Où l'on reparle de l'état de nécessité
Par Eolas le mercredi 14 décembre 2005 à 16:28 :: Commentaire judiciaire :: Lien permanent
A la demande de aaa, et parce que je n'ai pas fini le billet sur la loi DADVSI que je prépare, je recopie ci-dessous l'arrêt du 11 avril 1997 de la cour d'appel de Poitiers sur la fameuse voleuse de viande, écartant l'état de nécessité. J'y ai inclus quelques commentaires en gras.
CA Poitiers, chambre des appels correctionnels, 11 avr. 1997 ; Mme G. c/ SA Rocadis.
LA COUR ; - (...) Au fond :
La Cour évoquera pour la suite de l'examen de l'affaire, par application des dispositions de l'article 520 du Code de procédure pénale.Traduction : une cour évoque quand elle réforme un jugement et procède à son tour à l'examen de l'affaire. Dans certains cas, elle peut ne pas évoquer et renvoie devant le tribunal afin qu'il finisse de statuer, la cour pouvant alors être à nouveau saisie.
Les faits sont constants et reconnus par la prévenue qui, à trois reprises, a frauduleusement soustrait le 17 janvier 1997, à l'occasion d'un voyage à Poitiers, des denrées alimentaires de nature non précisée, pour un montant total de 470,35 F au magasin Leclerc, 7 morceaux de viande pour un poids total de plus de 6 kg pour un montant total de 598,05 F au magasin Intermarché de Bruxerolles et 16 paquets de charcuterie à la coupe pour un montant total de 516,50 F au magasin ATAC à la sortie duquel elle s'est faite interpeller.
Il résulte des dispositions de l'article 122-7 du Code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994, mais reprenant la jurisprudence dégagée sur l'état de nécessité - fait justificatif - depuis 1956, que "n'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la menace", le danger rencontré devant notamment être réel et actuel ou imminent, la réaction de sauvegarde devant être nécessaire et mesurée par rapport à la gravité de la menace, et la preuve de ce fait justificatif incombant à la personne qui s'en prévaut.
En l'espèce, reconnaissant avoir commis ces vols, Annick G. a déclaré : devant les services de police, qu'ayant peu de ressources et deux enfants à charge, elle avait décidé de voler des denrées alimentaires pour elle et ses enfants ; devant le tribunal correctionnel, qu'elle avait de grosses difficultés financières, ne recevant aucune pension alimentaire pour ses enfants, précisant que ceux-ci - Steven, âgé de 3 ans et Manuella, âgée de 19 ans - s'étant plaints à maintes reprises de n'avoir à manger que de la purée Mousseline ou des pâtes au jambon, elle avait "craqué" devant les rayons des supermarchés qui lui montraient ce qu'elle ne pouvait offrir, au moins une fois, pour améliorer leur ordinaire alimentaire ; devant la cour, qu'elle n'avait rien à donner à manger à ses enfants et qu'elle voulait remplir son réfrigérateur et le compartiment congélateur de celui-ci.
Il résulte certes des éléments du dossier et des débats qu'Annick G., âgée de 36 ans au moment des faits, ayant deux enfants à sa charge, âgés respectivement de 3 ans et 19 ans, pour lesquels elle ne recevait pas de pension alimentaire, exerçant un emploi à temps partiel de commis de cuisine depuis le 17 juillet 1996 dans un restaurant de Niort où elle demeurait depuis le 1er juillet 1996, était confrontée à une situation financière particulièrement difficile alors qu'au regard de ses charges de loyer (de 420,18 F par mois APL déduite), d'électricité, d'assurance de son véhicule automobile, des frais de nourrice pour Steven, des frais de transport à Poitiers pour la scolarité de Manuella, et de ses propres frais de transport à Poitiers pour suivre, en milieu hospitalier, les soins que nécessitent son état, ses ressources n'étaient que de 4.478 F par mois, lui laissant un disponible de l'ordre de 3.000 F pour subvenir au reste de ses dépenses habituelles, alimentaires, vestimentaires et scolaires, pour elle et ses deux enfants. Il doit cependant être observé que son compte bancaire était créditeur de 2.583,30 F au 6 janvier 1997 et de 1.859 F au 20 janvier 1997, selon ses propres déclarations devant la Cour. Il l'était donc au jour des faits malgré l'encours des chèques et cartes bancaires émis.
Il doit aussi être observé qu'elle devait percevoir une allocation de soutien familial pour Steven, ainsi qu'une prise en charge VSL pour ses transports à Poitiers.
Il doit enfin être relevé qu'aucun élément n'est produit de nature à démontrer un retentissement de cette situation économique sur l'état de santé des enfants de la prévenue.
Compte tenu de ces éléments, les difficultés financières d'Annick G., sont insuffisantes pour caractériser au jour des faits un danger réel et actuel ou imminent menaçant ses enfants.
Il est d'ailleurs significatif à cet égard de relever que c'est pour "améliorer l'ordinaire des enfants" qu'Annick G. avait déclaré devant le premier juge avoir commis ces vols.
À ce niveau il convient aussi de relever que ce sont trois vols qui ont été commis successivement par Annick G. et portant, en ce qui concerne ceux dont l'inventaire des marchandises volées figure au dossier, sur des quantités importantes de viande, ou de charcuterie, incompatibles avec le seul acte nécessaire à la sauvegarde de la personne menacée au sens de l'article 122-7 du Code pénal.
Il résulte donc suffisamment de ces éléments que la preuve n'est pas rapportée qu'Annick G. se trouvait en état de nécessité, tel que défini par l'article susvisé au moment des trois vols qui lui sont reprochés et qu'elle reconnaît avoir commis. Elle sera donc déclarée coupable des délits visés à la prévention.
Sur le prononcé de la peine, la Cour retiendra qu'Annick G. est sans antécédents judiciaires, que toutefois les vols se sont répétés dans trois magasins différents et que si l'un des magasins a été dédommagé du préjudice qu'il a subi à la suite du vol commis à son encontre, il n'en n'est pas de même des deux autres magasins concernés. La Cour tiendra enfin compte des ressources limitées d'Annick G. et la condamnera donc au vu de ces éléments à 3.000 F d'amende avec sursis (...).
Par ces motifs :
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, sur appel en matière correctionnelle et en dernier ressort (...)
Sur l'action publique :
- Déclare Annick G. coupable des 3 vols qui lui sont reprochés.
En répression, la condamne à 3.000 F d'amende avec sursis (...).
Vous noterez que la cour a été tout de même indulgente, en la condamnant à une simple amende avec sursis. Les conseillers n'avaient pas un cœur de pierre ; mais leur compréhension de Madame G. n'allait pas jusqu'à l'autoriser de facto à aller se servir gratuitement dans les grandes surfaces de l'agglomération poitevine.
Commentaires
1. Le mercredi 14 décembre 2005 à 17:10 par guichoune
2. Le mercredi 14 décembre 2005 à 17:50 par tokvil
3. Le mercredi 14 décembre 2005 à 17:55 par Patrick
4. Le mercredi 14 décembre 2005 à 19:26 par Braf
5. Le mercredi 14 décembre 2005 à 21:09 par Souplounite
6. Le jeudi 15 décembre 2005 à 01:02 par Bib2
7. Le jeudi 15 décembre 2005 à 02:29 par raoulette
8. Le jeudi 15 décembre 2005 à 07:42 par groucho
9. Le jeudi 15 décembre 2005 à 08:58 par tokvil
10. Le jeudi 15 décembre 2005 à 11:12 par Raboliot
11. Le jeudi 15 décembre 2005 à 11:15 par aaa
12. Le jeudi 15 décembre 2005 à 12:21 par raoulette
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14. Le jeudi 15 décembre 2005 à 13:01 par Aisling
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21. Le vendredi 16 décembre 2005 à 17:55 par Bib2
22. Le vendredi 16 décembre 2005 à 20:06 par Souplounite
23. Le samedi 17 décembre 2005 à 14:57 par katioschka
24. Le dimanche 18 décembre 2005 à 22:52 par Bib2
25. Le vendredi 20 janvier 2006 à 19:38 par Diane
26. Le dimanche 22 janvier 2006 à 12:15 par Bib2