France, terre d'accueil
Par Eolas le dimanche 28 mai 2006 à 00:57 :: Droit des étrangers :: Lien permanent
Où l'auteur continue sa visite guidée de la France, vue par les yeux d'un étranger, aujourd'hui un demandeur d'asile.
Nous continuons notre visite en suivant les pas d'un étranger ayant réussi à poser le pied sur le territoire français.
Les plus vernis d'abord, mais à court terme : les demandeurs d'asile. Comprendre, ceux qui ont quitté une ZAPI verticalement, et non horizontalement. Leur demande n'a pas été jugée manifestement infondée par le ministre de l'intérieur ou ils ont été mis en liberté par le JLD (l'expression exacte étant "n'ont pas été maintenus en zone d'attente" : notez que la liberté est l'exception).
Ceux ci sont en situation régulière. Pour huit jours. Ils ont une APS, une Autorisation Provisoire de Séjour (ne donnant pas droit à travailler), le temps pour eux de se rendre à la préfecture de leur domicile retirer un dossier de demande d'asile.
Alors, comment ça se passe ?
A priori, c'est simple : il faut se rendre à la préfecture. C'est là que ça se complique. Chaque préfecture a ses propres usages, mais toutes respectent plus ou moins le même schéma. (suggestion musicale : Michael Kamen, "Central Services / the Office", B.O. du film Brazil, de Terry Gilliam). Voici par exemple comment ça se passe à Créteil.
Vous vous présentez aux aurores à la préfecture. En effet, la préfecture accepte un nombre limité de demandeurs par jour. C'est le prix de la course : premier arrivé, premier servi. Arriver à l'heure d'ouverture vous garantit que vous serez refoulé. Les queues commencent à sept heures pour les demandes d'asile, à six heures, parfois cinq pour les autres catégories.
On vous donne ensuite un numéro. Vous attendez. Très longtemps (Vous êtes du coup bien contents d'être arrivé aux aurores). Sur présentation de votre passeport et d'un justificatif de votre domicile, on vous remet un joli formulaire à remplir, une liste de pièces à fournir et une convocation sur papier bleu pour un deuxième rendez vous. Le formulaire est à remplir en français, bien sûr. Vous ne savez pas lire le français ? Dommage. Heureusement, le personnel de la préfecture est là pour vous aider.
Je plaisante. C'est chacun pour soi.
Le jour venu, vous revenez à la préfecture. Vous êtes convoqué à huit heures, alors que la préfecture ouvre à neuf heures. Ne posez pas de question, et remettez Brazil.
Vous allez cette fois dans la file des étrangers qui ont le papier bleu (20 à 30 environ). Vous avez le sentiment d'avoir eu une promotion.
On vous prend le formulaire et on vous donne un numéro. Et vous attendez. Longtemps. Pendant ce temps, le personnel de la préfecture ouvre un dossier à votre nom et à celui des autres convoqués au papier bleu.
Quand les dossiers sont ouverts, les étrangers sont appelés un par un pour une prise d'empreintes digitales numérisée.
Et retour à la salle d'attente. Imaginez l'ambiance, les familles avec enfants venant avec leurs bambins et leurs bébés qui s'ennuient à mourir.
Pendant ce temps, la préfecture vérifie, à l'aide de vos empreintes et des informations personnelles du formulaires que vous n'avez pas déjà fait une demande d'asile, que vous n'êtes pas inscrit au Système d'Information de Schengen aux fins de non admission.
Vous attendez donc qu'on vous rappelle. La journée est passée, enfin votre nom résonne dans le haut-parleur. Tout va bien : votre passeport est authentique, vous êtes inconnu au bataillon des déjà-refusés, vous avez fourni vous deux photos, votre formulaire a été rempli san faute, votre justificatif de domicile est accepté. Vous avez franchi les obstacles, on vous remet donc…
Un dossier de demande d'asile.
Elle est pas bonne, celle là ? Allez, remettez un coup de Brazil.
Vous avez donc le dossier, un récépissé valable un mois vous maintenant en situation régulière (toujours sans le droit de travailler, j'espère que vous avez du poids à perdre parce que rien n'est prévu pour vous nourrir). Ce dossier complété (en Français bien sûr, si vous êtes en famille, c'est un formulaire par personne) doit être déposé sous trois semaines auprès de l'OFPRA, l'Office Français de Production de Refus d'Asile. Pardon, l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides. Si le délai de trois semaines n'est pas respecté, le dossier ne sera pas examiné, c'est fini, l'asile vous est fermé.
Votre dossier déposé, on vous remet un récépissé de dépôt. Devinez quoi ? Vous êtes bon pour un nouveau déplacement à la préfecture pour échanger ce récépissé contre un "récépissé constatant le dépôt d'une demande d’asile". Pour éviter les redondances, on appelle le récépissé de l'OFPRA lettre d'enregistrement. Ce récépissé constatant le dépôt d'une demande d’asile donne droit au séjour pendant trois mois, renouvelables au prix d'une nouvelle visite à la préfecture. Ce récépissé ne donne pas droit à travailler, mais les ASSEDIC vous verseront une allocation mensuelle (de 9,86 euros par jour) : vous allez pouvoir manger.
L'OFPRA finit par statuer sur votre dossier. Vous n'aurez pas forcément été convoqué (voir sur le site de l'OFPRA la description de la procédure). Vous avez un mois pour faire appel devant la CRR, Commission de Recours des Réfugiés (située à Vincennes, dans le Val de Marne). où là il y aura audience avec éventuellement assistance d'un avocat.
La majorité des demandes sont rejetées, et cette part augmente considérablement au fil des ans. Selon un rapport public du Conseil d'Etat, on est passé de 28 872 demandes en 1992, acceptées pour 28% d'entre elles, à 52 204 demandes en 2003, acceptées à 14%. Le nombre de demandes acceptées a chuté de 10 266 en 1992 à 4 244 en 1996, avant de rebondir et de remonter à 9 790 en 2003. Il est en effet très difficile d'apporter la preuve des persécutions dont on fait l'objet : les états dictatoriaux et les guérillas terroristes rechignent, malgré les demandes répétées des avocats, à nous délivrer des attestations d'oppression sur papier à en-tête. Je me souviens ainsi d'un ressortissant du Nigeria, membre de la minorité chrétienne en terre musulmane, qui n'avait comme seule preuve à montrer à la CRR que la photo de la tombe de son père assassiné et de la maison de celui-ci incendiée par ses assassins. Confirmation du rejet de sa demande.
La croissance du nombre de demandes d'asile tient sans doute pour une bonne part à l'augmentation de demandes infondées. Parce que toutes les autres voies légales sont fermées, sauf celles que les engagements internationaux de la France contraignent à laisser entr'ouvertes. La riposte législative a été bien sûr de durcir la procédure, de contraindre l'OFPRA à traiter les dossier en un temps limité, et en permettant à l'OFPRA de ne pas entendre le requérant pour refuser sa demande.
Le prix à payer est que des vrais réfugiés sont emportés par le flot des refus. Le taux d'annulation des rejets de demande par la commission de recours est passé de 4,22% en 1992 à 11,45% en 2003 (2177 contre 3377 annulations, respectivement - même source).
Les rejetés définitifs rejoignent le flot des clandestins, des étrangers en situation irrégulière.
C'est à eux que je m'intéresserai dans mon prochain billet.
Commentaires
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2. Le dimanche 28 mai 2006 à 01:57 par Thierry
3. Le dimanche 28 mai 2006 à 02:35 par yann
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