Bug de la loi Perben 2.0 : le patch juge 1.0 règle le problème
Par Eolas le mardi 25 octobre 2005 à 12:46 :: Commentaire judiciaire :: Lien permanent
J'avais abordé précédemment la question du "bug" de la loi Perben II. Enfin, du bug... Si cette loi n'en avait qu'un... C'est plutôt le Windows de la procédure pénale cette loi : exemple ici, et je croyais avoir fait un billet sur un des articles de cette loi qui modifiait un article d'un texte antérieur déjà abrogé, mais je ne le retrouve pas.
A cette occasion, je disais :
Les juges n'ont pas d'hésitation à rendre à la loi le sens qu'a voulu lui donner le législateur, même quand il dit le contraire de ce qu'il a voulu exprimer. Là, je parle d'expérience.
Il est parfaitement loisible à un JAP de lire [ce texte] comme signifiant "sept jours par mois pour les durées d'incarcération moindre". (…)
Le Canard a tout à fait raison de pointer du doigt les incuries du législateur. Mais il se méprend sur la soumission des juges au sens littéral de la loi.
L'avenir dira si je me trompe.
Je me trompais bien entendu : le JAP (juge d'application des peines) est incompétent pour résoudre cette question, puisqu'il s'agit en réalité d'un incident contentieux sur la peine, et non d'une mesure d'exécution ou d'aménagement. Cette question relève donc en vertu de l'article 710 du code de procédure pénale de la juridiction ayant prononcé la peine en dernier ressort (ou la chambre de l'instruction de la cour d'appel pour les cours d'assises).
Mais pour le reste, deux décisions viennent confirmer mon intuition et rappeler que le juge est là pour pallier les carences criantes du législateur.
La première est une ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Metz, saisi en référé par les avocats d'un détenu, qui avaient assigné en référé le directeur de l'établissement où était détenu leur client.
Comme quoi, je ne suis pas le seul à me tromper : le président s'est bien évidemment déclaré incompétent au profit du juge du contentieux de la peine, mais par un motif obiter dictum, il ne pouvait s'empêcher d'émettre des doutes sur le bien fondé de l'action (c'est la phrase que je souligne) :
Au terme de l’article 710 du code de procédure pénale,
« Tous incidents contentieux relatifs à l’exécution sont portés devant le tribunal où la cour qui a prononcé la sentence… »
« En matière criminelle, la chambre de l’instruction connaît des rectifications et des incidents d’exécution auquel peuvent donner lieu les arrêts de la cour d’assises »
En l’espèce, le demandeur est en litige avec l’administration pénitentiaire et le Ministère public quant à la computation des jours de détention qu’il doit subir, suite à la modification des dispositions de l’article 721 du code de procédure pénale, par la loi du 9 mars 2004.
Le contentieux qu’il élève constitue incontestablement un incident contentieux relatif à l’exécution de la peine qu’il subit.
L’article 710 du code de procédure pénale déroge au principe général fixé par l’article 809 du nouveau code de procédure civile qui donne compétence au juge civil pour prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Ce texte donne compétence exclusive au juge pénal et singulièrement à celui qui a prononcé la condamnation, pour en régler les incidents d’exécution. Le juge civil est dès lors radicalement incompétent, pour statuer sur un incident d’exécution d’une condamnation pénale, même en présence d’une voie de fait, dont, au demeurant, la réalité n’est pas démontrée en l’espèce. Une voie de fait est en effet une atteinte grave à une liberté fondamentale, qui est manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir légalement dévolu à l'administration. En l’espèce, on ne saurait sérieusement soutenir que le fait, pour un chef d’établissement pénitentiaire, de retenir un condamné en exécution des décisions des juridictions et des instructions qu’il a reçues de son administration, laquelle exerce ses prérogatives sous le contrôle du Procureur de la République, n’est pas susceptible de se rattacher à un pouvoir légalement dévolu à l’administration.
Il convient en conséquence de se déclarer incompétent et de renvoyer le demandeur à mieux se pourvoir.
Une deuxième décision est intervenue, rendue par le tribunal correctionnel de Toulon le 13 octobre dernier conformément à l'article 710 du code de procédure pénale. Cette fois, le juge est compétent et doit trancher.
Et il tranche, très clairement :
Attendu que l’article 721 du Code de Procédure Pénale, applicable depuis le 1er janvier 2005, dispose que : “chaque condamné bénéficie d’un crédit de réduction de peine” ... “à hauteur de 3 mois pour la 1ère année, de 2 mois pour les années suivantes, et de 7 jours par mois”;
Que le début du texte tel qu’il est rédigé, laisse penser que le législateur a entendu limiter la durée maximale de la réduction d’une peine (à 3 mois pour la 1ère année, à 2 mois pour les éventuelles années suivantes) alors que la fin pourrait laisser penser que viendrait se rajouter une durée supplémentaire à cette durée pourtant limitée;
Que ladite disposition telle qu’elle est rédigée pose d’évidentes difficultés d’interprétation, en raison de la disparition au cours des débats parlementaires de l’expression “pour une durée d’incarcération moindre”;
Attendu que le condamné, invoquant le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale, soutient qu’il peut bénéficier cumulativement d’un crédit de réduction de peines de 3 mois pour la 1ère année, 2 mois pour les années suivantes, auxquels s’ajoutent 7 jours par mois chaque année;
Que, cependant, ce principe général du droit ne peut s’appliquer en l’espèce en raison de l’obscurité exposée ci-dessus de la loi;
Attendu qu’il est de jurisprudence constante que, face à une imprécision de la loi pénale, il convient de l’interpréter à la lueur des principes généraux du droit des débats parlementaires qui ont précédé le vote;
Attendu qu’en l’espèce la volonté du législateur, telle qu’elle résulte des débats parlementaires exposés dans les réquisitions écrites du Procureur de la République, est clairement de ne pas cumuler les réduction de 3 mois ou de 2 mois prévus pour une année entière, et les réductions de 7 jours par mois;
Attendu que le texte doit donc s’interpréter ainsi:
- le crédit de réduction de peine “à hauteur de 3 mois pour la 1ère année” se comprend comme s’appliquant forcément aux peines au moins égales à 1 an, sinon il n’aurait pas de sens,
- le crédit de réduction de peine “de 2 mois pour les années suivantes” se comprend comme s’appliquant aux peines au moins égales à 2 ans et se calculant sur chaque année pleine,
- reste l’expression “7 jours par mois” qui s’applique uniquement, d’une part, aux peines inférieures à un an, et d’autre part, aux durées de peine qui ne sont pas des années pleines;
Que par conséquent, il convient de rejeter la requête du condamné : (…)
Je pense que ce jugement est solidement étayé, et en cas de recours, sera immanquablement confirmé par la cour d'appel de la même ville d'Aix en Provence (merci Gascogne). Le principe que "la loi pénale est d'interprétation stricte" (article 111-4 du Code pénal) ne signifie pas que le juge soit l'esclave du sens littéral de la loi : il signifie qu'il ne peut étendre la loi au-delà du champ d'action voulu par le législateur. Le raisonnement par analogie est prohibé en droit pénal.
Ici, il ne s'agit pas d'étendre le champ de la loi mais de lui redonner celui qu'a voulu le législateur mais qu'il n'a pas su exprimer dans un français correct.
© Maître Eolas 2005, Reproduction interdite.
Commentaires
1. Le mardi 25 octobre 2005 à 15:03 par Jé
2. Le mardi 25 octobre 2005 à 15:24 par Garfield
3. Le mardi 25 octobre 2005 à 16:05 par Nico
4. Le mardi 25 octobre 2005 à 16:07 par Nico
5. Le mardi 25 octobre 2005 à 16:48 par Gascogne
6. Le mardi 25 octobre 2005 à 16:52 par moi
7. Le mardi 25 octobre 2005 à 17:51 par Jé
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