Remettons en une couche avec le CPE
Par Eolas le mercredi 29 mars 2006 à 15:45 :: Actualité du droit :: Lien permanent
Où l'auteur, sous couvert de défendre le CPE, l'enterre peut être pour de bon.
Bon, je craque, je refais une note sur le CPE, parce que là, je crois que je vais surprendre.
Un débat est né dans la blogosphère juridique sur la constitutionnalité du CPE.
François de droit administratif (oui, c'est une particule) a fait un billet académique en deux parties deux sous parties, qui n'a pas emporté ma conviction (je lui réponds en commentaires).
Un argument beaucoup entendu est qu'il y aurait rupture de l'égalité car ce contrat ne s'appliquerait qu'aux "jeunes de moins de vingt six ans" et pas par exemple aux jeunes de cinquante six ans ou ceux de cent deux ans (l'exemple est de moi, François est austère comme un janséniste et ne se permettrait pas ce genre de piètre humour).
Je ne le pense pas car le Conseil constitutionnel ne prohibe pas toute différence de traitement dès lors qu'elle repose sur un critère objectif (ici, l'âge, c'est parfaitement objectif), licite (pas de critère de race ou de sexe, par exemple), et fondé (ici, on invoque le fort taux de chômage des jeunes). Ca me semble conforme.
Mais le critère de la rupture de l'égalité pourrait parfaitement fonder une censure totale du CPE, sous un angle totalement inattendu, si les Sages ont eu la curiosité de sortir leur calculette.
Imaginons une entreprise qui embauche trois jeunes de moins de 26 ans : Alain, Bernard et Charles. Elle les embauche le même jour et les paye au SMIC soit 1350 euros brut pour arrondir (1357,07 exactement pour 169 heures mensuelles).
Alain est embauché en CPE, Bernard en CDI, Charles en CPE (en effet, la loi ne substitue pas le CPE au CDI, elle crée cette possibilité, l'employeur peut choisir, le salarié exprimer une préférence).
Alain est licencié le 23e mois, Bernard pour cause réelle et sérieuse le 21e mois, Charles le 25e mois.
Alain a un mois de préavis, qu'il effectue. Il touchera l'indemnité de rupture de 8% soit 2592 euros (8% de 1350 euros brut X 24 mois travaillés).
Bernard, en CDI, a deux mois de préavis qu'il effectue et quittera son emploi le 23e mois, le même jour qu'Alain : il touchera zéro euro d'indemnité. En effet, l'indemnité légale de licenciement n'est dû qu'après deux ans d'ancienneté, seuil non atteint ici. A ancienneté égale, on passe de 2592 euros à zéro.
Charles est quant à lui en CDI de droit commun, la période de consolidation étant terminée. Il effectue deux mois de préavis, et touche l'indemnité légale de licenciement. Soit 270 euros, en supposant qu'il a pris tous ses congés payés : un dixième de mois par année d'ancienneté soit 20% de 1350 euros.
Moralité : Employeurs, vous voulez licencier des jeunes ? Prenez les en CDI, ça coûte moins cher. Etudiants, vous voulez être protégés ? Demandez que le CPE dure dix ans !
C'est amusant, le droit, hein ?
Et bien j'ai mieux. Mise à jour : non, je n'ai pas mieux. Le paragraphe suivant était erroné, merci à Ardok de m'avoir ouvert les yeux. Pas de discrimination à la démission, mais il reste celle à la rupture.
Changeons l'hypothèse :
Alain et Bernard ne s'entendent pas avec l'employeur et sentent pointer la dépression. Ils préfèrent partir et démissionnent le même jour, le 23e mois.
Alain, en CPE, a droit à l'indemnité de rupture (la rupture peut venir de l'employeur ou du salarié : la loi est très claire : l'indemnité est due peu importe qui prend l'initiative de la rupture). Il a aussi droit aux ASSEDIC, puisqu'il y a rupture. Il touchera 850 euros environ par mois.
Bernard, en CDI, est considéré comme démissionnaire. Il n'a droit à aucune indemnité (l'indemnité légale n'est pas due en cas de démission, article 2 du règlement de l'UNEDIC, et il n'a de toutes façons pas l'ancienneté nécessaire), et n'a pas droit non plus à une prise en charge par les ASSEDIC, qui assurent le risque du chômage, c'est à dire dû à un licenciement et non à une démission qui n'est pas la réalisation d'un risque mais un choix du salarié.
Alain touche donc 2592 euros et 850 euros par mois d'allocation chômage.
Bernard touche que dalle. Eventuellement, au bout de quatre mois de chômage pourra-t-il demander le réexamen de ses droits s'il justifie de la recherche infructueuse d'un emploi.
NB : ces chiffres sont des ordres de grandeur, je ne puis matériellement faire une simulation précise, si quelqu'un des ASSEDIC me lit, il peut rectifier ou préciser.
Nous avons donc des personnes issues de la même population, les moins de 26 ans, celle visée par le CPE, qui dans des situations identiques, ont un traitement non pas seulement différent, mais carrément opposé. Là, le Conseil constitutionnel tient un moyen d'inconstitutionnalité très fort, en espérant que ça ne leur échappe pas, puisqu'il y a gros à parier que le recours déposé par l'opposition n'aborde pas l'angle de la rupture d'égalité au détriment des jeunes en CDI, mais se contente de l'angle inverse, qui me paraît moins solide.
Bon, les anti-CPE arc-boutés sur le thème de la précarité et du CPE complot libéral seront sceptiques : le CPE serait-il en fait un piège à patron ?
Non, mais sans doute un miroir aux alouettes (qui est un appât, pas un piège).
En effet, il y a un point qui est passé sous silence dans mon exemple et qui est la clef de l'attrait que peut avoir le CPE pour les employeurs, mais il relève plus de la théorie économique et de la psychoéconomie que du droit (comme quoi les accusations de monomanie à mon encontre sont infondées).
Licencier un CDI crée un risque, celui du contentieux prud'homal, risque qui pèse sur l'employeur.
En effet, Bernard et Charles pourraient saisir le conseil de prud'hommes pour contester la cause réelle et sérieuse de leur licenciement. C'est à l'employeur de l'établir, de fournir au CPH les preuves de son caractère réel et sérieux. Cela a d'ores et déjà un coût fixe : frais d'avocat, salaire de la DRH pour suivre ce dossier et réunir les preuves, et en principe, deux demi journées de présence au CPH, la comparution des parties en personne étant le principe.
S'il ne parvient pas à établir la cause réelle et sérieuse, il doit indemniser l'employé de la rupture. Pour Bernard, c'est le montant exact de son préjudice, qui peut être conséquent : par exemple, fixé au salaire qu'il aurait dû percevoir entre le licenciement et le moment où il a trouvé un nouvel emploi s'il justifie avoir activement cherché. Vous imaginez si le chômage a duré deux ans... Pour Charles, cette indemnité ne peut en tout état de cause être inférieure à six mois de salaire, même s'il a retrouvé du travail tout de suite, du fait de son ancienneté de deux ans, c'est le code du travail.[1]
Or, en économie, on connaît la force de l'aversion au risque. A ce sujet, je vous recommande la lecture de cette passionnante note d'Econoclaste sur le sujet.
C'est précisément ce sur quoi table le CPE : supposer que pour convaincre l'employeur d'embaucher un jeune de moins de 26 ans, et vaincre l'aversion au risque d'un procès aux prud'hommes s'il doit le licencier, il préférera la certitude d'une perte de 3240 euros dans le cas d'Alain (l'indemnité totale payée par l'employeur est de 10% dont 8% pour le salarié et 2% aux ASSEDIC) que la crainte d'une perte indéterminable dans le cas de Bernard. Car gagner un procès aux prud'hommes lui coûterait sans doute moins cher que ces 3240 euros, et il n'est même pas certain que Bernard porte l'affaire en justice. Et c'est pourquoi le gouvernement s'arc-boute sur la non-motivation de la rupture, car si les motifs pouvaient aisément être discutés devant le CPH, le CPE perdrait cet avantage psychologique (parce qu'économiquement, on l'a vu, il est ruineux par rapport à un CDI).
Voici la fort étonnante conclusion du jour : le CPE n'est pas la jeunesse livrée en cadeau au patronat, mais une sacrée protection offerte à celle-ci en jouant sur les crainte de celui-là.
Et si le CPE est sans doute contraire à la constitution, c'est parce qu'il protège trop les jeunes qui en seront titulaires au détriment des jeunes qui ne se seront vu proposer qu'un CDI.
PS : le droit social n'est pas mon activité dominante, je saurai gré à quiconque pourra me signaler mes erreurs.
Notes
[1] Au passage, vous remarquerez que le seuil de deux ans retenu dans le CPE correspond à un seuil important en droit du travail, il y a cohérence : seuil de l'indemnité de licenciement, seuil de l'indemnité minimale de rupture abusive… Réduire la période de consolidation à un an créerait un hiatus dans la protection du salarié puisque pendant la 2e année, il pourrait être licencié sans indemnité.
Commentaires
1. Le mercredi 29 mars 2006 à 13:32 par loren
2. Le mercredi 29 mars 2006 à 13:37 par v_atekor
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