Pour ne plus violer, violons
Par Eolas le jeudi 29 septembre 2005 à 15:10 :: Actualité du droit :: Lien permanent
Un magistrat qui aime taquiner les avocats (qui a dit "pléonasme" ?) me demandait innocemment (je retire le "innocemment", c'était un procureur) ce que je pensais de l'idée de mon confrère et incidemment garde des sceaux de demander au parlement de ne pas saisir le Conseil constitutionnel de son projet de loi visant à imposer le port du bracelet électronique à des personnes déjà condamnées pour des crimes sexuels, et ce au mépris du principe fondamental de non rétroactivité de la loi pénale.
Il ajoutait non sans gourmandise que L'Union Syndicale des Magistrats (USM) avait déjà réagi tandis que l'Ordre des avocats semblait quelque peu coi, en m'affirmant se refuser à penser que le corporatisme pouvait brider la capacité légendaire de notre ordre à s'enflammer pour la défense des libertés individuelles.
Je n'allais pas laisser passer l'affront sans réagir. Surtout quand on me met sous le nez un syndicat avec une page web aussi laide.
Non mais c'est vrai. Le Syndicat de la Magistrature, au moins, ça a de la gueule, avec des menus en flash et tout, et puis ça pourrait être écrit par un avocat tant ils pestent contre la machine répressive. Ou mieux encore, l'Association Professionnelle des Magistrats. Là, au moins, c'est clair, et synthétique.
Mais bon, laissons le bisque-bisque-rage.
On a déjà noirci beaucoup de pixels à commenter les propos hallucinants du Garde des Sceaux. Ce n'est pas tant l'idée du bracelet GPS pour des personnes déjà condamnées qui est choquante mais le fait qu'un ministre de la justice affirme savoir que sa loi viole la constitution mais demande au parlement de ne pas saisir le conseil constitutionnel. Je ne reviendrai pas dessus, tant les réactions ont été nombreuses, du Président du Conseil Constitutionnel, pourtant tenu à un devoir de réserve, à la blogosphère, citons par exemple Versac.
Pour mémoire, les voici :
Il y a un risque d'inconstitutionnalité. Les événements récents vont me pousser à le prendre et tous les parlementaires pourront le courir avec moi. Il suffira pour eux de ne pas saisir le Conseil constitutionnel et ceux qui le saisiront prendront sans doute la responsabilité politique et humaine d'empêcher la nouvelle loi de s'appliquer au stock de détenus.
Les "événements récents" en question sont les trois viols imputés à un violeur sorti de prison en mai dernier. Le garde des sceaux a d'ailleurs fait son annonce après avoir reçu les victimes de ces faits.
Quelques remarques simplement :
- Chassez la protection des libertés individuelles par la porte, elle rentre par la fenêtre. La non rétroactivité de la loi pénale est aussi protégée par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme. Donc même si le Conseil constitutionnel n'était pas saisi (je n'imagine pas un instant les députés socialistes laisser passer une telle occasion mais bon...), toute personne concernée pourra demander au juge d'application des peines de constater qu'une telle mesure viole cet article, et au besoin pourra faire condamner la France par la Cour européenne des droits de l'homme.
- Il existe déjà depuis 1998 le suivi socio judiciaire pour les délinquants et criminels sexuels. C'est efficace, on le sait, mais cette réforme souffre du manque de moyens endémique de la justice. Ce suivi nécessite une forte implication de médecins psychiatres, rémunérés sur frais de justice. Le montant de cetet rémunération est tellement misérable que de plus en plus de psychiatres se désengagent. Ajoutons à cela que le ministère a décidé de bloquer l'enveloppe des frais de justice, comprenez que quand le budget sera dépensé, les frais ne seront tout simplement plus honorés, et vous comprendrez que les bracelets GPS seront probablement achetés à crédit.
- La récidive zéro est un fanstasme, bracelets GPS ou pas, suivi socio-judiciaire ou pas. Tout simplement parce qu'un violeur récidiviste est généralement quelqu'un de profondément déséquilibré qui obéit à des pulsions. Le fait qu'il ait un bracelet GPS ne l'empêchera pas de passer à l'acte. Et pire que tout, de le faire sans tenir aucun compte du calendrier électoral.
- Oser exploiter la souffrance de trois victimes d'un fait divers terrible et opportunément médiatique pour faire la promotion d'un texte déposé à l'Assemblée Nationale depuis le 1er décembre 2004 me paraît une démarche indigne, pour ne pas dire abjecte.
- Quand un ministre complote avec 903 parlementaires pour violer la constitution, ca s'appelle une association de malfaiteurs et un viol en réunion. On en placera bientôt sous surveillance électronique pour moins que ça.
J'espère que le silence de l'Ordre est dû au fait que le Conseil ne se réunit que les mardi matins. Mais soyez certains que les avocats ne sont pas moins choqués.
Commentaires
1. Le jeudi 29 septembre 2005 à 15:57 par Gascogne
2. Le jeudi 29 septembre 2005 à 16:26 par all
3. Le jeudi 29 septembre 2005 à 16:28 par moi
4. Le jeudi 29 septembre 2005 à 16:56 par moi
5. Le jeudi 29 septembre 2005 à 17:11 par Gus
6. Le jeudi 29 septembre 2005 à 17:21 par moi
7. Le jeudi 29 septembre 2005 à 18:19 par Fabi
8. Le jeudi 29 septembre 2005 à 18:36 par Gus
9. Le jeudi 29 septembre 2005 à 18:54 par moi
10. Le jeudi 29 septembre 2005 à 20:21 par Fred
11. Le jeudi 29 septembre 2005 à 21:18 par rbc
12. Le jeudi 29 septembre 2005 à 22:38 par Bastien
13. Le vendredi 30 septembre 2005 à 10:01 par andrem
14. Le vendredi 30 septembre 2005 à 18:08 par Sans pseudo
15. Le samedi 1 octobre 2005 à 21:01 par apprentie-juriste
16. Le lundi 3 octobre 2005 à 00:00 par Gagarine
17. Le mardi 4 octobre 2005 à 17:10 par andrem
18. Le mardi 4 octobre 2005 à 17:33 par andrem