Pédagogie judiciaire
Par Eolas le vendredi 17 novembre 2006 à 13:19 :: Dans le prétoire :: Lien permanent
Le tribunal juge une affaire de violences en réunion : un groupe d'une quinzaine de jeunes, certains mineurs et déférés au juge des enfants, d'autres majeurs dont nos deux prévenus, a roué de coup un jeune homme pour une sordide histoire de règlement de compte entre amoureux éconduits, le tout doublé d'une rivalité de bandes. Coups de poing, coups de pied, coups de bâton, coups de marteau. La lecture de l'expertise médicale des Urgences Médico Judiciaire fait froid dans le dos : pneumo-encéphalée, traumatisme crânien, hémorragie méningée, hématome sous-dural. C'est un miracle que ce jeune homme soit encore en vie, et ait survécu sans séquelles. On est passé à deux doigts de la cour d'assises.
Les prévenus, majeurs, sont les seuls à avoir été identifiés avec deux mineurs jugés par la juridiction des mineurs, le tribunal pour enfants. Conformément à la loi, le nom des mineurs n'est jamais cité, pas plus que la peine qui a été prononcée à leur encontre. Ils sont été placés en détention provisoire par le juge d'instruction qui les a remis en liberté sous contrôle judiciaire au bout de cinq mois.
Comme cela arrive parfois, l'instruction a permis une réconciliation avant l'audience. Les parents des prévenus et des victimes, originaires de la même région d'Afrique, effarés de ce qui s'était passé, eux qui étaient persuadés que leurs enfants étaient des anges sans histoire, se sont rapprochés, ont fait la leçon à leurs enfants, à tel point que la victime renonce à toute réparation autre que symbolique.
Le président en a pris acte et l'audience va tenter d'être pédagogique.
Tenter.
Rapidement, le président se rend compte que le prévenu écoute distraitement. Il jette de nombreux coups d'oeil par la fenêtre, sourit à l'évocation de la scène de violence. Son comportement fait penser à un élève envoyé dans le bureau du directeur. Il laisse passer l'orage en attendant de pouvoir retourner en récréation et en espérant ne pas avoir d'heures de colle. Le président rappelle l'importance de la paix publique, dont nous profitons tous, car quand règne la loi du plus fort, il y a toujours un plus fort que soi. Ce président ayant, au cours de sa carrière, eu l'occasion d'effectuer des missions de coopération dans des pays africains en guerre, ce discours n'a rien d'artificiel. Il a vu des pays où les institutions se sont effondrées, le chaos qui en est sorti, la violence qui en a résulté. Mais ce discours glisse sur ce jeune homme de 20 ans, qui, lui, n'a jamais connu l'Afrique autrement que par les récits de ses parents, pour qui la paix est une évidence telle que le rôle de la police et de la justice dans son maintien lui paraît être une supercherie.
Les débats étant clos, le procureur prend la parole. Elle aussi veut faire acte de pédagogie. S'adressant aux prévenus, qui sont assis sur leur banc les yeux baissés, dans une position qui ressemble à de la pénitence, elle raconte qu'elle vient de régler une affaire, c'est à dire de rédiger le réquisitoire définitif quand une instruction judiciaire est terminée par lequel le parquet, reprenant les faits mis en lumière par l'instruction, les articulant, leur donne une qualification pénale et demande au juge d'instruction de rendre la décision qui lui semble en découler : renvoi devant la cour d'assises, devant le tribunal correctionnel, le tribunal de police ou un non lieu. Ce dossier a eu lieu dans le même quartier. Une rivalité de bandes, encore. Un regard de travers, et un couteau est sorti et planté dans la poitrine. Les radios ont montré que la lame est passée à moins d'un centimètre du coeur. La vie d'un jeune homme de dix neuf ans, en plein Paris, a tenu à un demi centimètre à cause d'un regard.
L'émotion du magistrat du parquet est perceptible. Loin de la caricature du procureur qui invoque la Loi et l'Ordre pour exiger des têtes, on comprend que l'idée que la vie humaine, de jeunes gens ayant la vie devant eux, puisse tenir à si peu lui est insupportable et que c'est cette révulsion à cette idée qu'elle souhaite faire passer aux prévenus avant qu'un drame ne se réalise. Sur les bancs des avocats, nous buvons ses paroles en approuvant, tant la sincérité qui l'habite est touchante, sans pour autant qu'elle perde son aura d'autorité. Il y a des procureurs qui sont de vrais orateurs, et nous apprécions en connaisseurs.
Enfin, elle conclut ce récit : « Ce jeune homme, qui s'appelait Stéphane a failli être tué pour une bêtise comme la votre ; je ne voudrais pas que cela arrive ».
Le prévenu sursaute : « Stéphane ? Vous parlez de Stéphane Machin ? ».
Le procureur : « Oui. Vous le connaissez ? »
Le prévenu : « Ouais, c'est un pote. Mais c'est pas moi, je n'ai rien à voir avec cette histoire ! Me collez pas ça sur le dos, c'est pas moi ! »
L'accablement saisit le procureur, et le président du tribunal est exaspéré. Le prévenu n'écoutait pas, les paroles du procureur s'envolaient par la fenêtre en vain. On lui expliquait l'absurdité de la violence en citant une autre affaire, il croit qu'on lui impute les faits.
Le procureur, furieux, se rassoit en requérant une peine mixte, sursis et ferme, sans qu'un retour effectif en détention ne soit nécessaire, et s'enfonce dans un silence boudeur.
Dommage. C'était un beau réquisitoire.
Commentaires
1. Le vendredi 17 novembre 2006 à 15:42 par pangloss
2. Le vendredi 17 novembre 2006 à 16:00 par Armand
3. Le vendredi 17 novembre 2006 à 16:04 par Raoh
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