De la procédure et de la presse
Par Eolas le vendredi 21 octobre 2005 à 11:38 :: Commentaire judiciaire :: Lien permanent
Le Figaro du jour fournit une nouvelle démonstration de la maîtrise de la procédure par les journalistes :
CITÉ à comparaître hier au tribunal de Bobigny par le Mrap pour «incitation à la haine raciale», Philippe de Villiers ne «regrette en rien» ses déclarations sur «l'islamisation progressive de la société française». L'audience, à laquelle il ne s'est pas rendu, portait sur la forme, une audience sur le fond devant intervenir le 19 janvier.
(Le Figaro du 21 octobre 2005, auteur : Guillaume Perrault).
C'est quand même curieux, la justice, avec des audiences sur la forme où les prévenus ne se rendent pas.
Il est en fait assez facile de deviner à quoi correspond cette audience.
Le MRAP est une association de lutte contre le racisme, régulièrement déclarée depuis plus de cinq ans. L'article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, lui donne le droit d'exercer les drotis reconnus à la partie civile dans le cadre des délits d'incitation à la haine raciale, diffamation raciale et injure raciale.
Le MRAP a donc cité directement Philippe de Villiers devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour incitation à la haine raciale, délit prévu et réprimé par l'article 24 de la loi de 1881, qui punit jusqu'à un an d'emprisonnement et 45000 euros d'amende :
Ceux qui, [publiquement], auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
La citation directe permet à la partie civile de mettre en mouvement elle même les poursuites, en se passant de l'aval du parquet. Cela se traduit généralement par une passivité totale du parquet à l'audience, qui boude pour montrer qu'il n'apprécie guère qu'on empiète sur ses plates-bandes. A sa décharge, les tribunaux doivent souvent connaître de citations directes mal préparées, sur des faits non établis, qui révèlent souvent une volonté de vengeance.
Concrètement, la partie civile rédige la citation et la présente au parquet, qui fixe une date d'audience. Cette première audience est dite "de fixation". Le tribunal va examiner la régularité de la citation, puisque c'est cet acte qui le saisit. Si elle est régulière, le tribunal va fixer une consignation, c'est à dire une somme (généralement 1000 euros) que la partie civile devra déposer au régisseur des avances et recettes du tribunal dans un délai qu'il fixe (généralement un mois). Si cette consignation n'est pas effectuée, la citation est irrecevable. Cette consignation pourra être convertie en amende civile par le tribunal en cas de citation manifestement mal fondée, sinon elle sera restituée à la partie civile à la fin du procès. Les parties civiles bénéficiant de l'aide juridictionnelle sont dispensées de consignation. Le tribunal fixe enfin une nouvelle date d'audience où il constatera que la consignation a bien été effectuée, et généralement retient dès cette première audience une date pour l'audience de jugement, en ménageant en accord avec les avocats le temps nécessaire pour l'examen de cette affaire. Il peut arriver dans des juridictions peu chargées, que ce soit la même date.
A la deuxième audience, le tribunal constate que la consignation a été versée (le régisseur en informe le tribunal), et confirme le calendrier de procédure.
A la troisième audience, enfin, le tribunal juge les faits. C'est à cette audience seulement que la présence du prévenu est nécessaire. C'est "l'audience consacrée au fond" que cite le journaliste.
Mes lecteurs assidus auront déjà relevé qu'il s'agit d'un délit de presse, ergo que la prescription y est de trois mois. Le tribunal veillera donc le cas échéant à fixer des "audiences relais" si sa charge de travail fait que plus de trois mois peuvent s'écouler entre la dernière audience de fixation et celle de jugement, audiences au cours de laquelle le tribunal se contente d'appeler le dossier, constate avec plaisir que l'avocat de la partie civile est bien là et désire plus ardemment que jamais persévérer dans sa poursuite, et "confirme le calendrier de procédure", ayant ainsi interrompu la prescription qui court à nouveau sur trois mois.
L'audience d'hier était donc une audience de fixation, où la présence du fou du Puy (et accessoirement du journaliste) n'était absolument pas nécessaire. Une date a été fixée le 19 janvier, puisque la prescription était acquise le 21 janvier.
Ce ne doit pas être l'audience de vérification de consignation (un délai de presque trois mois serait bien plus long que la pratique à Bobigny), il doit donc bien s'agir de l'audience de jugement ; mais le fait que l'audience ait lieu à deux jours de la prescription peut indiquer qu'il s'agit en fait d'une simple audience relai.
Commentaires
1. Le vendredi 21 octobre 2005 à 12:40 par EH
2. Le vendredi 21 octobre 2005 à 13:39 par forgeron
3. Le vendredi 21 octobre 2005 à 14:26 par arcade
4. Le vendredi 21 octobre 2005 à 15:22 par Pangloss
5. Le vendredi 21 octobre 2005 à 15:54 par Cobab
6. Le vendredi 21 octobre 2005 à 16:06 par François
7. Le vendredi 21 octobre 2005 à 18:30 par Arcade
8. Le vendredi 21 octobre 2005 à 21:39 par LAULOM Jean
9. Le lundi 24 octobre 2005 à 17:04 par gauloise
10. Le jeudi 27 octobre 2005 à 00:38 par fred
11. Le lundi 16 janvier 2006 à 16:38 par administrateur de http://www.u-blog.net/villiers
12. Le lundi 16 janvier 2006 à 16:40 par administrateur de http://www.u-blog.net/villiers
13. Le mardi 17 janvier 2006 à 01:14 par Laurent
14. Le mercredi 18 janvier 2006 à 11:41 par administrateur de http://www.u-blog.net/villiers