Affaire Guillermito : le compte rendu de l'audience d'appel (deuxième partie)
Par Eolas le jeudi 1 décembre 2005 à 13:09 :: L'affaire Guillermito :: Lien permanent
La parole est à l'avocate de la partie civile.
Celle ci va attaquer bille en tête sur l'acharnement de Guillermito qui établit son intention de nuire, élément moral de l'infraction (sur ce dernier point je suis en désaccord, mais j'y reviendrai).
Elle va rappeler la particularité de Viguard : inventé par E.D., révolutionnaire car il repose sur une analyse comportementale du système. Exploité par la société TEGAM, aujourd'hui en redressement judicaire (NdA : en liquidation judiciaire) du fait de la maladie de son gérant (sic). Le premier grand succès de Viguard sera de contrer le virus Iloveyou dès sa propagation. Cela entraînera un fort succès commercial, notamment par l'équipement des ordinateurs du ministère de la justice.
En 2001, Guillermito entre en scène, contrefait leur logiciel et tient des propos graves.
Il a reconnu qu'il n'avait pas de licence devant la Police.
Il a avoué avoir désassemblé le logiciel, désassemblage établi par l'expertise judiciaire qu'il n'a jamais contestée à l'époque.
On n'a pas le droit de "toucher un cheveu" du logiciel à peine de contrefaçon, a ajouté l'avocate, et le désassemblage se situe hors des exceptions légales d'interopérabilité prévues par la loi (article L.122-6-1 du Code de la propriété intellectuelle).
Guillermito a dans un premier temps renvendiqué le désassemblage en affirmant qu'il était justifié, il y a une volte-face aujourd'hui.
L'intention de nuire, enfin est présumée et avérée, par les propos très agressifs qu'a tenu Guillermito sur les forums en ligne.
En conséquence, elle demande réparation du préjudice considérable subi par TEGAM et E.D., du fait de l'absence de licence d'uitlisation, du manque à gagner et de la chute des ventes de Viguard à cause de la publicité donnée à cette affaire.
TEGAM et E.D. réclament donc 829.040 euros pour le préjudice matériel, 37.792 euros pour le préjudice moral, sans que j'ai pu noter qui réclame quoi, ainsi qu'une indemnité pour frais d'avocat au montant inconnu.
- Commentaire :
Avec tout le respect que je dois à ma consoeur, elle est dans l'erreur quand elle affirme que l'intention de nuire est un élément constitutif de l'infraction et qui plus est qu'il est présumé. Pour qu'un délit soit constitué, il suppose que soient réunis les éléments matériels et intentionnels de l'infraction. La contrefaçon suppose matériellement une reproduction du code ou un désassemblage non autorisé, et les débats ont largement abordé ces points. L'élément intentionnel du délit de contrefaçon est le dol général : agir en connaissance de cause, savoir ce que l'on fait. La reproduction accidentelle ou inconsciente d'un code n'est pas une contrefaçon. En l'espèce, l'élément intentionnel ne faisait nullement débat : Personne ne prétendra sérieusement que Guillermito ne savait pas ce qu'il faisait, qu'il ne s'est pas rendu compte qu'il désassemblait le programme si tant est qu'il l'ait fait. L'intention de nuire à TEGAM serait en fait le mobile, qui en droit pénal est indifférent, sauf exceptions inapplicables ici.
Mais cette mention de l'intention de nuire n'est pas forcément innocente, et je ne pense pas qu'elle le soit, en fait. N'oublions pas qu'au début, la plainte portait sur des faits de diffamation. Les demandes considérables présentées par TEGAM et E.D. se fondent sur l'atteinte à l'image, la perte de chiffre d'affaire due à la campagne de dénigrement dont TEGAM et E.D. estiment avoir été victimes. Ils affirmeent depuis le début que les propos de Guiillermito et leur audience planétaire ont entraîné les difficultés financières de l'entreprise et lui imputent l'intégralité de la diminution du chiffre d'affaire de TEGAM postérieure aux propos de Guillermito.
Seulement voilà : en cours de procédure, TEGAM et E.D. ont abandonné la diffamation, terrain trop glissant, au profit du droit commun et de la contrefaçon. Ce délit est effectivement bien plus facile à établir, et une condamnation plus facile à obtenir. Mais le revers de la médaille est qu'une contrefaçon n'est qu'une atteinte au droit d'auteur. Le soi-disant dénigrement opéré par Guillermito n'a rien à voir avec la contrefaçon, qui n'a causé qu'un préjudice très limité à TEGAM : le prix d'une licence d'utilisation que Guillermito aurait dû payer, et le préjudice moral de l'auteur. Or la partie civile ne peut demander l'indemnisation que de ce que l'infraction lui a causée directement (article 2 du CPP). En abandonnant la diffamation, TEGAM a abandonné tout le préjudice d'atteinte à sa réputation, puisqu'une contrefaçon ne porte pas atteinte à la réputation de l'auteur de l'oeuvre (on peut même dire que c'est plutôt flatteur). D'où la disproportion entre les demandes de TEGAM et les sommes finalement accordées. On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre, et en choisissant une condamnation plus facile à obtenir, TEGAM a limité ses espérances d'indemnisation.
La parole est au ministère public.
L'avocat général relève que dans cette affaire, tout ne s'est pas passé dans des relations de courtoisie. Des propos indiscutablement agressifs ont été tenus sur internet, ce qui leur donne une grande audience.
Viguard est un logiciel atypique basé sur le contrôle comportemental. Est-ce la raison de l'intérêt de Guillermito ? Un intérêt pas seulement intellectuel, car il y a eu un acharnement contre Viguard et son concepteur.
Guillermito a proposé au téléchargement plusieurs programmes, certains désactivant Viguard et a diffusé des extraits du programme. Quand il a été entendu par les services de police, il a reconnu la matériaité des faits par l'utilisation d'un outil de débogage, utilisé dans un but de contourner, de piller le logiciel.
L'avocat général constate qu'il y a aujourd'hui une querelle d'expertises, dont une seule est contradictoire (NdA : c'est inexact, aucune des expertises n'a été contradictoire), et elle conclut au désassemblage. L'expertise de Monsieur Hoff, commandée par Guillermito, conclut à l'absence de désassemblage, et celle de Monsieur Bitan, produite par Tegam, présente un intérêt pédagogique par les explications abondantes qu'elle contient, et elle conclut à l'obtention de code par désassembmage et à la diffusion d'éléments contenant les algorithmes précieux pour l'auteur du logiciel.
Guillermito n'a pas agi, pour l'avocat général, comme un chercheur mais un cambrioleur. L'article L.122-6-1 du CPI est inapplicable en l'espèce, la seule voix contredisant ces constatations étant celle de Monsieur Hoff.
La cour doit donc entrer en voie de condamnation, en prononçant une amende, proportionnée mais ferme, pour sanctionner une attitude vindicative ayant entraîné un préjudice extraordinaire. Il y avait des voies légales, une action en publicité mensongère, des tests réalisables dans les limites de la légalité. Guillermito est allé au-delà du droit d'analyse, et la loi protège la matière grise des auteurs et leurs idées créatrices, ici celles d'E.D.
Eu égard à l'absence de motif lucratif, mais en considérant l'attitude vindicative de Guillermito qui a fait fi du droit en s'attaquant à ce logiciel comme un pirate, l'avocat général demande une condamnation à 1000 euros d'amende.
La parole est maintenant à la défense.
L'avocat de Guillermito comment en exorde à rappeler qu'il s'agit d'un dossier important, qui pose des questions de principe, témoin cet article d'internetactu.net, sous l'égide du CNRS, qui s'inquiète de l'atteinte au droit de critique appliqué au logiciel. Cette menace est bien réelle quand on entend la partie civile affirmé qu'on ne peut toucher "un cheveu" d'un logiciel à peine de prison.
Il présente ensuite rapidement qui est Guillermito : un "bac + 10", docteur ès science, expatrié, recruté par Harvard où il fait ce qui le passionne pour un salaire plutôt modeste par rapport à ses connaissances (2300 $ par mois). Guillermito est un chercheur, et ce statut inspire sa méthode quand il veut démontrer quelque chose.
L'avocat recadre ensuite le lieu de l'infraction : ce n'est pas "internet", avec une répercussion planétaire du moindre billet, mais un newsgroup, fréquenté par trente internautes réguliers (il produit les échanges de l'époque pour montrer le nombre des intervenants). En mai 2001, TEGAM sort une pub pour Viguard au ton très assuré : "vaccinez votre PC", c'est la "sécurité totale" (ou "absolue" ?), l'expression est même déposée comme marque protégée à l'INPI, arrête 100% des virus. Guillermito va publier une étude de Vigaurd, qui fait une trentaine de pages.
La publicité de l'affaire, c'est TEGAM qui va la faire. Elle va acheter des pleines pages de pubs dans des revues professionnelels de grande diffusion faisant état de ces propos et en les dénonçant comme étant le fait d'un pirate notoire. En avril 2002, la société écrit une lettre au CNRS dénonçant Guillermito et un autre intervenant du forum, R.G. comme étant, expression qui a fait florès, des terroristes internationaux connus du FBI et de la DST. TEGAM parle sans cesse de l'intention de nuire de Guillermito, mais accuser un français résidant aux Etats Unis d'être un terroriste en 2002, comment qualifier cela ? Cette lettre a entraîné la condamnation de TEGAM en appel sur plainte de R.G., Guillermito n'ayant pas jugé utile de réagir à l'époque.
Voilà pour le contexte.
Sur l'élément matériel du délit, il serait établi par le rapport judiciaire. Mais ce rapport a été fait avant que Guillermito soit partie au dossier, elle n'est donc pas contradictoire. Ce rapport est d'ailleurs tellement excellent que TEGAM a jugé utile d'en commander un autre. D'autant plus que l'expert usurpe la qualité d'expert agréée par la cour d'appel, ce qu'il n'est pas, et se présente comme professeur à PAris V, qui, renseignement pris, n'en a jamais entendu parler. Ce rapport a été rédigé sans qu'aucun élément technique n'ait été utilisé, mais sur la seule lecture des pièces du dossier. L'expert, enfin, n'a pas répondu à la citation et était absent lors du procès de première instance. Voilà sur quoi repose la condamnation.
Il faut rappeler, continue l'avocat, que Guillermito n'a jamais utilisé Viguard, et a bénéficié d'un non lieu sur le recel de contrefaçon. Les seuls éléments techniques au dossier, analysés par Monsieur Hoff, aboutissent à conclure qu'il n'y a pas eu contrefaçon.
Sur l'élément intentionnel : Guillermito n'a jamais voulu reproduire le logiciel pour l'utiliser en tant que tel, en tant qu'antivirus. Cet élément fait donc défaut également (NdA : cf. mes commentaires plus haut).
Sur les intérêts civils (c'est à dire les sommes demandées par les parties civiles), l'avocat de Guillermito a cité les attendus du jugement qui excluaient l'intention de nuire. Il a exposé ensuite que la perte de chiffre d'affaire est entièrement imputée à Guillermito, sur la base d'un compte de résultat ne faisant pas apparaître l'exploitation du logiciel ni le budget publicitaire. Enfin, sur l'atteinte à l'image, l'avocat fait remarquer que TEGAM a acheté le nom Guillermito à Google pour faire apparaître un lien sponsorisé vers leur site. C'est donc qu'elle a chercher à tirer profit de l'image de Guillermito, il y a un renversement de valeur ici.
En conclusion, l'avocat sollicite la relaxe, et subsidiairement, que les dommages-intérêts soient ramenés à un montant plus raisonnable.
Délibéré au 21 février, le président ayant volontairement choisi une date assez lointaine pour prendre le temps de bien examiner le dossier et notamment les expertises.
Commentaires
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2. Le vendredi 2 décembre 2005 à 15:27 par colectos
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