique le mécanisme de vote pour ceux qui n’ont jamais siégé et rappelle pour mémoire que l’avocat général a requis pour meurtre une peine de 12 ans de réclusion (pour 30 encourus). Il propose de faire à nouveau un tour de table pour que chacun s’exprime.
Le premier juré a été marqué par le témoignage du patron de Jérémy, qui a dit à la barre qu’il l’avait repris sans hésiter à sa sortie de détention provisoire et qu’il pourra lui garder sa place quelques mois, peut être un an, mais pas plus s’il est à nouveau incarcéré. Le jeune homme a été très marqué par sa détention provisoire et a exprime à l’audience des regrets sincères. Est-il nécessaire de l’envoyer en prison pendant des années ? Le premier juré demande donc au président des éclaircissements sur le possibilités de sursis, que l’avocat de Jérémy a sollicité. Le président explique que seules les peines inférieures ou égales à 5 ans d’emprisonnement peuvent être assorties en tout ou partie d’un sursis. Le premier juré trouve que ce serait une bonne idée de faire retourner Jérémy en prison pendant un an « parce que c’est quand même une vie humaine », et qu’on pourrait mettre le reste avec sursis.
Albert a bien vu que Simone hochait de la tête, mais que Pierre commençait à trépigner. Il trouve que 5 ans ce n’est pas assez, mais douze ans c’est trop.
Simone abonde dans le sens du premier juré et rappelle une nouvelle fois la dignité de la mère de Jérémy. Elle se demande même s’il faut le renvoyer en prison.
Pierre s’indigne qu’on fasse si peu de cas d’une vie humaine. Il comprend bien qu’il y avait un doute sur le meurtre, mais quand même il ne faut pas exagérer ! Si la loi prévoit un maximum de 20 ans pour ce genre de faits, la peine de 12 ans proposée par l’avocat général ne lui paraît pas exagérée.
Jérôme trouve lui que douze ans ça serait trop « même avec les remises de peine ». Il demande au Président de rappeler à quel moment Jérémy pourrait bénéficier d’une libération conditionnelle. Il trouve qu’il ne faut pas aller au delà de 8 ans d’emprisonnement pour ménager à la fois la famille de Ludovic et les intérêts de Jérémy, qui sortira un jour de prison.
Marie-France est d’accord avec Jérôme. Elle a été sensible aux regrets exprimés par Jérémy, dont la vie a basculé en un instant, mais elle rappelle aussi les larmes de la mère de Ludovic et les paroles de son avocat qui leur a dit dans les yeux « Elle compte sur vous ».
Solange a été très marquée par la visite de la maison d’arrêt au début de la session. Et elle se rappelle les peines prononcées dans les affaires de viol sur mineur dans lesquelles elle a siégé les jours précédents. Elle rappelle que Jérémy ne voulait pas tuer Ludovic et que, comme l’a expliqué l’assesseur, pour quelques millimètres ça se serait terminé en correctionnelle. Elle est pour une peine en partie avec sursis.
Jacques a été quant à lui sensible aux arguments de l’avocat général, qui a mis en avant la nécessité de protéger la vie humaine. Mais douze ans c’était avec l’intention homicide. Là, 9 ans pourraient suffire.
Géraldine ne sait pas quoi penser, partagée entre la conviction que de longues années d’emprisonnement ne serviront à rien de plus et le fait que « cinq ans ça ne fait pas cher la vie humaine ».
Ségolène, qui a refait un tour de café, penche pour une peine de 7 ans d’emprisonnement, en se référant aux réquisitions qui, ne l’oublions pas, avaient été prononcées pour une infraction plus grave. Elle explique que ça lui paraît une peine équilibrée, suffisamment significative pour rappeler la valeur de la vie humaine et pas trop longue pour ne pas désespérer Jérémy, qui pourra aller en centre de détention et espérer une libération conditionnelle dans un peu plus de deux ans compte tenu de la détention provisoire et des réductions de peine.
Jean-Louis dit qu’une peine de 5 ans dont 2 assortis d’un SME ne le choquerait pas compte tenu de la personnalité de Jérémy, qui a de bonnes chances de réinsertion. Depuis le temps qu’il siège aux assises, il a pu se faire une idée des peines généralement prononcées et ça lui paraîtrait assez conforme à ce qui est prononcé d’habitude.
Le Président, comme toujours, termine le tour de table. Il regrette que la loi ne permette pas de prononcer une peine supérieure à 5 ans avec un sursis partiel. On le sent un peu fatigué en cette fin de session, qui a été marquée par une décision de réclusion criminelle à perpétuité dans une affaire de viol accompagné de torture qui a provoqué une affluence de journalistes. Il ne le dit pas aux jurés, mais il a des enfants qui ont à peu près l’âge de Jérémy et Ludovic. Il sait que plus la détention durera plus les chances de réinsertion de Jérémy diminueront. Il penche pour une peine de 5 ans dont 1 ou 2 ans de sursis avec mise à l'épreuve.
Au premier tour de vote, les peines proposées sont les suivantes : 5 ans (5 voix), 7 ans (3 voix), 8 ans (2 voix), 9 ans (1 voix) et 12 ans (1 voix). Aucune peine n'ayant eu la majorité absolue de sept voix, un second tour a lieu, dans lequel le président explique qu'il n'est plus possible de voter pour une peine de 12 années de réclusion criminelle, seules les quatres propositions les plus basses restant en piste. Aucune proposition n'ayant non plus atteint le quorum de sept voix au second tour, la peine de neuf ans est écartée. Au troisième tour de scrutin, Jérémy est condamné à la peine de 7 ans d’emprisonnement par 7 voix sur 12. Simone fait la gueule, Pierre aussi.
Il est temps de retourner dans la salle d’audience, après un peu plus de deux heures de délibéré. Il faut un bon quart d’heure pour que la greffière parvienne à rassembler tout le monde et que l'audience reprenne.
Le président, une fois tout le monde assis et le silence retombé, déclare
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la cour, à la question numéro un, "Jérémy X. est-t-il coupable d'avoir volontairement donné la mort à Ludovic Y ?", il a été répondu "non" ; à la question numéro deux, "Jérémy X. a-t-il volontairement commis des violences sur Ludovic Y. ? ", la cour a répondu oui à la majorité de huit voix au moins ; A la question numéro trois, la cour a répondu oui à la majorité de huit voix au moins ; à la question numéro quatre, la cour a répondu oui à la majorité de huit voix au moins. En conséquence, la cour, vu les articles 222-7, 222-8, 222-44, 222-45, 222-47 et 222-48 du Code pénal, ... Messieurs les avocats, Monsieur l'avocat général, ces articles peuvent-ils être considérés comme lus ? (acquiescement des intéressés) ...la cour condamne Jérémy X. à la peine de sept années d'emprisonnement, et vu l'article 367 du Code de procédure pénale, décerne mandat de dépôt. Monsieur le chef du service d'ordre, veuillez vous assurer de la personne de l'accusé.
Une fois que les policiers présents ont passé les menottes à Jérémy, pendant que leurs collègues s'assurent que personne dans la salle ne réagit de façon violente, le président reprend la parole.
"Monsieur Jérémy X., la loi vous donne un délai de dix jours pour faire appel de cette décision, si vous le souhaitez. Votre avocat peut faire la déclaration ou vous pourrez le faire vous même au greffe de la maison d'arrêt. "
Certains jurés regardent Jérémy dans les yeux, d’autres fixent le Président quand il prononce la peine, d’autres encore se concentrent sur la famille de Ludovic. Jérémy s’affaisse un peu et son avocat tente de le réconforter. Sa mère pleure doucement. Celle de Ludovic se rend compte tout à coup que c’est vraiment fini.
"L'audience sur l'action publique est levée, l'audience civile aura lieu après une suspension de dix minutes".
Le Président remercie les jurés et leur rappelle que la session est désormais terminée et qu’ils n’auront plus à revenir. Place à l’audience civile.
Notes
[1] La cour d'assises est composée de deux groupes. Le premier est la cour elle même, composée de trois magistrats, dont le président, ayant rang de conseiller à la cour d'appel, et deux juges professionnels, pouvant être juge au tribunal de grande instance, soit assez jeunes, voire tout juste sortis de l'Ecole Nationale de la Magistrature. La cour a compétence pour trancher seule certaines questions de pur droit, comme la demande d'une partie d'ajouter une question à celles posées au jury, ou une demande de mise en liberté de l'accusé. Le second groupe est le jury, composé de neuf jurés, douze en appel. Le jury et la cour délibèrent ensemble sur la culpabilité et sur la peine, ce que nous allons voir.
[2] Nous sommes en présence d'une cour d'assises statuant en première instance : il y a neuf jurés et trois magistrats pour un total de douze.
[3]Ce qui révèle que nous sommes en province, Paris étant sous la protection de la gendarmerie mobile.
[4]Les magistrats placés sont des juges ou des parquetiers dépendant du premier président de la cour d'appel pour les juges et du procureur général pour les parquetiers qui ont pour rôle d'assurer diverses fonctions temporairement vacantes dans le ressort de la cour d'appel. Ils sont ensuite prioritaires au bout de deux ans pour se voir attribuer des postes vacants dans le tribunal de grande instance de la ville où siège la cour d'appel, ce qui leur assure un poste dans une ville importante.
[5]La légalité de ces coups de fil en plein délibéré me paraît sujette à caution.
[6]Toute décision défavorable à l'accusé doit être votée par huit voix au moins (culpabilité, circonstance aggravante, refus d'une cause d'irresponsabilité). La peine se vote à la majorité absolue, soit sept voix au moins.
Commentaires
1. Le mardi 20 février 2007 à 13:49 par Pangloss
2. Le mardi 20 février 2007 à 13:54 par Raph
3. Le mardi 20 février 2007 à 14:06 par g--
4. Le mardi 20 février 2007 à 14:08 par Fred
5. Le mardi 20 février 2007 à 14:11 par champagne
6. Le mardi 20 février 2007 à 14:11 par Fred
7. Le mardi 20 février 2007 à 14:13 par Philippe D.
8. Le mardi 20 février 2007 à 14:15 par Charlie Echo
9. Le mardi 20 février 2007 à 14:17 par Philippe D.
10. Le mardi 20 février 2007 à 14:23 par bertrand
11. Le mardi 20 février 2007 à 14:26 par bakalegum
12. Le mardi 20 février 2007 à 14:35 par yves
13. Le mardi 20 février 2007 à 14:40 par melliflu
14. Le mardi 20 février 2007 à 14:47 par Suricat
15. Le mardi 20 février 2007 à 14:54 par Jean
16. Le mardi 20 février 2007 à 15:06 par Raph
17. Le mardi 20 février 2007 à 15:08 par Philippe D.
18. Le mardi 20 février 2007 à 15:17 par Christophe
19. Le mardi 20 février 2007 à 15:34 par potagepekinois
20. Le mardi 20 février 2007 à 15:35 par Pi-Xel
21. Le mardi 20 février 2007 à 16:06 par Philippe D.
22. Le mardi 20 février 2007 à 16:31 par glomp
23. Le mardi 20 février 2007 à 16:41 par Lucas Clermont
24. Le mardi 20 février 2007 à 17:16 par Alain
25. Le mardi 20 février 2007 à 17:22 par Gavot
26. Le mardi 20 février 2007 à 17:57 par Merlin
27. Le mardi 20 février 2007 à 18:10 par Philippe D.
28. Le mardi 20 février 2007 à 18:23 par Charles - vive les blogueurs (euses) invité(e)s !
29. Le mardi 20 février 2007 à 18:55 par Goulven
30. Le mardi 20 février 2007 à 19:11 par JR
31. Le mardi 20 février 2007 à 19:15 par Sébastien
32. Le mardi 20 février 2007 à 20:30 par Batmat
33. Le mardi 20 février 2007 à 22:00 par jop
34. Le mardi 20 février 2007 à 22:30 par Juge du siège
35. Le mercredi 21 février 2007 à 02:07 par Esurnir
36. Le mercredi 21 février 2007 à 03:07 par dadouche
37. Le mercredi 21 février 2007 à 11:12 par Bernard
38. Le mercredi 21 février 2007 à 12:37 par jean philippe
39. Le mercredi 21 février 2007 à 13:53 par Galien
40. Le mercredi 21 février 2007 à 15:17 par Harald
41. Le mercredi 21 février 2007 à 17:10 par Raph
42. Le jeudi 22 février 2007 à 10:11 par kombu
43. Le mardi 6 mars 2007 à 05:45 par J.WEDRY