Du style des présidents
Par Eolas le mercredi 26 octobre 2005 à 14:32 :: General :: Lien permanent
Mon billet sur le chômeur stressé recourant à une thérapie manuelle pour se détendre a lancé en commentaires un intéressant débat sur le respect dû par les magistrats aux prévenus.
Certains lecteurs, Palpatine en tête s'étaient offusqués de ce que la présidente se soit permis de moquer le prévenu :
je trouve ça vraiment cruel de faire une audience publique, alors même que cet homme doit être dans un intense état de souffrance psychologique, étant donnés les actes auxquels il s'est livré, ce qui est apparemment confirmé par sa situation effective. D'ailleurs, le "bon mot" de la présidente peut bien entendu prêter à rire, mais dans le fond, il s'agit d'un être humain que l'on moque, et ce dans le lieu même qui est censé rendre des jugements justes, et faire régner la vertu...
Ce à quoi Josse Delage opposait le contre argument suivant, fondé sur le libre arbitre :
C'est la reponse évasive et dénuée de toute admission de responsabilité personnelle qui a laissé la porte ouverte a la répartie du juge. Il a fait le choix de ses actions et il doit en accepter les conséquences. Se chercher des excuses foireuses pour se déresponsabiliser légitimiserait n'importe quel commentaire.
Pour ma part, je suis assez partagé. J'aime bien l'argument certes rigoureux de Josse Delage : les prévenus qui sortent des excuses bidons, les juges en voient tous les jours, et la lâcheté de certains à la barre alors qu'ils étaient très courageux face à leur victime a de quoi provoquer la colère. Mais il demeure que Palpatine a raison sur un point : il y a de la cruauté chez le juge qui profite de sa situation dominante pour écraser un prévenu.
J'ai assisté à des audiences menées par un président (terme générique : les femmes ne sont pas épargnées) qui ne cachait pas l'animosité envers le prévenu que le dossier avait généré chez lui. J'en parlais déjà dans ce billet il y a plus d'un an.
Sans aller dans les excès de ces audiences de juillet 2004, excès que je n'ai pas revu cet été même si certaines audiences étaient mouvementées, j'ai encore entendu récemment un président de cour d'appel traiter un prévenu "d'asticot", après un instant d'hésitation où on sentait qu'un terme plus grossier lui était venu à l'esprit en premier lieu, un autre "d'animal", et un autre de "barbare". Le terme "voyou" est assez usité, aussi.
D'autres présidents sont plus adeptes du bon mot au détriment du prévenu, mais ce n'en est guère moins humiliant pour le prévenu, qui est contraint à l'impuissance. Répondre peut être un outrage à magistrat, et en tout état de cause, celui qui le ridiculise ainsi a le pouvoir de l'envoyer en prison. Il faut donc se taire et encaisser.
Ce que ces présidents ignorent sans doute, croyant que ce bizutage fait partie de la peine, c'est qu'ils font plus de dégâts que de bien en agissant ainsi. Et ce même pour ceux qui se montrent ensuite plutôt cléments sur la peine.
Subir une telle humiliation, surtout de la part des prévenus qui n'ont pas le même bagage intellectuel que les magistrats et seraient bien incapables de faire preuve de répartie, laisse un sentiment de frustration humiliante et de rage impuissante qui anéantit purement et simplement tout effet pédagogique à l'audience. Le prévenu sort de la salle avec une colère terrible à l'encontre du magistrat, et mépriser le juge n'est pas le meilleur premier pas pour le reclassement du condamné.
Agir ainsi est une certaine facilité, et l'office du juge n'en sort pas grandi.
Alors qu'à l'opposé, il m'est donné d'assister à des audiences menées par des magistrats extraordinaires.
Ils connaissent leurs dossiers sur le bout des doigts (ce n'est pas systématique, loin de là, et ça s'applique aussi aux avocats), même quand leur audience est surchargée, ont une connaissance encyclopédique du Code de procédure pénale, et ont une vision dépassionnée du dossier. Ils font preuve d'une patience d'ange avec les prévenus même les plus récalcitrants, en les mettant calmement face à leurs contradictions, sans jamais donner l'impression de les mépriser pour ce qu'ils ont fait, sans jamais paraître choqué par les faits pourtant parfois très durs qu'ils ont à juger. Très souvent, d'ailleurs, cette sérénité des débats permet un apaisement des passions, et le prévenu parvient à assumer ses actes en abandonnant un système de défense qui consiste souvent à nier l'évidence.
Pour peu qu'ils soient secondés par un représentant du parquet qui s'efforce d'avoir la même vision dépassionnée, et qui fait comprendre au prévenu que la peine qu'il requiert ne signifie pas qu'il lui dénie toute valeur en tant qu'être humain, on peut assister à des moments de grâce dans le prétoire.
Récemment, j'ai eu à plaider devant une présidente de cour d'appel dans de telles conditions, alors que j'étais tombé en première instance sur des magistrats de la première catégorie. Elle avait une habitude surprenante mais que j'ai trouvée très pertinente : à la fin de la plaidoirie de l'avocat de la défense, elle demandait à celui-ci : « Mais dites moi, Maître, quelle peine préconiseriez-vous, concrètement ? ». La plupart des avocats étaient quelque peu décontenancés et répondaient de manière évasive : « Vous apprécierez… » ; « Je m'en rapporte à la cour… ». Il est vrai que c'est la question piège absolue pour un avocat : il est en présence de son client et est sommé de demander une peine à son encontre ! Mais c'est aussi le mettre face à ses responsabilités. En appeler à la clémence de la cour, ça mange pas de pain. Là, il doit se mouiller. C'est délicat aussi parce que la peine que l'on suggérera risque fort d'être le plancher en délibération, c'est à dire que la cour n'ira vraisemblablement pas au-dessous. Mais, pour peu qu'on connaisse bien l'éventail des peines, cela permet d'aiguiller la juridiction sur une voie à laquelle elle n'aurait pas pensé toute seule. Et là, c'est une plaidoirie utile, qui aide la cour à prendre sa décision, puisqu'elle a déjà deux suggestions de décision, une plutôt rigoureuse, celle du parquet, et une plutôt clémente, celle de l'avocat, qui aura préalablement exposé les raisons qui militent pour une décision indulgente.
J'ai énormément apprécié sa façon de diriger une audience, et elle a je pense réussi à désamorcer une situation explosive dans un dossier très délicat.
Donc, il est possible de juger comme ça, puisque ça existe. Et autant je rends hommage à ces magistrats, autant je suis fâché contre ceux qui, par paresse ou facilité, se "payent" le prévenu pour se défouler, amuser la galerie, et ne sont en fin de compte que des éléphants dans un magasin de porcelaine.
© Maître Eolas 2005, Reproduction interdite.
Commentaires
1. Le mercredi 26 octobre 2005 à 16:54 par Alain
2. Le mercredi 26 octobre 2005 à 18:31 par pol
3. Le mercredi 26 octobre 2005 à 21:51 par pikipoki
4. Le jeudi 27 octobre 2005 à 00:18 par LDiCesare
5. Le jeudi 27 octobre 2005 à 03:10 par palpatine
6. Le jeudi 27 octobre 2005 à 08:27 par Gascogne
7. Le jeudi 27 octobre 2005 à 13:56 par felixnemrod
8. Le jeudi 27 octobre 2005 à 14:14 par Patrick
9. Le mercredi 2 novembre 2005 à 12:13 par GL
10. Le mercredi 2 novembre 2005 à 18:14 par Apokrif
11. Le samedi 19 novembre 2005 à 00:07 par Submarine