Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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La mort clinique de l'article 434-7-2 du code pénal

En avril dernier, je narrais les mésaventures d'une consœur toulousaine mise en examen et placée sous mandat de dépôt pour avoir révélé des éléments d'une instruction en cours à une personne qui était impliquée dans le dossier.

L'émoi avait été grand chez les avocats face à cette première et sévère application de ce délit nouveau, créé par la loi du 9 mars 2004 dite loi Perben II, qui a fourni à ce blog tant de sujets de billets.

La chancellerie avait annoncé sinon l'abrogation réclamée par les avocats du moins une révision à la baisse, tant de la peine encourue (cinq années d'emprisonnement) que de la sévérité de la définition du délit.

C'est chose faite avec la loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales. Oui, l'article 434-7-2 n'a rien à voir avec le traitement de la récidive, c'est ce qu'on appelle un cavalier, une disposition "diverse" qui n'a pas grand chose à voir avec l'objet de la loi.

Cette loi a modifié deux éléments du délit ce qui va à mon sens plonger ce texte dans un état de mort clinique : il existe encore, est en vigueur, mais ne sera jamais appliqué, sauf cas exceptionnel.

Premier changement, la peine, réduite de cinq à deux années d'emprisonnement et l'amende passe de 75.000 à 30.000 euros. La conséquence est de taille, puisque la détention provisoire ne peut être ordonnée que pour les délits passibles de trois ans d'emprisonnement ou plus (article 143-1 du CPP). La peine reste toutefois de 5 ans d'emprisonnement quand l'instruction concerne un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement relevant des dispositions dérogatoires de la loi Perben II.

Deuxième changement, non moins de taille : l'élément intentionnel du délit est renforcé. Ce délit est ainsi modifié (les dispositions abrogées sont barrées, et les nouvelles sont en gras.

Sans préjudice des droits de la défense, le fait, pour toute personne qui, du fait de ses fonctions, a connaissance, en application des dispositions du code de procédure pénale, d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction en cours concernant un crime ou un délit, de révéler, directement ou indirectement, ces informations à des personnes susceptibles d'être impliquées de révéler sciemment ces informations à des personnes qu'elle sait susceptibles d'être impliquées, comme auteurs, coauteurs, complices ou receleurs, dans la commission de ces infractions, lorsque cette révélation est de nature à entraver est réalisée dans le dessein d'entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité.

Ainsi, l'avocat doit avoir agi sciemment, et savoir que la personne à qui il révèle des informations est susceptible d'être impliquée ; de plus, l'avocat doit ce faisant vouloir entraver le déroulement des investigation : ce n'est plus un délit de négligence, mais un délit intentionnel exigeant un dol spécial, c'est à dire la volonté d'atteindre un résultat déterminé et non la simple action en connaissance de cause.

Outre le fait qu'une telle hypothèse confine à l'absurde, elle met à la charge du parquet des preuves tellement difficiles à rapporter, pour un délit passible de deux années et ne permettant pas la détention provisoire, que je prédis à ce texte une désuétude définitive (qui est une abrogation diplomatique). En effet, si un de mes confrères devait avoir la langue trop bien pendue, il y a gros à parier que le parquet se rabattra sur la violation du secret professionnel, passible seulement d'un an d'emprisonnement, mais tellement plus facile à démontrer.

Commentaires

1. Le dimanche 18 décembre 2005 à 23:39 par Pangloss

mais est ce que le législateur, cette entitée abstraite, se rend elle compte de cela?
Enfin en présument que ce que vous dites est vrai, l'assemblée nationale et le gouvernement ont bossé longtemps et intensément pour ... rien?
D'accord on parle d'administration, mais là, l'imbécilité confine au divin.

2. Le lundi 19 décembre 2005 à 08:39 par visiteur

Oui, Pangloss, le législateur se rend compte de cela et surtout, a voulu cela!

Tous les acteurs de la vie judiciaire ont admis - même si un peu tard - que ce texte était inutile compte tenu de l'existence d'autres dispositions permettant de sanctionner de tels comportements, et que sa mise en oeuvre pouvait avoir des conséquences tout à fait excessives.

Les avocats ( tous syndicats et associations confondus) ont "exigé" son abrogation; une reculade à laquelle le gouvernement ne voulait se résoudre. C'est donc ce compromis qui a été retenu : le texte existe encore ( le légismlateur ne perd pas la face ) mais les professionneles savent qu'il ne sera plus appliqué....

Tout le monde s'est serré la main avec contentement de soi et a rejoint ses troupes fier de son succès....



3. Le lundi 19 décembre 2005 à 10:45 par pangloss

Je suis sur que nombre d'étudiant en droit vont maudire M le ministre perben pour avoir fait voter une loi qui soit inutile dans les faits mais qui sera donc étudié, ne serait ce que dans un but pédagogique...
Enfin ca donne l'illusion au députés de mériter leur traitement.


Rassurez vous, les études de droit ne consistent pas à prendre le JO et à l'apprendre par coeur. Cela ferait du droit la discipline la plus épéhémère qui soit avec l'étude historique du secrétariat d'Etat au droit des victimes. Cela dit, l'article 437-4-2 donnera un bon sujet d'application de la loi pénale dans le temps et de l'analyse d'un même délit qui est passé du délit de négligence au délit intentionnel avec dol spécial. Donc, les chargés de TD en droit pénal disent merci à Messieurs Perben et Clément.

Eolas

4. Le lundi 19 décembre 2005 à 11:02 par Terpsichore

Hélas mon cher Pangloss, je peux dire au nom des tous les étudiants en droit que nos études se résument à étudier des lois qui ne seront jamais appliquées ou si peux, à tenter de suivre des réformes allant plus vite que l'impression d'un code dalloz et à commenter des décisions au sens obscure... Tout cela pour se rendre compte après un stage de quelque mois en cabinet d'avocat que nous ne savons rien et que nous sommes profondement inaptes à la défense de qui que ce soit!

Bref je m'égare... Mais pour en revenir a cette note, il est difficile de savoir si maître Eolas se réjouit ou non de cette "abrogation diplomatique voire démagogique" de feu l'article 437-4-2 :) ??


La nouvelle ne me fait pas danser la polka. Avant même son entrée en vigueur, je ne pense pas avoir jamais révélé d'informations dans des circonstances qui m'eussent exposées à des poursuites sous l'empire de l'ancien texte. Ne jamais révéler d'informations à une autre personne que son client et particulièrement au téléphone devrait être une règle de bon sens pour les avocats, sans que le Code pénal ne vienne y mettre son vilain nez.

Eolas

5. Le lundi 19 décembre 2005 à 12:25 par Cyrille

C'est le 437-4-2 (comme dans le titre de la note) ou le 434-7-2 (comme dans le texte de la note)?


434-7-2, je rectifie, merci de votre vigilance.

Eolas

6. Le lundi 19 décembre 2005 à 14:04 par StraightfromtheCask

Merci pour cette synthèse ! Je visite cette page avec le même intérêt chaque jour, j'y apprends plus et plus vite qu'ailleurs. Nullement surpris d'ailleurs qu'un plaideur débutant ai récemment trouvé son chemin grâce au petit vade mecum du procès ici en ligne ( et que je me mets de côté également).
434-7-2. Les nouvelles ne sont pas mauvaises donc, pas surprenantes non plus. Cependant je pense que la profession n'a pas fini de prendre des coups.
L'attention est quelque peu déportée depuis Outreau, et les Conseils tenus par les Rats qui sont et seront légions pour déterminer s'il faut ou non supprimer le juge d'instruction, où chacun ira de ses lumières, nous laisseront un peu de répit.
Parlera-t-on encore de cogestion des dossiers ou d'autres projets irréalistes ? Les réformes semblent décidées de la même manière que certains carrefours sont tracés : par des ingénieurs surqualifiés, qui n'ont manifestement pas le permis de conduire.

7. Le lundi 19 décembre 2005 à 21:25 par Finemouche

Merci pour cette explication claire et concise. Pourtant, une question me vient à l'esprit: est-il possible de condamner pénalement et disciplinairement l'avocat de la défense, sur le fondement du secret professionnel alors même qu'il n'y est pas légalement soumis? L'article 11 du CPP, me semble-t-il, ne soumet au secret professionnel que les personnes qui concourent à la procédure et donc pas l'avocat des parties civiles ou du prévenu par exemple...
En attendant, bravo pour votre site qui m'impressionne de plus en plus chaque jour!!!

8. Le lundi 19 décembre 2005 à 22:58 par lormars

Mais j'y pense, au vu de la rédaction ("fait, pour toute personne qui, du fait de ses fonctions, a connaissance, en application des dispositions du code de procédure pénale, d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction en cours concernant un crime ou un délit), j'émets une hypothèse d'école.
Un policier (qui fait donc partie de la catégorie évoquée supra) qui transmettrait des informations à un gang de dealers dans le but de faire capoter une enquête, ne pourrait quasiment plus être puni, à moins d'apporter la preuve formelle qu'il l'a fait sciemment....
Otez-moi d'un doute : vous venez bien d'annoncer que c'était devenu impossible ou presque. Donc policiers ripoux et avocats véreux dans le même panier : intouchables ?
Je répète que c'est une hypothèse d'école : des ripoux dans la police, ça se saurait. Tout comme des avocats malhonnêtes, d'ailleurs.

9. Le mardi 20 décembre 2005 à 11:08 par X.

@ 7
secret de l'instruction et secret professionnel:

"Les avocats ne sont pas tenus au secret de l'instruction, qui ne concernent que les personnes qui y concourent (article 11 du Code de procédure pénale) : greffiers, juges, policiers, experts... etc.

Mais ils sont tenus au secret professionnel, c'est à dire ne doivent pas révéler des informations à caractère secret qu'ils ont reçu dans le cadre de leurs fonctions, comme tout professionnel amené à recevoir des informations confidentielles (médecin, prêtre, notaire, banquier...)."

tiré de la note citée dans la note(...): maitre.eolas.free.fr/jour...

10. Le mercredi 21 décembre 2005 à 00:29 par wesson

Maitre,
je suis désolé mais je vais faire un hors sujet, au risque d'attirer sur mon commentaire une paire de ciseau assassin. Au moins vous en aurez pris connaissance.

La DADVSI est en discussion ce soir, Vous avez probablement votre avis dessus, ce n'est pas cela qui m'interesse. Comme beaucoup j'aimerai bien savoir les conséquences en matière de judiciairisation, vu par un connaisseur (je vous estime trop pour vous affubler du terme de spécialiste).

La confiscation de ce débat a été totale, à la fois au parlement par la procédure d'urgence, et dans les médias qui n'on pas refait l'erreur du référendum en expliquant une loi qui semble très portée à l'avantage du profit. sur internet, il 'y a qu'un son de cloche - tout ceux qui s'expriment sont contre - souvent avec un argumentaire de café du commerce.

En résumé, il a une bande de démagogues d'un coté, et un volonté de passer tout ça en force et sous silence de l'autre, et personne ne sait vraiment comment vont se traduire ces amendements dans les prétoires.

Vous nous aviez promis vos lumières sur la DADVSI (maitre.eolas.free.fr/jour...

Je serais tellement déçu si votre papier venait à nos yeux après que notre parlement croupion ai fini d'exercer son simulacre de démocratie sur cette loi entre la dinde et la bûche.

11. Le vendredi 6 janvier 2006 à 17:55 par Shyna

Je viens de découvrir ce site que je trouve très intéressant, notamment quand on est une étudiante en droit comme moi ^^ Merci beaucoup pour cette belle initiative !

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