Prolongations sur un coup de tête
Par Eolas le mercredi 12 juillet 2006 à 12:24 :: Les leçons de Maître Eolas :: Lien permanent
Où l'auteur tire profit d'un fait d'actualité pour revenir à son violon d'Ingres : la procédure pénale.
Le billet sur l'aspect pénal du fameux coup de tête de Zinédine Zidane a généré pas mal de commentaires portant sur l'aspect scandaleux ou au contraire bien pardonnable de ce geste, et d'autres sur le fait que la faute aurait peut être été découverte grâce à la vidéo, ce qui n'est pas prévu par le règlement.
Au-delà de la polémique elle même qui échappe à notre compétence, je pense tenir là un formidable cas pratique pour expliciter divers aspects du procès pénal, quand bien même cette affaire ne relève pas des juridictions répressives.
Le problème de l'arbitrage vidéo.
Plusieurs commentateurs ont exprimé leur incompréhension que Zinédine Zidane ait pu être sanctionné du fait que la quatrième arbitre aurait vu sur un moniteur le geste fatal, alors que les trois arbitres de champs n'avaient rien vu. Attention : ce point est sujet à polémique et la FIFA nie farouchement que tel fût le cas. Quand j'ai écrit mon billet précédent, ce point ne me semblait faire débat, il n'en est rien. Gardons cette hypothèse pour le moment car elle permet de traiter des particularités des nullités de procédure, si difficiles à comprendre parfois pour le grand public.
Ce problème de la vidéo est exactement cela : un vice de procédure. Les règles officielles du football, édictées non par la FIFA, mais par le Board (Un représentant des Fédérations anglaises, irlandaises, écossaises et galloises de football, et quatre représentants de la FIFA, statuant par une majorité de six voix), excluent tout recours à la vidéo pour statuer sur des actions ou sanctionner des fautes. Or nous sommes dans l'hypothèse où un arbitre se serait servi de la vidéo pour constater la faute et la signaler à l'arbitre principal qui a sanctionné d'un carton rouge. Peu importe que la faute ait ou non eu lieu, on ne se pose pas encore la question : le problème est, pour le moment : pouvait-on valablement sanctionner Zinédine Zidane ? Il a peut être commis une faute, mais le quatrième arbitre en aurait lui aussi commis une s'il avait eu recours à la télévision pour constater une faute.
Voilà ce que sanctionne les vices de procédure : lorsque l'autorité de poursuite, la police ou le parquet, ne respecte pas elle même les règles. Frapper un adversaire est sanctionné car c'est une violation des règles, tout comme les violences volontaires sont poursuivies car elles sont une violation du Code pénal. Mais ce pouvoir de l'Etat de sanctionner une violation des règles qu'il édicte est limité par l'obligation qu'il a de respecter ses propres règles (le Code de procédure pénale). Vous voyez les deux valeurs en conflit : d'un côté, la sanction de tous les écarts, la fin justifiant les moyens, de l'autre la protection de l'individu : il est moins grave de laisser un mauvais geste impuni que de punir quelqu'un illégalement, fût-il coupable.
Cet aspect de question préalable fait qu'en procédure civile et pénale, cette question doit impérativement être soulevée avant tout débat au fond, sous peine de forclusion, c'est à dire que l'argument ne peut plus être soulevé. C'est une règle sévère, qui s'explique par le fait qu'au moment où les débats commencent, la question des éléments du débat doit être définitivement tranchée, sinon cela permettrait à une partie dont l'affaire apparaît au fil des débats fort mal engagée de soulever ce moyen qu'elle aurait tue si les choses allaient selon son désir.
Concrètement, cela donne lieu à un premier débat aussitôt l'identité des parties constatées. La partie qui soulève la nullité parle en premier, car elle est demanderesse, quand bien même ce serait l'avocat du prévenu, cas le plus fréquent : les rôles sont temporairement inversés. L'avocat de la partie civile prend ensuite la parole, et le parquet parle en dernier, car c'est lui qui est défendeur.
Le tribunal peut soit prononcer la nullité immédiatement si elle lui paraît manifeste au point de rendre inutile les débats suivants, sinon il "joint l'incident au fond", c'est à dire qu'il décide d'examiner malgré tout l'affaire, examinera ce point au cours de son délibéré et s'il estime devoir l'écarter, tranchera dans la foulée sur le fond de l'affaire, qu'on oppose au problème de forme qui vient d'être soulevé. Le fait qu'un incident soit joint au fond ne signifie pas que le président a d'ores et déjà choisi de l'écarter. Le code de procédure pénale pose le principe de la jonction, et parfois un point très technique nécessite des recherches et la consultation de la jurisprudence.
Donc abattons le cliché issu des mauvaise séries télé de la nullité de procédure, arme de l'avocat marron qui permet au riche criminel en série d'échapper à son juste châtiment. Désormais, pensez à l'arbitrage vidéo illicite (encore une fois : SI il était établi) et demandez vous si une action illégale justifie que pour la réprimer, on viole la loi. Car les violations ici s'additionnent, elles ne s'annulent point.
De l'opposition des "il faut punir Zidane" et des "C'est excusable".
Au-delà de mes commentaires, l'opinion publique est assez divisée, avec une majorité se dessinant pour l'indulgence. Mais le débat est ici faussé par la vision binaire des sondages : on est soi pour soit contre soit au mieux sans opinion, à conditio nde ne pas dépasser 1%. La question se décompose en deux aspects qui en réalité rend les deux positions parfaitement compatibles. Ce sont ces deux aspects qui sont traités dans un procès pénal.
La réprobation du geste se rattache à la déclaration de culpabilité, et l'indulgence eu égard à l'homme d'une part et aux circonstances d'autre part, c'est le débat sur la peine, qui paraît souvent secodnaire alors qu'il est souvent l'enjeu principal.
La coup a été porté, c'est indéniable, les images sont accablantes : alors qu'il tournait le dos à Marco Materazzi et s'éloignait, soudainement, Zinédine Zidane a fait demi-tour et a porté un violent coup de tête à la poitrine. Contrairement à ce que d'augustes jurisconsultes égarés par leur passion footballistique voudraient faire croire, il n'y avait pas légitime défense, Zidane n'était pas sous l'empire d'un trouble neuropsychique ayant aboli son discernement, ni d'un état de nécessité, le gazon n'étant pas transgénique[1], bref, aucune excuse absolutoire n'est invocable : il a agi en connaissance de cause et le geste était volontaire. Face à cette situation, un juge n'a d'autre choix que de prononcer la culpabilité, fût-il le plus fervent des admirateurs du footballeur, sauf à commettre une forfaiture.
Ce point étant posé, les débats ne sont pas temrinés, loin de là. Il faut à présent prononcer une peine. Et c'est là que des circonstances, absolument indifférentes quant à la culpabilité, vont entrer en considération. La personnalité : c'est à dire les arguments de ceux qui passent l'éponge au nom des états de service de Zidane. Les circonstances : Materazzi l'a insulté, il le reconnaît lui même. Il a sans doute recherché un incident susceptible de déstabiliser Zidane voire de le faire expulser. La tension était extrême : finale de coupe du monde, égalité à dix minutes de la fin, dernier match de Zidane, etc : qui peut dire qu'il aurait mieux résisté face à la provocation subie depuis plus de deux heures ? Tout cela peut justifier qu'une sanction légère, voire très légère soit prononcée, et l'éventail qu'offre le code pénal au juge est vaste.
Ces deux questions sont souvent confondues en une seule par le public et parfois par les parties elles même, et conduit à de graves incompréhensions : tel condamné à du sursis qui croit avoir été relaxé tandis que la partie civile, le voyant repartir libre, estime que justice n'a pas été rendue. Les fictions aussi, qui quand elles mettent en scène un procès résume souvent l'enjeu du procès à un choix entre l'acquittement et la peine maximale.
Pour en revenir à notre nouveau retraité, il est parfaitement possible de condamner le geste qu'il a commis, tout en gardant son estime et son admiration à son auteur. C'est d'ailleurs la position de votre humble serviteur, qui, nonobstant les commentaires peu amènes qu'il a lus et entendus de toutes part adressés à ceux qui avouaient un goût pour le football, a toujours su admirer l'extraordinaire joueur de football, sans pour autant être un zélateur du capitaine de l'équipe de France.
Notes
[1] Petit clin d'oeil à un récent débat sur ce même blog...
Commentaires
1. Le mercredi 12 juillet 2006 à 18:15 par Julien
2. Le mercredi 12 juillet 2006 à 18:23 par Me Mot
3. Le mercredi 12 juillet 2006 à 18:37 par AB
4. Le mercredi 12 juillet 2006 à 18:44 par fargesa
5. Le mercredi 12 juillet 2006 à 18:47 par jid
6. Le mercredi 12 juillet 2006 à 18:51 par jules (de diner's room)
7. Le mercredi 12 juillet 2006 à 19:00 par Rv
8. Le mercredi 12 juillet 2006 à 19:26 par AntoineD
9. Le mercredi 12 juillet 2006 à 21:23 par Ibn Kafka
10. Le mercredi 12 juillet 2006 à 21:30 par Maxou
11. Le mercredi 12 juillet 2006 à 22:24 par Sla.
12. Le mercredi 12 juillet 2006 à 22:24 par omen999
13. Le jeudi 13 juillet 2006 à 00:18 par yves
14. Le jeudi 13 juillet 2006 à 00:40 par Clems
15. Le jeudi 13 juillet 2006 à 00:55 par Souplounite
16. Le jeudi 13 juillet 2006 à 02:12 par Albator
17. Le jeudi 13 juillet 2006 à 03:48 par Maxou
18. Le jeudi 13 juillet 2006 à 04:27 par ALCYONS- Marie-Christine BLIN
19. Le jeudi 13 juillet 2006 à 06:35 par Annie
20. Le jeudi 13 juillet 2006 à 09:41 par nap1128
21. Le jeudi 13 juillet 2006 à 10:14 par bbr
22. Le jeudi 13 juillet 2006 à 11:45 par Laurent
23. Le jeudi 13 juillet 2006 à 11:49 par François
24. Le jeudi 13 juillet 2006 à 14:22 par Jerem Simpson
25. Le jeudi 13 juillet 2006 à 16:13 par c'est Max
26. Le jeudi 13 juillet 2006 à 20:56 par marco
27. Le jeudi 13 juillet 2006 à 21:07 par marco
28. Le jeudi 13 juillet 2006 à 21:29 par herve
29. Le jeudi 13 juillet 2006 à 21:47 par herve
30. Le jeudi 13 juillet 2006 à 22:33 par Kristian
31. Le jeudi 13 juillet 2006 à 23:41 par X
32. Le vendredi 14 juillet 2006 à 00:06 par Mansuétude
33. Le vendredi 14 juillet 2006 à 03:54 par Mansuétude
34. Le vendredi 14 juillet 2006 à 10:02 par peter
35. Le vendredi 14 juillet 2006 à 13:10 par BrunoNation
36. Le samedi 15 juillet 2006 à 07:17 par edouard
37. Le mardi 18 juillet 2006 à 02:17 par jeje
38. Le vendredi 21 juillet 2006 à 15:00 par Comet