Un nouveau blog par un acteur judiciaire
Par Eolas le samedi 19 novembre 2005 à 18:19 :: General :: Lien permanent
(Via Koztoujours) : Philippe Bilger, avocat général à Paris, vient d'ouvrir son blog. Je le découvre à l'instant et ne puis encore émettre d'opinion, mais la nouvelle me réjouit et je me permets de le recommander d'ores et déjà, certain que le contenu sera de qualité.
Permettez moi de vous présenter brièvement le personnage. Philippe Bilger est avocat général, je sais je l'ai déjà dit. Mais la dénomination est trompeuse pour ceux peu au fait du vocabulaire judiciaire. Bien que portant le titre d'avocat, je ne l'appellerai jamais cher confrère : un avocat général est, pour simplifier, le titre donné aux procureurs de la cour d'appel.
Version un peu plus détaillée : le parquet, qui déclenche les poursuites et soutient l'accusation, est une structure hiérarchisée. Chaque tribunal de grande instance a son parquet, dirigée par le procureur de la République, assisté de substituts. Dans les gros tribunaux, on distingue les premiers substituts, à l'ancienneté plus grande et aux responsabilités plus importantes. Il en va de même devant les cours d'appel, sauf que le chef du parquet est le procureur général est est assisté de substituts généraux et d'avocats généraux. Les substituts généraux ont des taches plus administratives (comprendre : on les voit pas ou peu aux audiences, mais leurs tâches restent bien judiciaires) tandis que les avocats généraux sont en charge d'assurer les audiences. Avocat général rappelle qu'ils sont les avocats de la société en général, par opposition à nous autres qui sommes les avocats des individus que la collectivité a décidé de poursuivre.
Il a commencé sa carrière comme juge d'instruction, si ma mémoire est bonne, et a milité au syndicat de la magistrature lors de la création de ce dernier, quand bien même ses idées politiques sont fort loin de celles qui animaient et animent encore ce mouvement : mais l'idée de secouer l'institution lui plaisait. Il a été au parquet de Bobigny au moment de la mise en place du "traitement en temps réel" des procédures et est favorable au principe, ce qui me fait soupçonner l'intéressé d'appliquer les idées de Beccaria.
Philippe Bilger exerce aujourd'hui son talent, qui est redoutable, à la cour d'assises de Paris. Je n'ai jamais eu le plaisir d'être face à lui dans un dossier criminel, mais je l'ai vu requérir plusieurs fois.
Il faut reconnaître qu'à première vue, il ne paye pas de mine. Il est plutôt petit, a une voix un peu nasillarde et un léger cheveu sur la langue : ce n'est pas l'image d'Epinal du monument d'éloquence, qu'on imagine comme un colosse à la voix de stentor.
Mais ce serait une grave erreur de le sous estimer. Parce qu'il a une capacité de conviction qui emporte l'auditoire, ce qui est la marque de l'homme éloquent. Ses réquisitions sont modérées, dans le ton comme dans les peines réclamées, sauf affaires exceptionnelles où la sévérité lui semble s'impsoer. Ce n'est pas un Fouquier-Tinville, et sa pondération lui donne de la crédibilité. Au cours de ses réquisitions, il prend souvent la défense de l'accusé, mentionnant tous les arguments en sa faveur. C'est surprenant, et surtout redoutable : puisque la peine qu'il requiert a pris en considération ces critères, que reste-t-il à l'avocat de la défense à soulever ? Enfin, son discours est bâti sur une structure solide, ce qui est difficile dans l'art oratoire. Il ne perd jamais le fil de son discours, et ne perd jamais son auditoire, qui suit sa démonstration du début à la fin. Nombreux sont les avocats qui le respectent, parce qu'un avocat général réunissant toutes ces qualités est chose rare (non pas que tous les avocats soient des Démosthène, loin de là hélas). Il a été l'avocat général de bien des affaires médiatiques, et je ne pense pas que ce soit par hasard qu'il soit désigné pour des affaires délicates (citons l'affaire Lubin en appel, le procès Bob Denard, l'affaire Florence Rey...)
Et enfin, et je cesserai là de lui envoyer des fleurs sous peine de me faire accuser de compromission et de flatterie, je pense qu'il peut apporter beaucoup à la blogosphère parce que c'est un média tout à fait adapté au personnage. Philippe Bilger est l'illustration parfaite de l'adage "pour le parquet, la plume est serve mais la parole est libre".
Comprendre : le parquet est hiérarchisé, chaque substitut obéissant à son procureur de la République, qui obéit au procureur général, les procureurs généraux obéissant au Garde des Sceaux. Si tel procureur n'a pas envie de poursuivre Monsieur Machin, estimant que les faits sont peu graves et méritent juste un rappel à la loi, mais que sa hiérarchie lui ordonne de poursuivre, il est obligé de poursuivre. Mais à l'audience, quand il prend la parole, il peut exprimer le fond de sa pensée, dire que ces poursuites lui semblent peu opportunes et demander au tribunal la plus grande clémence. Les parquetiers restent des magistrats libres.
Et sa liberté de parole, Philippe Bilger ne se retient pas de l'utiliser. Il a publié plusieurs ouvrages, dont il mentionnera l'existence sur son blog, et ne se laisse pas intimider par l'expression devoir de réserve face aux deux choses qui le mettent en colère : le mauvais traitement médiatique d'une question judiciaire (ça me rappelle quelqu'un...) et le corporatisme chez les magistrats. Du coup, il n'a pas que des amis et des admirateurs des deux côtés.
Peu m'importe : j'aime le personnage, je suis vraiment enchanté de sa décision d'ouvrir un blog, dont je serai un lecteur fidèle et un commentateur régulier.
Voilà qui va me motiver à mettre ma blogliste à jour.
Le blog de philippe Bilger : justice à l'écoute, et son premier billet expliquant sa démarche.
Commentaires
1. Le samedi 19 novembre 2005 à 22:06 par fred
2. Le dimanche 20 novembre 2005 à 12:45 par Frogman
3. Le lundi 21 novembre 2005 à 09:27 par Moi
4. Le mercredi 23 novembre 2005 à 11:21 par Burt Allibert
5. Le samedi 26 novembre 2005 à 07:33 par apprentie-juriste
6. Le dimanche 4 décembre 2005 à 00:03 par ddi
7. Le jeudi 12 janvier 2006 à 13:26 par Agoravocat