Les violences faites au droit
Par Eolas le jeudi 29 juin 2006 à 15:33 :: Les leçons de Maître Eolas :: Lien permanent
Où l'auteur enseigne le droit à un atelier sponsorisé.
Un lecteur a bien voulu attirer mon attention sur un jugement rendu par le tribunal correctionnel de Carcassonne dans une affaire sortant de l'ordinaire. En cherchant des informations via internet, je tombe sur ce billet, qui est une mine d'or en matière d'erreurs et d'approximations juridiques.
Vous connaissez mon bon coeur : je vais donc faire d'une pierre deux coups et commenter cette décision en m'amusant à retoquer les animateurs de cet atelier bancaire qui visiblement ont quelques lacunes en droit pénal.
Les faits : Une Dame S. a décidé de tirer vengeance d'une collègue de travail, Carine G., par une méthode qui a en originalité ce qu'elle perd en gentillesse : elle crée sur un célèbre site de rencontre de célibataires un compte au nom de sa victime, abordant moults abonnés de l'autre sexe avec des pseudonymes fort incitatifs à des plus si affinité, en leur communiquant les coordonnées personnelles de la pauvre collègue.
Immanquablement, celle-ci fut assaillie d'appels téléphoniques un peu trop bienveillants, tant et si bien qu'à la fin le brâme assidu de ses interlocuteurs eu raison de ses nerfs et la mit en dépression.
La malveillante fut peu prévoyante, et comme elle avait utilisé pour satisfaire son ire vengeresse l'ordinateur de sa patronne, elle fut identifiée et confondue la main dans le sac à boutes-en-train.
Le parquet, fort soucieux de la chasteté de la victime, cita la Dame S. devant le tribunal correctionnel.
Et c'est là que les choses se compliquent pour nos amis de l'atelier bancaire.
Prise la main dans le sac, l'usurpatrice a été déférée devant le tribunal pour un procès dans lequel la Caisse d'assurance maladie s'était portée partie civile. L’employée a été jugée et a écopé de 11000 euros d’amende, dont 2500 versés à la victime pour préjudice corporel, 1500 pour préjudice moral et 4500 à la Caisse d’assurance maladie au titre des frais médicaux.
A noter par ailleurs que ce jugement ne concerne que l'action civile. La cour doit statuer sur l'action pénale. En effet, aucun texte en France ne punit l'usurpation d'identité en tant que telle. Pour qu'elle devienne un délit, il faut qu'elle serve une action répréhensible. Elle est alors punie de 5 ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende.
Ouille, ouille, ouille.
Reprenons les choses dans l'ordre, c'est à dire... en commençant par la fin de ces paragraphes :
Sur la qualification retenue.
Le délit d'usurpation d'identité existe bel et bien : elle est réprimée par l'article 434-23 du code pénal. Effectivement, il ne suffit pas d'affirmer être autrui pour que l'usurpation soit réalisée : encore faut-il qu'en se faisant ainsi passer pour autrui, on ait déterminé ou ait pu déterminer des poursuites pénales. Mais pas que l'usurpation "serve une action répréhensible". Peu importe qu'elle serve ou non cette action. Au passage, une usurpation d'identité peut aussi être un élément constitutif de l'escroquerie, l'usage de faux nom étant expressément visé comme élément matériel par l'article 313-1 du Code pénal. Les peines citées sont correctes.
Sur le jugement qui ne concernerait que l'action civile.
Si le tribunal a prononcé une amende, il a donc prononcé une peine. Donc il a bien jugé l'action publique en même temps que la civile. De plus, si un tribunal peut prononcer une peine et renvoyer à plus tard l'examen de l'action civile ("renvoi sur intérêts civils"), l'inverse est impossible, puisque la déclaration de culpabilité est un préalable à cet examen. Si le tribunal devait relaxer, l'action civile serait infondée. Seule exception : l'ajournement, qui consiste à déclarer le prévenu coupable, et à renvoyer à plus tard le prononcé de la peine, le tribunal souhaitant voir comment la situation va évoluer et si les promesses d'amendement du prévenu sont sincères avant de prononcer une peine (au plus tard dans l'année suivant la déclaration de culpabilité). Mais la culpabilité doit être prononcée au moment de l'ajournement.
Sur les 11.000 euros d'amende dont 2500 à la victime.
Une amende n'est JAMAIS destinée à la victime. Une amende est une peine, c'est donc pour la poche de l'Etat. En outre, le tribunal peut prononcer des dommages-intérêts, qui eux sont destinés à la victime pour réparer son préjudice. 2500 de préjudice matériel + 1500 pour préjudice moral + 4500 à la CPAM = 8500 euros. Il manque 2500 euros : je suppute 2000 euros d'amende pour la prévenue et 500 euros d'article 475-1 si Madame G. avait un avocat..
Sur la CPAM qui s'est constituée partie civile.
Non, non et non. Seule peut se constituer partie civile la victime DIRECTE des faits. La CPAM se constitue partie civile quand elle est victime de fraude par exemple (escroquerie aux prestations : une personne se fait payer des indemnités journalières sur présentation d'un faux dossier de salarié avec de faux arrêts de travail). En l'espèce, elle est intervenante en action récursoire, c'est à dire que comme elle a dû payer des frais de soins médicaux au profit de Madame G., elle peut en demander le remboursement au responsable des faits. L'article L.376-1 du Code de la sécurité sociale oblige, à peine de nullité du jugement, de mettre en cause la CPAM, c'est à dire de notifier à la caisse ayant payé des frais médicaux de la date de l'audience, et ce dans toute affaire où la victime a reçu des soins pris en charge par la sécurité sociale, afin qu'elle puisse produire sa créance et en demander le remboursement.
Mais au fait, si l'usurpation d'identité ne pouvait être retenue, pourquoi a-t-elle été condamnée ?
Voilà le point le plus intéressant. Pour violences volontaires avec préméditation ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 8 jours (peine encourue : 5 ans d'emprisonnement, 75000 euros d'amende, soit les mêmes peines que l'usurpation d'identité...).
En effet, les violences ne se résument pas à des coups portés, ce que l'ancienne dénomination du délit, coups et blessures volontaires, pouvait laisser supposer. C'est depuis un arrêt du 19 février 1891 (Oui, 1891) que la cour de cassation considère qu'une violence qui sans atteindre matériellement la personne, lui cause un choc émotif est constitutive du délit. Exemple : Foncer sur la victime avec sa voiture en pilant au dernier moment, entrer en hurlant dans la chambre de la victime endormie, menacer la victime avec un révolver ou une pierre tenue à la main, l'envoi de lettres anonymes... Le tribunal de Paris a précisé d'une jolie formule, dans un jugement du 8 mars 2000[1] : le délit de violences suppose un acte positif (pas de violence par omission) sciemment commis avec la prévision qu'il en résultera une atteinte à la personne d'autrui.
Dans notre affaire, il y a eu acte positif, réitéré même (création de compte, connexion et prise de contact avec les étalons du net), sciemment commis (l'acte est trop complexe pour être accompli par erreur) avec la prévision (et ici même l'espoir) qu'il en résultera une atteinte à la victime (que sa vie soit perturbée à son domicile). L'acte a provoqué une dépression qui a causé dix jours d'incapacité totale de travail (qui est une notion pénale distincte de l'arrêt de travail du droit social, qui est posé par un médecin expert et non par le médecin traitant).
Et quid du pesudonyme ?
Usurper un pesudonyme n'est à mon sens nullement exclusif de l'usurpation d'identité ni des violences, bien que cet aspect n'ait à ma connaissance jamais été jugé. En effet, celui qui commet un délit en usurpant un pseudonyme (imaginons qu'un faux Eolas aille tenir chez Embruns des propos hétérophobes, ce qui ne s'y est jamais vu), la police, saisie de l'enquête pour injure sur l'orientation sexuelle, peut diriger ses investigations vers votre serviteur (en demandant à Free de lui communiquer mon identité). L'usurpation est dès lors constituée. De même qu'un faux Eolas allant tenir sur un forum altermondialiste des propos hostiles aux OGM et à la constitution européenne ne manquerait pas de me provoquer une intense souffrance morale (qui se chiffrerait en millions d'euros de dommages-intérêts) et constituerait le délit de violences volontaires.
La seule condition est que le pseudonyme jouisse d'une certaine notoriété ou soit assez spécifique pour diriger les soupçons vers une personne précise (Eolas, Versac, par exemple, pas des pseudonymes de fantaisie comme Laurent Gloaguen ou Loïc Le Meur[2]), ou soit corroborré par des éléments d'identification (lien vers le site du pseudo usurpé par exemple).
Commentaires
1. Le jeudi 29 juin 2006 à 16:42 par Juriste en herbes
2. Le jeudi 29 juin 2006 à 16:42 par Juriste en herbes
3. Le jeudi 29 juin 2006 à 16:45 par groM
4. Le jeudi 29 juin 2006 à 16:58 par Juriste en herbes
5. Le jeudi 29 juin 2006 à 17:00 par authueil
6. Le jeudi 29 juin 2006 à 17:02 par yann
7. Le jeudi 29 juin 2006 à 17:07 par paula
8. Le jeudi 29 juin 2006 à 17:10 par flo
9. Le jeudi 29 juin 2006 à 17:12 par authueil
10. Le jeudi 29 juin 2006 à 17:16 par flo
11. Le jeudi 29 juin 2006 à 17:29 par Luc
12. Le jeudi 29 juin 2006 à 17:46 par flo
13. Le jeudi 29 juin 2006 à 17:50 par Régis B.
14. Le jeudi 29 juin 2006 à 18:25 par Dr. A. Gibus
15. Le jeudi 29 juin 2006 à 18:32 par flo
16. Le jeudi 29 juin 2006 à 18:57 par Editeur juridique
17. Le jeudi 29 juin 2006 à 20:29 par Eolas
18. Le jeudi 29 juin 2006 à 20:52 par Zkark
19. Le jeudi 29 juin 2006 à 21:26 par Schloren
20. Le jeudi 29 juin 2006 à 22:14 par Fred
21. Le jeudi 29 juin 2006 à 22:44 par Xavier
22. Le jeudi 29 juin 2006 à 22:51 par Sans pseudo
23. Le jeudi 29 juin 2006 à 23:36 par Oggy
24. Le jeudi 29 juin 2006 à 23:37 par Clems
25. Le jeudi 29 juin 2006 à 23:40 par Icandoit
26. Le jeudi 29 juin 2006 à 23:45 par YaSalam
27. Le vendredi 30 juin 2006 à 00:02 par Clems
28. Le vendredi 30 juin 2006 à 00:25 par Oggy
29. Le vendredi 30 juin 2006 à 00:25 par Raymond Devos
30. Le vendredi 30 juin 2006 à 00:50 par Akhenn
31. Le vendredi 30 juin 2006 à 01:00 par Akhenn
32. Le vendredi 30 juin 2006 à 01:03 par tokvil
33. Le vendredi 30 juin 2006 à 03:01 par fred_ay
34. Le vendredi 30 juin 2006 à 10:24 par elvis presley
35. Le vendredi 30 juin 2006 à 10:25 par désirée
36. Le vendredi 30 juin 2006 à 11:49 par Cobab
37. Le vendredi 30 juin 2006 à 19:55 par Za
38. Le vendredi 30 juin 2006 à 20:04 par frédéricLN
39. Le samedi 1 juillet 2006 à 15:44 par Editeur juridique
40. Le mardi 4 juillet 2006 à 20:04 par Patnprivate
41. Le jeudi 6 juillet 2006 à 16:31 par marinmalin
42. Le mardi 25 juillet 2006 à 15:57 par lahcen