In memoriam CPE
Par Eolas le lundi 10 avril 2006 à 12:11 :: Actualité du droit :: Lien permanent
Ainsi, la nouvelle est tombée : le CPE sera "remplacé" par des colifichets pour l'insertion des jeunes en difficulté. Pas retiré, pas abrogé, remplacé.
Visiblement, l'activité de réflexion politique de ce dimanche a essentiellement consisté en la consultation du dictionnaire des synonymes pour trouver le mot idéal qui apaisera les syndicats, redonnera le goût des études aux jeunes bloqueurs, et défroissera la susceptibilité du premier ministre, dont les talents de poète sont bloqués sur la rime abrogation / démission, rime tout juste suffisante.
Donc, voilà le remède du jour : le CPE sera remplacé. Pas abrogé, remplacé, tout comme la loi a été promulguée mais pas appliquée.
Juridiquement, ça donne quoi ?
N'en déplaise au premier ministre, un remplacement est une abrogation.
Une loi s'applique de son entrée en vigueur [1] à son abrogation.
Cette abrogation peut être expresse ("L'article 8 de la loi du 31 mars 2006 est abrogé"), ou tacite, quand la loi nouvelle est clairement incompatible avec l'ancienne. Le terme remplacement laisse supposer que la loi qui va être votée au pas de charge devrait être rédigé dans cet esprit : "L'article 8 de la loi du 31 mars 2006 est ainsi rédigé", ou "est remplacé par les dispositions suivantes : bla bla bla".
Il demeure que le texte remplaçant l'article 8 actuellement en vigueur l'abroge puisque ce texte ne sera plus applicable. J'insiste sur le "actuellement en vigueur" tant nombre de commentateurs semblent considérer que le texte est d'ores et déjà supprimé (notamment Marie-Eve Malouine, Chef du service politique de France Info). Tant que l'article 8 n'a pas été abrogé, remplacé, ou ce que vous voulez, le CPE reste en vigueur.
Bref, le mot "remplacé" n'est pas du droit, c'est de la communication, et mes lecteurs savent quelle tendresse j'ai pour cette science appliquée au politique. Et je me désole de voir avec quelle docilité il est repris par les journalistes qui n'ont pas l'air de se demander si avec ce mot sorti de son chapeau, le président de la république n'est en train de se payer notre tête une fois de plus.
Quid alors des CPE signés sur des modèles à 10 euros ou des modèles mis à disposition gratuitement sur internet ?
De deux choses l'une : soit la future loi règle expressément leur sort en édictant les règles qui s'y appliquent, soit elle est muette sur la question. Le mutisme est tentant car toute disposition transitoire ne ferait que pointer du doigt l'horrible vérité : on a bel et bien abrogé le CPE à l'insu de Dominique de Villepin. Si la loi ne dit rien, ce sera aux Conseils de prud'hommes de trancher.
Aventurons nous un peu sur le terrain mouvant de l'extrapolation juridique. Terrain d'autant plus mouvant que nous sommes en matière sociale, ou des règles particulières s'appliquent, puisqu'il est toujours possible de déroger à la loi dans un sens favorable au salarié, mais dans ce sens là seulement.
Le principe est qu'une loi n'est pas rétroactive, sauf si elle le dit expressément. Puisque nous sommes dans une hypothèse de mutisme de la loi, sa rétroactivité est donc à écarter. Je précise qu'en matière pénale, le principe de non rétroactivité est absolu, c'est une protection fondamentale, un des droits de l'homme.
Si une loi n'est pas rétroactive, elle est en revanche d'application immédiate. Donc, à l'entrée en vigueur de cette loi nouvelle, il ne sera plus possible de signer de CPE.
Un CPE signé malgré cette abrogation ce remplacement sera requalifié en CDI de droit commun. Toutefois, si le contrat stipule l'indemnité de 8% en cas de rupture, il y a gros à parier que le CPH l'estimera due en cas de rupture pour cause réelle et sérieuse, puisqu'il s'agit d'une stipulation en faveur du salarié.
Et qu'en sera-t-il des CPE signés AVANT l'abrogation du CPE ? Puisque nous sommes en matière contractuelle, le principe est qu'il y a survie de la loi ancienne pour respecter l'équilibre voulu par les parties. Les CPE signés avant l'abrogation devraient rester valables (je le répète : nous sommes dans l'hypothèse où rien n'est dit dans la loi d'abrogation) jusqu'à l'expiration de la période de consolidation, où ils deviennent des CDI de droit commun. Outre le respect rigoureux des règles d'application de la loi dans le temps, des raisons d'opportunité viennent renforcer cette position : d'une part, les spécificités qui font le CPE ayant une durée de vie limitée à deux ans maximum, tous les CPE finiront par disparaître à brève échéance ; d'autre part, le CPE protège le salarié en cas de rupture en lui accordant une indemnité d'un montant considérable par rapport à un CDI, il n'est pas laissé dans une position désavantageuse par rapport à un salarié ordinaire.
Autre possibilité, plus sévère mais plus simple : au nom de l'ordre public et de l'égalité des salariés, tous les CPE sont immédiatement requalifiés en CDI et les Conseils de prud'hommes refusent d'appliquer les règles du licenciement non notifié (mais appliquent l'indemnité de rupture).
Bref, pour ménager l'ego du premier ministre par l'emploi de termes inappropriés, on ouvre une situation d'incertitude juridique pour les salariés et les employeurs. Le bouquet final est à la hauteur du reste du spectacle.
Mais il y en a qui doivent danser de joie, me direz-vous, ce sont les étudiants et lycéens ? Grâce à leur héroïque obstination à ne pas vouloir étudier, ils sont à l'abri de la "période d'essai" de deux ans et du licenciement non motivé ?
Et bien non, même pas.
Car si le CPE, faute d'estocade législative, aura droit à un déshonorant descabello, son frère jumeau le Contrat Nouvelles Embauches (CNE), lui, se porte comme un charme (400.000 signés pour une création nette de 140.000 emplois, claironne le gouvernement). Et rappelons que le CNE est un CPE qui s'applique à tout âge, moins de 26 ans inclus, pour les entreprises de moins de 20 salariés, c'est à dire là où les syndicats sont souvent absents et où il n'y a parfois aucune institution représentative du personnel (s'il y a moins de 11 salariés). Pour le reste, sa rédaction est identique à celle du CPE[2] : il y a une période de consolidation de deux ans, et la lettre de rupture n'a pas à être motivée.
Le CPE avait un avantage pour les jeunes : il ouvrait la porte des grandes entreprises, où l'emploi est nettement plus stable que dans des petites structures, qui certes recrutent plus, mais sont à la merci du premier retournement de la conjoncture économique.
Les étudiants ont remporté leur victoire d'Ausculum. Bon courage pour le bachotage de ces prochains mois (cette dernière phrase est dépourvue de toute ironie, je suis sincère, ils vont en baver).
Notes
[1] soit le lendemain de sa publication au JO sauf si la loi prévoit une entrée en vigueur repoussée le temps de mettre en place les structures nécessaires, la loi Perben II est un superbe exemple, avec une dizaine de dates d'entrée en vigueur différentes
[2] Voyez vous même : lisez l'article 2 de l'ordonnance du 2 août 2005 et l'article 8 de la loi du 31 mars 2006 : c'est un copier/coller.
Commentaires
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