Petit vademecum à l'usage des jurés d'assises (2)
Par Eolas le mardi 16 janvier 2007 à 13:02 :: Les leçons de Maître Eolas :: Lien permanent
Nous voici donc le jour de la convocation.
Particularité de la cour d'assises, qui vous aidera à comprendre son fonctionnement, il s'agit d'une juridiction temporaire. Elle siège par sessions, en principe quinze jours par trimestre. En cas de charge de travail, des sessions extraordinaires peuvent être convoquées, mais toutes font quinze jours, sauf si une affaire exceptionnelle nécessite plus de temps (le procès Papon a ainsi duré six mois, d'octobre 1997 à avril 1998, le procès d'Angers, quatre mois, de mars à juin 2005. A Paris, trois cours siègent toute l'année dans trois salles différentes. En dehors de ces sessions, la cour n'existe pas, et c'est la chambre de l'instruction qui est compétente pour statuer sur les mesures provisoires comme une demande de mise en liberté de l'accusé.
Le président de la cour a également un rôle hors session, qui est de la préparer, tout simplement, mais c'est un travail d'Hercule. On parle de "mise en état", expression employée pour désigner la phase préalable à l'audience où l'affaire est mise en état d'être jugée.
Sachez en tout cas qu'il aura reçu l'accusé quelques semaines avant l'audience (en tout cas pas moins de 5 jours). Le fond de l'affaire n'est pas abordé lors de cet interrogatoire. Le président aura vérifié son identité complète, s'assurera que l'accusé à bien connaissance de l'ordonnance de mise en accusation qui va en faire la vedette du procès à venir, l'invitera à choisir un avocat s'il n'en a pas, ou en désignera un d'office le cas échéant. A titre exceptionnel, le président peut autoriser l'accusé à prendre pour conseil un parent ou ami : c'est l'article 275 du Code de procédure pénale. C'est rarissime, et si ledit conseil n'est pas familier avec la procédure d'assises, c'est une folie.
Mais revenons au jour d'ouverture de la session. Les 52 jurés (40 titulaires + 12 suppléants) sont tous convoqués pour la première séance de la session : elle est consacrée à la révision de la liste des jurés. Dans la salle d'audience, les jurés sont invités à se présenter à l'huissier d'audience, qui vérifie leur identité et note leur présence sur une liste, puis attendent dans la salle.
La cour, au sens strict, c'est à dire le président (toujours en robe rouge) et ses deux assesseurs (en robe noire), entre. Le public se lève, le service d'ordre salue.
Selon le grade du magistrat président la cour, il portera soit la simple robe rouge s'il est conseiller à la cour d'appel :
soit s'il a le titre de président de chambre, la robe à revers bordés d’hermine, qui est la réunion en un seul costume de la robe de clerc (que nous portons nous aussi) avec le manteau royal, qui rappelle que c'est le souverain qui juge en personne ici, incarné dans le jury populaire.
Les assesseurs porteront la robe noire s'ils sont juges du tribunal de grande instance, et rouge s'ils sont conseillers à la cour d'appel.
(Image : cour d'appel de Paris)
Le parquet porte la même robe : noire si l'avocat général est en fait un substitut général ou un procureur du tribunal de grande instance, rouge s'il est magistrat à la cour d'appel, et à revers d'hermine s'il a le titre d'avocat général. A titre d'illustration, je remercie Philippe Bilger de m'avoir autorisé à reproduire ici la couverture de son livre "Un avocat général s'est échappé" (Seuil, 2003), où il est revêtu de son costume d'audience.
La cour s'assiéra face au public, l'avocat général[1] ayant une tribune à lui, sur le côté, face au box des accusés. Une urne sera posée sur la table de la cour, devant le président.
Après un petit mot d'accueil et de remerciement d'être présent, le président demandera au greffier de procéder à l'appel des jurés présents par ordre de tirage au sort. La cour statuera sur le cas des absents, en pouvant prononcer jusqu'à 3750 euros d'amende. De même, si la cour constate que des jurés sont incapables ou incompatibles, ou décédés, ils sont retirés de la liste. Il en va de même des conjoints, parents ou alliés jusqu'au degré d'oncle et neveu d'un juré figurant avant lui dans la liste, mais pour cette liste de session seulement.
Si le nombre des jurés présents et aptes n'atteint pas 23, un tirage complémentaire est fait dans la liste des suppléants, non par tirage au sort mais dans l'ordre de leur inscription.
Une fois les opérations terminées, elles sont constatées par un arrêt rendu par la cour. La liste de session est constituée.
Aussitôt, la cour appellera la première affaire devant être jugée. On n'en a pas fini des tirages au sort, mais celui-ci se répétera au début de chaque affaire.
L'accusé est introduit dans la salle. Rien ne s'oppose à ce que son avocat ait assisté à la révision de la liste de session, révision qui est publique, auquel cas il sera également présent.
Le président demande à l'accusé ses nom, prénoms, date et lieu de naissance.
Le greffier procès à l'appel des jurés non excusés. Pour la première fois, pas de problème, tout le monde est présent dans la salle, par définition. A chaque "présent", une carte portant leur nom est déposée dans l'urne par le président.
Une fois l'appel terminé, la cour décidera par un arrêt rendu sur le siège de tirer au sort un ou plusieurs jurés supplémentaires (généralement, deux). Priez pour ne pas être de ceux là.
Puis le tirage au sort du jury aura lieu.
Le président plongera sa main dans l'urne et en tirera une carte, appelant aussitôt "Juré numéro X : Monsieur Untel". Le juré en question doit se lever et venir se placer aux côtés de la cour, sur les sièges à cet effet, le premier à droite de l'assesseur à droite du président, le deuxième à gauche de l'assesseur à gauche du président, le troisième à droite du premier juré, le quatrième à gauche du deuxième juré, et ainsi de suite. Le temps qu'il parcoure ces quelques mètres, il sera scruté attentivement par l'avocat de la défense et l'avocat général, qui auront quelques secondes pour le récuser. Cette récusation se fait sans forme particulière : un simple "récusé !" suffit. La récusation n'a pas à être motivée. Le parquet peut récuser quatre fois, la défense, cinq fois. S'il y a plusieurs accusés, le nombre de récusation ne change pas, elles sont partagées par les accusés.
Je consacrerai un billet entier à la récusation, qui est un casse tête et une angoisse terrible.
Neuf jurés sont ainsi tirés au sort : neuf plus trois magistrats font douze, le compte est bon.
Les jurés supplémentaires sont tirés au sort (priez, priez, il est encore temps), et prennent place sur des sièges à l'écart ; avec un peu de chance, ils ont une table devant eux. Le greffier dresse procès verbal des opérations.
Le président va alors inviter les jurés à se lever et se découvrir, et prononcer le serment des jurés et demander à ce que chacun, à l'appel de son nom, lève la main droite et dise "je le jure". Cette formule est magnifique, aussi belle que l'instruction des jurés au moment de délibérer (voir le billet suivant) même si le législateur s'est cru obligé de l'alourdir en ajoutant une mention aux intérêts de la victime et un rappel à la présomption d'innocence : c'est tout à fait l'air du temps, mais vous verrez que ça n'apporte rien à la phrase qui était bien assez claire comme cela. Les portions rajoutées par la loi du 15 juin 2000 sont en italique.
Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration ; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection ; de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions.
Encore une loi qui a modifié le texte d'un serment pensant ainsi réformer la justice. Les lois d'affichage, une des plaies de notre république.
Le jury est alors déclaré constitué.
Les jurés non tirés au sort sont libérés de leurs obligations jusqu'à la convocation de l'affaire suivante, dont la date et l'heure sont indiquées par le président : "Revenez jeudi à 9 heures", par exemple. Ils peuvent rester dans la salle pour assister aux débats ou vaquer à leurs occupations.
La cour d'assises siège et va juger. Ce sera l'objet d'un troisième et dernier volet de ce vade-mecum, où vous découvrirez pourquoi les jurés supplémentaires sont à plaindre. Pour nous, l'audience est levée.
Notes
[1] Je ne parlerai plus désormais que d'avocat général, qui est le titre du représentant du parquet devant la cour d'assises, peu important son rang hiérarchique au sein du ministère public : la fonction prime le grade, comme à l'armée.
Commentaires
1. Le mardi 16 janvier 2007 à 14:52 par Fred
2. Le mardi 16 janvier 2007 à 14:55 par Fred
3. Le mardi 16 janvier 2007 à 14:55 par Servadac
4. Le mardi 16 janvier 2007 à 15:18 par Raph
5. Le mardi 16 janvier 2007 à 15:51 par jean philippe
6. Le mardi 16 janvier 2007 à 16:05 par Jp
7. Le mardi 16 janvier 2007 à 17:12 par Damien B
8. Le mardi 16 janvier 2007 à 17:28 par Timo
9. Le mardi 16 janvier 2007 à 17:29 par nouvouzil
10. Le mardi 16 janvier 2007 à 18:00 par Lucas Clermont
11. Le mardi 16 janvier 2007 à 18:09 par Servadac
12. Le mardi 16 janvier 2007 à 18:15 par S.
13. Le mardi 16 janvier 2007 à 18:35 par g--
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