Affaire Dieudonné - Fogiel : le jugement
Par Eolas le jeudi 27 octobre 2005 à 13:45 :: Commentaire judiciaire :: Lien permanent
Merci à Cédric de m'avoir signalé la publication in extenso du jugement du tribunal correctionnel de Montpellier dans l'affaire opposant l'humoriste Dieudonné à, entre autres, l'animateur Marc-Olivier Fogiel sur le site Juritel.
Voici les motifs par lesquels le tribunal a décidé que les propos constituaient bien une injure raciale (je grasse) :
Le 1er décembre 2003, Monsieur M. a été invité à l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde », animée par Monsieur Marc-Olivier F. et produite par la Société PAF PRODUCTION, dont ce dernier est le représentant légal, diffusée en direct sur la chaîne de télévision France 3.
Le principe de cette émission consiste en une série d’interviews de personnalités ayant trait à l’actualité, qui sont accompagnés de réactions des téléspectateurs exprimées par voies de messages SMS, diffusés en bandeau sur l’écran.
Au cours de cette émission intitulée « Spéciale Comiques », Monsieur Dieudonné M. a effectué un sketch dans lequel il a caricaturé un juif fondamentaliste extrémiste.
Suite à un problème technique lié à un envoi massif de messages téléphoniques, il n’a pas pu être procédé à la diffusion d’une sélection de ceux-ci.
Ce sketch a donné lieu à de vives réactions qui ont amené le Président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a adressé, le 3/12/2003, à Monsieur T., Président de la Société France Télévision une sévère mise en garde contre le renouvellement de tels faits en sollicitant des explications sur les dispositifs qu’il comptait mettre en oeuvre pour assurer à l’avenir une réelle maîtrise de l’antenne et un meilleur respect du public.
Le 5/12/2003, lors de l’émission suivante, Monsieur Marc-Olivier F. s’est, en préliminaire, expliqué sur les conditions dans lesquelles le sketch avait été interprété, et s’est excusé en son nom et celui de la chaîne France 3.
Au cours de cette émission, 17 SMS, concernant l’intervention de Monsieur Dieudonné M., ont été diffusés en bandeau sur l’écran dont le message libellé ainsi: « Dieudo ça te ferait rire si on faisait des sketches sur les odeurs des blacks? Te tellement bête que ça ne me choque même plus ».
Il résulte de l’enquête diligentée à la demande du Procureur de la République du Tribunal de Grande Instance de Nanterre que:
- lors de l’émission du ier décembre 2003, 60.000 SMS ont été envoyés par les téléspectateurs (au lieu de 10.000 environ), dont 2300 messages concernant la seule intervention de Dieudonné, réceptionnés après la fin de l’émission;
- généralement les messages arrivent sur un ordinateur en régie après avoir subi un premier filtrage technique supprimant les mots indésirables et sont traités par un modérateur qui les sélectionne, et les remet en forme, pour les rendre plus compréhensifs, le rédacteur en chef, Monsieur Laurent B. validant ou non leur passage à l’antenne. Le traitement de ces messages entre leur réception et leur diffusion dure entre 5 et 15 minutes;
- les SMS reçus le 1/12/2003 n’ayant pas pu être diffusés, Monsieur Marc-Olivier F. a décidé avec son équipe de différer cette diffusion à l’émission suivante du 5/12/2003;
- Monsieur Laurent B. a demandé à Monsieur Alexandre G., assistant de direction, de faire des propositions de messages en respectant la teneur de ceux effectivement reçus et en rendant compte de l’indignation des téléspectateurs;
- Monsieur Alexandre G. a reconnu être le rédacteur d’une partie des SMS parus à l’écran dont le message incriminé, et ce, à la demande du rédacteur en chef;
- Les messages préparés entre le 1/12/2003 et le 5/12/2003 ont été, selon Monsieur F., validés par la direction des programmes de la Société France 3 puisqu’il s’agissait de rendre compte de l’ampleur des réactions d’indignation des téléspectateurs, suite à l’intervention de Monsieur Dieudonné M.
Selon Monsieur Marc-Olivier F. et Monsieur Laurent B., le message litigieux serait le condensé de deux messages reçus le 1/12/2003 à 22H42 et 23H03, ainsi libellés " Si on se mokai de musulman com Dieudo ce moke des juifs, il nous foutrai une bombe » et " Dieudonné tu as la couleure et tu as dit-on l’odeur, grosse merde, c’est drôle non, c’est ça ton humour».
Les prévenus font valoir que le message incriminé devait se comprendre de la façon suivante: « Que dirait-on si un humour aussi déplacé et odieux s’exerçait à l’encontre de la communauté noire »
Les prévenus considèrent que le texte litigieux ne contient aucune invective ni expression outrageante envers la personne de Monsieur Dieudonné M., car il contient une interrogation sur les limites de l’humour quand il concerne une race ou une religion.
Or, le message dont s’agit vise nommément Monsieur Dieudonné M. puisqu’il commence par DIEUDO et, plus largement, la communauté noire, par le mot BLACKS.
Les termes utilisés, en l’occurrence l’odeur des blacks, se réfèrent au vieux cliché selon lequel les personnes de race noire ont une odeur désagréable, ce qui relève d’une conviction ouvertement raciste
La diffusion extrêmement rapide du message ne permet pas aux téléspectateurs de l’interpréter au second degré du seul fait de sa forme interrogative.
Si comme le prétendent les prévenus, il était question de faire passer l’indignation des téléspectateurs, il eut été plus simple d’écrire et de diffuser le texte : « Que dirait on si un humour aussi déplacé et odieux s’exerçait envers la communauté noire ? ».
Les mots clés en l’occurrence, Dieudo et odeur des blacks, sont intimement liés et sont les seuls retenus par les téléspectateurs.
La seule référence à l’odeur des personnes de race noire renferme une connotation raciste, méprisante et outrageante, tant envers Monsieur Dieudonné M., nommément visé, qu’envers la communauté noire dans son ensemble.
En conséquence, ce message diffusé dans une émission de télévision qui est regardée par des millions de téléspectateurs constitue une injure publique de nature raciale.
(…)
Je ne résiste pas au plaisir de reproduire également ce passage, il vaut son pesant de part de marché (je grasse la encore) :
Les prévenus invoquent leur bonne foi.
Il est constant que l’intention de nuire est présumée en matière d’injures.
La bonne foi invoquée ne peut pas être retenue.
Il est établi que le message litigieux a été écrit par Monsieur G. à la demande de Monsieur Laurent B. qui l’a sélectionné parmi les autres textes réécrits. Monsieur Marc-Olivier F. ne pouvait pas ignorer la teneur des messages qui allaient être diffusés à l’antenne dans la mesure où il reconnaît qu’il les a fait valider par le directeur des programmes de la chaîne. De plus et surtout, en sa qualité de producteur et d’animateur de l’émission, il avait pris la décision avec son équipe de diffuser les messages en différé, ce qui n’est pas une pratique habituelle. Enfin, le filtrage et la sélection de messages diffusés sur l’écran auraient dû avoir pour effet de ne pas faire apparaître à l’écran un texte méprisant et outrageant à connotation raciste, d’autant qu’il n’émane même pas d’un téléspectateur, ce qui constitue une manipulation certaine du public. Sur ce point, il y a lieu de rappeler que lors de son audition, à la question Les messages sont ils rédigés par les équipes de production, Monsieur Marc-Olivier F. a répondu: « Non, nous n’inventons jamais rien, ce serait contraire à toute déontologie journalistique»
Une telle affirmation qui s’est avérée fausse démontre que le message injurieux a été diffusé en toute connaissance de cause, ce qui révèle l’intention de nuire.
Autre moyen de défense, l'excuse de provocation (l'injure, même raciale, n'est un délit que si elle n'est pas précédée de provocation : article 33 de la loi du 29 juillet 1881) :
Les prévenus se prévalent de l’excuse de provocation.
D’une part, ils ne peuvent sérieusement invoquer une quelconque provocation de Monsieur Dieudonné M., à leur encontre, car le sketch interprété le 1/12/2003, ne concernait aucun d’entre eux.
D’autre part et à supposer que ce sketch ait eu un caractère diffamant, ce qui aujourd’hui n’a pas été admis par la Cour d’Appel de PARIS qui a confirmé, le 7/09/2005, un jugement de relaxe rendu par le Tribunal de Grande Instance de PARIS, le 27/05/2004, au profit de Monsieur Dieudonné M., le SMS litigieux qui a été sciemment fabriqué, ne constitue pas une riposte immédiate et irréfléchie aux propos tenus par ce dernier dans l’émission diffusée quatre jours auparavant.
L’excuse de provocation n’est donc pas fondée.
En conclusion :
Monsieur Marc T. doit être retenu dans les liens de la prévention en sa qualité d’auteur principal (directeur de la Publication).
Monsieur Alexandre G. qui a rédigé le message incriminé en sachant qu’il pourrait être diffusé à l’écran, a facilité la commission de l’infraction et doit être retenu dans les liens de la prévention en qualité de complice.
En demandant la réécriture du message et en diffusant celui-ci, Monsieur Laurent B., rédacteur en chef, et Monsieur Marc- Olivier F., représentant légal de la Société de Production, ont par aide et assistance, préparé et facilité la diffusion du message incriminé. Ils doivent donc être déclarés coupables des faits objet de la prévention.
Monsieur Marc T. doit être condamné à une peine d’amende de 4.000 Euros, Monsieur Marc-Olivier F., à une peine d’amende de 5.000 Euros, Monsieur Laurent B., à une peine d’amende de 2.000 Euros et MonsîeurAlexandre G., à une peine d’amende de 1.000 Euros.
Il y a lieu de faire application de la peine de diffusion prévue par l’alinéa 4 de l’article 33 de la loi du 29/07/1881, selon des modalités conformes à l’article 131-35 du Code pénal, qui seront précisées dans le dispositif du jugement.
Je reviendrai demain sur un aspect accessoire de cette audience, qui, au choix, pourra vous faire rire ou vous mettre en colère.
Commentaires
1. Le jeudi 27 octobre 2005 à 17:07 par Paxatagore
2. Le jeudi 27 octobre 2005 à 17:25 par guichoune
3. Le jeudi 27 octobre 2005 à 17:36 par guichoune
4. Le jeudi 27 octobre 2005 à 19:04 par Souplounite
5. Le jeudi 27 octobre 2005 à 21:07 par Pangloss
6. Le vendredi 28 octobre 2005 à 09:12 par Darrow
7. Le vendredi 28 octobre 2005 à 09:44 par andrem
8. Le vendredi 28 octobre 2005 à 10:07 par molok
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10. Le vendredi 28 octobre 2005 à 11:39 par Francesco
11. Le vendredi 28 octobre 2005 à 12:49 par wild thing
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13. Le vendredi 28 octobre 2005 à 13:13 par Simone
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15. Le vendredi 28 octobre 2005 à 16:16 par guichoune
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24. Le jeudi 2 février 2006 à 15:25 par Elyz
25. Le jeudi 2 février 2006 à 15:42 par Elyz
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