Où l'on reparle des banlieues
Par Eolas le lundi 28 novembre 2005 à 14:49 :: Actualité du droit :: Lien permanent
Je reviens sur ce thème qui reste d'actualité, pour faire un petit point vu du prétoire. Les hommes politiques de la majorité ou de l'opposition ont déjà tous trouvé l'origine du mal (ce serait donc les discriminations et les parents démissionnaires) et vont le résoudre en deux lois et trois décrets, comme ils ont résolu le problème du... de... heu... Zut, j'ai un trou.
Je suis assez pessimiste, et il y a lieu de l'être, tant face à cette explosion de violence difficilement contenue, les réponses restent caricaturales, entre répression accrue et expulsion d'un côté, et commisération intéressée de l'autre.
Je n'aurai pas la prétention de poser le bon diagnostic. Je vous propose simplement les réflexions d'un poilu du droit dans sa tranchée, de ce qu'on voit au front, à travers les quelques cas que j'ai vu juger ou ceux que j'ai défendus sur plusieurs années, étant clairement entendu que cet échantillon est trop réduit pour permettre la certitude scientifique.Tout point de vue différent sera le fort bienvenu.
- Qu'est ce qui pousse un "jeune de banlieue" dans la délinquance ?
Écartons d'entrée de jeu des mauvaises réponses :
- l'influence de l'islam. Le raisonnement est simpliste : une grande majorité des délinquants, incendiaires ou classiques, sont musulmans, le problème est donc l'islam.
Je ne vois aucune corrélation. Oui, la plupart d'entre eux sont musulmans, d'origine africaine. Mais croyez vous vraiment qu'ils soient dévots ? Qu'ils respectent les cinq piliers de l'islam ? Croyez vous qu'on les voit à la mosquée le vendredi, qu'ils font leur cinq prières quotidiennes, et économisent pour le pèlerinage à la Mecque ? Là, on navigue sur les fantasmes.
La plupart d'entre eux revendiquent leur islamitude pour se donner un côté "rebelle", pour revendiquer une identité à part. Ils portent leur foi comme les punks portent une chaîne autour du cou. De là leur colère lors de l'affaire de la grenade lacrymogène ayant explosé dans une mosquée (que probablement ils ne fréquentaient jamais). Et s'ils jeûnent pendant le ramadan, c'est parce que leur maman ne fait pas à manger.
Il y a des jeunes musulmans très dévots, mais ceux là ne brûlent pas des poubelles. Quand ils versent dans la criminalité, on les voit dans les couloirs de la section anti-terroriste.
- La démission des parents. Elle est parfois réelle au point d'en être effrayante, mais elle n'est pas systématique. J'ai vu des délinquants, mineurs ou majeurs dont la mère était au contraire très, sans doute trop présente, au point d'en être étouffante. C'est elle qui prend rendez vous, elle vient avec son fils, elle règle les honoraires (elle n'a pas que des défauts non plus) et si elle pouvait aller en prison à la place de son fils, ce serait sans hésiter. Il faut alors être ferme : le client est son fils, même si c'est elle qui paye, et pendant le rendez vous elle attend hors du bureau. C'est ainsi que j'entends souvent pour la première fois la voix de mon client et que je le force à prendre en main sa défense.
Quand il y a incarcération, c'est elle qui en souffre le plus, et elle est une habituée des parloirs famille. Je me souviens d'une affaire où j'ai eu une mère en larmes qui me téléphonait deux fois par semaine pour me supplier de faire sortir son fils, et qui a sombré en dépression après quelques semaines d'incarcération, tandis que ce dernier était incroyablement détendu et souriant en maison d'arrêt.
Je vous laisse deviner quelle efficacité aurait la suppression des allocations familiales dans ces familles.
- La discrimination à l'embauche. Là, on nage en plein délire. Le problème de ceux qu'on voit dans les prétoires n'est pas tant que leur CV commence par un nom étranger, mais c'est qu'après le nom, la page est blanche. Les bacs généraux sont absents. Les plus intégrés dans le système scolaire sont en apprentissage (leur maître étant parfois la victime) ou en bac professionnel. Le BTS est le summum de l'ambition, et est plus un rêve dont ils se bercent, puisqu'ils ne se donneront jamais les moyens de réussir (un BTS, il faut bosser pour le décrocher). L'école est un lieu d'ennui, dont beaucoup sortent avant même l'âge légal. Ce n'est pas du travail qu'ils veulent, c'est de l'argent. Et le bizness est un moyen facile et rapide. Entendons nous bien : la discrimination à l'embauche existe. Mais les noirs et les arabes écartés du fait d'un nom qui n'est pas NF ne sombrent pas dans la délinquance destructrice.
Deux exemples concrets :
un prévenu, interrogé sur sa situation professionnelle se disait en formation de "conducteur offset en imprimerie", sans être capable d'expliquer en quoi ça consiste. Avant l'audience, l'APCARS (association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale) fait une enquête de personnalité où ils vérifient les déclarations des prévenus (je leur tire d'ailleurs mon chapeau pour la qualité du travail effectué en un temps très réduit). L'enquêteur de personnalité a ainsi appris que ladite formation était terminée depuis plus d'un an et qu'il était censé suivre une formation pour passer le permis de conduire (financée sur fonds publics, oui). Le prévenu n'était pas au courant. Pourquoi ? Parce qu'il était suivi dans le cadre d'une mise à l'épreuve prononcée alors qu'il était mineur. C'est le travailleur social en charge de son dossier qui lui trouvait ces formations, payées par le Conseil Général. Et le prévenu se laissait porter sans se poser de question.
Un prévenu, 23 ans, sans aucun diplôme, avait mis au point avec quelques copains, un minitel et une bonne dose de tchatche une escroquerie lui permettant d'activer de faux abonnements à un service de téléphonie mobile. Ils revendait les puces activées, qui se retrouvaient à l'étranger, option "Monde" activée, et avant d'être désactivées par l'opérateur, laissait chacune une ardoise de plusieurs milliers d'euros. Bénéfice estimé : 30.000 euros (accessoirement sans doute 1% du préjudice causé). Vous croyez que c'est en lui proposant un emploi d'agent d'ambiance que vous allez le motiver ?
Le seul travail honnête que j'ai vu envisager, c'est... chanteur de rap. Même sportif de haut niveau, ça ne les fait pas rêver, il faut trop bosser et commencer tôt.
- La susceptibilité aux mots "Karcher" et "racaille". Là encore, l'erreur d'analyse est patente. Pour que l'outrage fasse un quelconque effet, il doit comporter une allusion à la pratique de la prostitution par la mère de l'intéressé, la pratique passive de la sodomie par ce dernier et le caractère douteux de sa filiation paternelle, de préférence cumulativement. Les policiers victimes d'outrage peuvent en témoigner. De même que des propos d'apaisement mous du style "je comprends votre colère mais vous l'exprimez mal" auraient été totalement inutiles. On ne communique pas avec quelqu'un qui s'y refuse.
- la panne de l'ascenseur social. L'ascenseur social est un mensonge. Comme les ascenseurs des cités, il est cassé parce que les jeunes qui s'ennuient s'amusent à sauter dedans jusqu'à ce qu'il se coince. Il n'y a pas d'ascenseur social. C'est en fait un escalier : il faut grimper marche après marche et c'est pas facile. Mais utiliser cette image où il suffit d'appuyer sur un bouton et d'attendre, c'est une escroquerie de communiquant. Mais cela dit je doute que cette métaphore les atteigne.
- la polygamie : sans doute la palme du n'importe quoi. Comme le rappelle à raison Patrick Devedjian, elle est archi-minoritaire, principalement le fait de familles maliennes, et rien ne permet d'affirmer que la délinquance y soit plus importante, et je crois que la fréquentation des prétoires tend à démentir ce cliché (mais je reconnais ne pas avoir de chiffres). La polygamie n'est pas reconnue en France et est depuis douze ans (les lois Pasqua) un obstacle rédhibitoire à toute régularisation et au regroupement familial. La promiscuité de logement trop petits n'est pas l'apanage des familles à plusieurs épouses. Pour trouver un appartement pour 10 personnes à Paris, il faut être ministre de l'économie.
- Bon, alors, c'est quoi le problème ?
Avant tout, les généralisations. Même s'il y a phénomène de bandes, ce sont des individus en quête de reconnaissance personnelle. Et les solutions ne viendront que du cas par cas. La collectivisation des problèmes est aussi funeste que celle de l'économie.
Ensuite, l'échec total de l'assimilation, mais je me garderai bien de pointer du doigt telle ou telle cause, j'en serais incapable.
La perception des délinquants les plus violents et difficilement réinsérables est une vision de chef de gang. Il y a une bande rivale, la France. Son chef, c'est Sarkozy, parce que c'est celui qu'on voit le plus à la télé. Mais ne nous y trompons pas : si c'était pas lui ce serait un autre. La violence n'avait pas disparu des banlieues lorsque que Nicolas Sarkozy était au purgatoire (1995-1997) ou dans l'opposition (1997-2002). La volonté de le pointer du doigt n'est pas dépourvue d'arrières-pensées politiques. Mon propos n'est pas d'entamer la campagne présidentielle de 2007, laissons le bouillonnant ministre de côté.
Donc c'est lui le chef de bande rivale. Quand ses hommes viennent sur ton territoire, il faut le défendre. D'où le caillassage des pompiers, qui a tant surpris. Bien sûr qu'ils font la différence entre les policiers et les pompiers. Mais ils s'en foutent : ce sont des membres de la bande rivale, s'ils viennent, tu contre-attaques. Éventuellement, pour rappeler qui est le chef, tu leur tends une embuscade : un feu de poubelle, et tu caillasses.
- Alors, où est la solution ?
Que j'aimerais la connaître !
Je suis terriblement pessimiste, parce que je vois que chaque solution proposée est totalement à côté de la plaque sans pour autant avoir la moindre idée de ce qui pourrait marcher.
Là encore, ce que je constate, c'est que la délinquance ne concerne massivement que les plus jeunes (mineurs et jeunes majeurs). Après 25 ans, la plupart ne fréquentent plus les prétoires. Généralement, c'est la naissance d'un enfant qui les range définitivement. Et ils deviennent d'ailleurs généralement (oui, je fais des généralités) des pères tendres et dévoués, et du coup n'importe quel travail leur convient car ils ont charge d'âme. D'autres sombrent dans la grosse délinquance ou la marginalité, mais c'est une minorité. Et ce n'est certainement pas nouveau. Shakespeare disait dans son Conte d'Hiver :
I would there were no age between sixteen and three-and-twenty, or that youth would sleep out the rest; for there is nothing in the between but getting wenches with child, wronging the ancientry, stealing, fighting.
Je voudrais qu'il n'y ait point d'âge entre seize et vingt-et-trois ans, ou que la jeunesse le passât à dormir, car il n'est rien entre les deux qu'engrosser les jeunes filles, maltraiter les anciens, voler et se battre.
Le problème ne semble pas d'aujourd'hui.
Commentaires
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