Où l'on reparle de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité
Par Eolas le jeudi 27 avril 2006 à 16:21 :: Actualité du droit :: Lien permanent
Où l'auteur sort d'un long mutisme pour se fendre d'un billet malgré un agenda chargé.
Le Conseil d'Etat a annulé aujourd'hui deux circulaires relatives à l'application de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, appelé aussi à tort "le plaider coupable" fût-ce "à la française", instituée par la loi Perben II et entrée en vigueur le 1er octobre 2004.
Décidément, cette procédure rejoint le panthéon des lois mal nées, puisque ce sont successivement les trois plus hautes juridictions française, la Conseil constitutionnel, la cour de cassation et maintenant le Conseil d'Etat, qui ont retoqué cette loi. Cette unanimité judiciaire est assez rare pour être relevée. Même la plus haute juridiction administrative qu'est le Conseil d'Etat, qui normalement ne connaît pas des questions de procédure pénale, y est allé de son hallali. C'est un camouflet aussi pour celui qui en avait fait la figure de proue de sa réforme et avait tenu à donner son nom à cette loi. Mais si un ministre devait subir les conséquences de son mauvais travail législatif, ça se saurait.
Bref rappel : la CRPC visait à permettre de juger rapidement et massivement des petits délits appelant des petites peines sans passer par la procédure de comparution immédiate, qui, pour allégée qu'elle soit, reste malgré tout trop lourde pour la chancellerie. Rappelons l'axiome fondamental qui régit la République depuis 1958 : en matière de justice, toute réforme est permise, toute expérimentation est possible tant qu'elle ne suppose pas d'augmenter de plus d'un euro le budget de la justice.
Rappelons brièvement le schéma d'une procédure correctionnelle de comparution immédiate.
1. Un délit est commis (une femme se fait voler son sac à main), la police est prévenue très rapidement ou une patrouille assiste aux faits.
2. L'auteur est identifié et appréhendé peu de temps après. La police réunit des indices et fait des constatations qui renforcent les soupçons contre cette personne (Il est trouvé en possession du portefeuille de la victime, le sac à main est retrouvé dans une poubelle du coin de la rue).
3. Il est placé en garde à vue et conduit au commissariat. Le procureur est informé, il donne pour instruction à la police de continuer à mener cette enquête. Le gardé à vue peut demander à voir un avocat, un médecin, à faire prévenir un proche ou son employeur.
4.Le gardé à vue est interrogé sur son identité (la police en profite pour vérifier s'il est connu voire recherché), puis sur les faits. Pris la main dans le sac (c'est le cas de le dire), il passe des aveux. La victime est entendue sur les faits, sa plainte est enregistrée et elle identifie sur album photo ou "tapissage" comme dans les films le gardé à vue.
5. Le procureur est informé de ces élements. Il estime qu'il a là un kit à condamnation, et décide de le faire passer en comparution immédiate.
6. Il est mis fin à la garde à vue, le gardé à vue est déféré (autrefois, on otait les fers qui l'attachaient au mur, il était dé-feré) c'est à dire qu'il est conduit au dépôt du palais où il est tenu à disposition du parquet (il peut rencontrer un avocat à cette occasion) ;
7. Le procureur le rencontre, lui notifie sa citation devant le tribunal, recueille ses déclarations et commande un casier judiciaire ; voilà notre voleur désormais prévenu (on ne parle d'accusé que devant la cour d'assises) ;
8. Il a un entretien avec un avocat qui prépare sa defense avec lui l'avocat ayant accès au dossier dès la sortie du bureau du procureur) ;
9. Il a un entretien avec un enquêteur de personnalité qui l'interrogesur son parcours personnel et professionnel, ses conditions de vie et essaye de vérifier rapidement les éléments qui lui sont indiqués (coup de fil à la famille, aux organismes sociaux...), il rédige un rapport qui est joint au dossier, mais concrètement après que l'avocat ait vu son client, c'est dans la salle d'audience que l'avocat peut prendre connaissance du rapport.
10. Il est amené devant le tribunal, qui lui demande s'il accepte d'être jugé tout de suite ou souhaite un délai, sachant que le tribunal pourra décider qu'il le passera en prison. Le président lit rapidement les procès verbaux, engueule le prévenu, écoute le procureur, fait semblant d'écouter l'avocat, et met en délibéré à la prochaine suspension d'audience, ou rend sa décision immédiatement.
La CRPC intervient au stade 5 : le procureur décide d'une CRPC plutôt que d'une comparution immédiate (CI). Le 6 reste inchangé, mais ensuite ça diffère.
7'. Le procureur rencontre le prévenu et lui propose le principe de la CRPC. A ce stade, le procureur est seul avec le déféré. Si le déféré accepte, il est mis fin à l'entretien le temps que l'avocat consulte le dossier.
8'. Le déféré et son avocat retournent voir le procureur, qui fait une proposition de peine. L'avocat peut tenter de négocier, chacun ayant la même arme : le refus de la CRPC. L'avocat tentera d'obtenir une peine plus légère que ce que donnerait la jurisprudence du tribunal, le procureur libère une case du rôle du tribunal qui lui permet de juger un dossier de plus. C'est donnant donnant. Une fois l'accord obtenu, un procès verbal est signé. Le déféré est désormais comparant.
9'. Le comparant est envoyé à l'audience d'homologation, où un juge prend connaissance du dossier, de la peine proposée, pose quelques questions au comparant, et écoute les explications de l'avocat sur l'opportunité de la peine proposée. Le juge décide alors d'homologuer la peine, et le comparant devient condamné, ou de refuser l'homologation, et le comparant devient prévenu et est renvoyé devant le tribunal. Tous les documents relatifs à la CRPC sont otés du dossier, le tribunal ne sait pas qu'il y a eu tentative de CRPC ni surtout pourquoi elle n'a pas abouti (refus du prévenu, du procureur ou du juge homologateur).
Concrètement, à Paris, où la CRPC a été mise en place sur ordre exprès de la chancellerie, et non par adhésion enthousiaste du parquet, la CRPC ne traite quasiment exclusivement que de conduites en état d'ivresse. On n'en voit plus en CI, ou presque plus.
La CRPC ne suppose pas nécessairement que la personne poursuivie soit privée de liberté. Le parquet peut décider de mettre fin à la garde à vue et de relacher l'intéressé avec une convocation pour une CRPC à une date ultérieure (c'est d'ailleurs le cas le plus souvent pour les conduites en état alcoolique n'ayant pas provoqué d'accident). Le comparant arrive donc libre et accompagné de son avocat : il est convoqué vers 10 heures, et l'homologation a lieu à 14 heures.
Mon opinion première sur cette procédure a été renforcée par la pratique. J'aime bien la CRPC car si on comprend bien la procédure, on peut jouer un vrai rôle d'avocat, plus utile qu'en CI.
D'abord, lors de la négociation de la peine. Initialement, la section P12 du parquet, en charge des procédures rapides (on dit "en temps réel" en sabir de la chancellerie, mais je cherche encore les procédures en temps irréel), avait indiqué que les propositions seraient "à prendre ou à laisser". C'était mal connaître les avocats, qui ont l'habitude de négocier. Ce n'est pas une discussion de marchand de tapis, mais l'avocat, surtout un avocat choisi dans l'hypothèse d'une CRPC libre, a pu préparer son dossier, amène des éléments qui vont appuyer sa contre proposition. Exemple : baisser la suspension de permis de six à trois mois en démontrant que le comparant a un besoin professionnel, et a des salariés dependant de son activité. Le procureur, qui n'avait pas ces éléments au moment de faire son premier choix, sera peu enclin à mettre en péril ces emplois face à un conducteur primodélinquant.
Ensuite, lors de l'audience d'homologation, où le rôle de l'avocat n'est plus de défendre son client mais de défendre la peine, car, et c'est un élément important dans le cadre des décisions du Conseil d'Etat qui ouvrait ce billet, le parquet n'est pas présent à l'audience. Dans notre exemple, le juge ouvrira de prime abord de grands yeux en voyant la suspension de permis réduite, inférieure au tarif. A l'avocat d'expliquer que ces trois mois ont été décidés en connaissance de cause par le procureur au vu des éléments qu'il présente à nouveau, rappeler qu'il y a une peine principale d'amende et de prison avec sursis, une perte de points, et en plus un casier qui fait qu'il n'aura pas la même mansuétude en cas de réitération ce qui le poussera à l'eau de Vichy plus qu'à l'eau de vie.
Après quelques secondes de réflexion, le juge décide ou non d'homologuer. Le condamné a dix jours pour faire appel, hypothèse absurde, mais qui est une sorte de délai de réflexion.
La CRPC apporte ainsi ce que j'attendais d'elle : une façon d'éviter le terrible aléa d'un procès, et d'obtenir une peine qui sans nul doute est inférieure à celle que le tribunal aurait prononcée. La justice y gagne aussi car la CRPC permet de traiter rapidement tous les dossiers de conduite en état alcoolique en ne mobilisant qu'un procureur au début de la chaine et un juge à la fin (et son inséparable greffier, bien sûr), puisqu'une CRPC prend en tout une trentaine de minutes de temps utile des deux magistrats, tandis qu'un procès en occuperait au moins le double.
Alors, si tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes judiciaires, pourquoi diable le Conseil constitutionnel a-t-il tiqué, la cour de cassation toussé, et le Conseil d'Etat renaclé ?
La suite demain, si vous êtes sage.
Commentaires
1. Le jeudi 27 avril 2006 à 17:30 par Juriste en herbes
2. Le jeudi 27 avril 2006 à 17:38 par lio
3. Le jeudi 27 avril 2006 à 17:39 par loz
4. Le jeudi 27 avril 2006 à 17:59 par Sébastien
5. Le jeudi 27 avril 2006 à 18:11 par Champagne
6. Le jeudi 27 avril 2006 à 18:28 par Lecteur du monde
7. Le jeudi 27 avril 2006 à 18:31 par Bib2
8. Le jeudi 27 avril 2006 à 18:43 par YESSSS
9. Le jeudi 27 avril 2006 à 19:16 par tokvil
10. Le jeudi 27 avril 2006 à 19:58 par Coren
11. Le jeudi 27 avril 2006 à 20:00 par Sans pseudo
12. Le jeudi 27 avril 2006 à 20:47 par Charles
13. Le jeudi 27 avril 2006 à 22:16 par Kristian
14. Le jeudi 27 avril 2006 à 23:13 par Laurent GUERBY
15. Le jeudi 27 avril 2006 à 23:22 par Souplounite
16. Le vendredi 28 avril 2006 à 01:52 par keenoa
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28. Le vendredi 28 avril 2006 à 14:17 par Bladsurb
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