Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Du rififi à la cour d'assises de Créteil

La cour d'assises de Créteil a tenté, en vain, de juger Jean-Claude Bonnal, dit le Chinois, cette semaine. La presse a rapporté sans toujours le comprendre l'incident déclenché par les avocats de la défense. Beaucoup de journalistes, soit qu'il soient sensibles à la frustration des parties civiles, soit qu'ils soient eux même déçus de ne pas avoir à couvrir ce procès, ont eu des commentaires peu amènes pour mes confrères du banc de la défense.

Une fois n'est pas coutume, c'est dans Libération (édition du 13 septembre 2005) que j'ai trouvé l'article qui a sans doute le mieux analysé l'incident (bravo à Marc Pivois). Sans avoir parcouru tous les organes de presse, je donne le Lol d'or, le prix du commentaire le plus creux, au chroniqueur judiciaire de France Info qui s'est contenté de résumer l'incident par "le procès n'a pas dépassé le stade de l'incident de procédure".

Ce qui s'est passé est intéressant à analyser. Il s'agit d'un bras de fer entre la présidente de la cour et la défense, et c'est, pour une fois, cette dernière qui a gagné, grâce au code de procédure pénale. Et les avocats de la défense ont bien fait leur travail, quelque sympathie qu'on puisse légitimement avoir pour les familles des victimes de ces terribles faits. Mais le bras de fer avec l'institution judiciaire continue comme le montre les derniers développements de cette affaire, où le parquet vole au secours du siège selon le principe de "à code de procédure pénal, code de procédure pénale et demi".

Voilà la synthèse des événements tels que j'ai pu les reconstituer à partir de la presse, sous toutes réserves car je n'ai pas assisté à l'audience ni connaissance du dossier.

Jean-Claude Bonnal est poursuivi pour deux faits distincts : un braquage à Athis-Mons dans l'Essonne, qui a fait quatre morts, et une affaire de séquestration au Plessis-Trévise dans le Val de Marne, qui a donné lieu à une fusillade au cours de laquelle deux policiers ont été tués. Jean-Claude Bonnal étant de plus un récidiviste (trois fois condamné pour braquage) qui avait été peu de temps auparavant remis en liberté dans l'attente d'un procès pour un autre braquage (sur un vice de procédure), vous voyez tout de suite comme ce dossier peut être sensible.

Ces deux faits ont donné lieu à deux instructions séparées, une menée au tribunal de grande instance d'Évry, l'autre au tribunal de grande instance de Créteil.

Mais au mois de juillet dernier, les deux dossiers ont été joints pour être jugés au cours d'un unique procès devant la cour d'assises de Créteil. Cette décision n'a en soi rien d'anormal : la cour d'assises est une formation de la cour d'appel, en l'occurrence Paris, et ce même si elle siège dans un tribunal de grande instance de son ressort ; or la cour d'appel compétente pour Évry et Créteil est celle de Paris. C'est une simple mesure d'administration de la justice qui n'est pas susceptible d'appel, tout comme la décision de faire juger telle affaire par telle ou telle chambre du tribunal, ou de juger tel jour à telle heure.

Mais cette décision risquait surtout d'être lourde de conséquences pour les autres accusés.

En effet, la cour allait juger en tout six personnes. Jean-Claude Bonnal et Brahim Titi sont accusés d'avoir pris part aux deux faits poursuivis, mais quatre autres accusés ne sont poursuivis que pour la séquestration du Plessis-Trévise. Pour les avocats de Bonnal et Titi, ce n'est pas une bonne nouvelle : la gravité des faits s'additionne immanquablement aux yeux des jurés. S'ils pouvaient espérer obtenir, en cas de déclaration de culpabilité dans deux procès distincts, deux peines de réclusion à temps, une audience unique avait beaucoup plus de chances d'aboutir à une condamnation à la perpétuité. Quant aux avocats des quatre autres accusés, ils sont farouchement opposés à ce que ces deux faits soient examinés au cours d'une audience unique, de crainte que leurs clients ne soient plus sévèrement condamnés à cause de la forte impression que fera sur les jurés l'évocation des faits d'Athis Mons (où une fillette de neuf ans a découvert le cadavre de ses deux parents et a donné elle même l'alerte).

Ils vont donc exploiter les failles du dossier. La première est de taille : les copies du dossier d'Athis-Mons n'ont été fournis aux avocats des quatre autres accusés que la semaine précédent le procès. Le dossier en question faisant 12 tomes, soit facilement 10.000 pages. Ils vont donc demander la disjonction des dossiers, c'est à dire que seuls soient jugés les faits du Plessis Trévise. La présidente refuse, décision non sujette à recours. Les avocats demandent alors un délai pour étudier le dossier du Plessis-Trévise. Même si cet examen n'est pas absolument indispensable (leurs clients n'étant pas poursuivis pour ces faits là), la présidente est prise au piège : elle a décidé que les deux dossiers seraient examinés par la cour, elle ne peut donc s'opposer à ce que les avocats de la défense aient eu le temps d'en prendre connaissance. Les avocats espéraient un renvoi à une prochaine session d'assises (et peut être à un autre président, plus conciliant sur la disjonction...) Premier renvoi de quatre jours, incluant le week end.

La défense cherche la confrontation, mais n'a pas encore une raison suffisamment forte pour aller à l'incident grave et mettre à exécution la menace qu'elle agite sans cesse, se retirer du procès.

Elle va la trouver à la reprise du procès, grâce à un cadeau que va leur faire involontairement l'avocat général. Celui-ci va verser des pièces complémentaires au dossier, ce qui en soi est tout à fait régulier (les avocats de la défense en fournissent également). Mais parmi elle se trouve la déposition de l'épouse de Brahim Titi, qui était jusqu'alors son plus solide alibi et qui va changer totalement sa déposition, allant jusqu'à mettre en cause le défenseur de son époux qui aurait fait pression sur elle et lui aurait révélé des éléments du dossier. On cite des avocats en correctionnelle pour moins que ça, de nos jours.

L'avocat mis en cause porte aussitôt plainte, et demande par voie de conclusions, c'est à dire une demande écrite à laquelle la cour est tenue de répondre (article 315 du CPP), un supplément d'information sur ce revirement, dont une expertise psychiatrique de l'épouse.

La cour stricto sensu, c'est à dire les trois magistrats sans le jury, se retire pour délibérer et rend un arrêt de sursis à statuer jusqu'à la fin de l'instruction à l'audience, c'est à dire jusqu'à ce que les débats soient clos et avant que la cour au complet se retire pour délibérer. La cour marque ainsi sa volonté de voir les débats commencer sans plus attendre.

Cette décision, bien que contentieuse, n'est pas susceptible d'appel. L'article 316 du Code de procécudre pénale dit simplement qu'elle n'a pas l'autorité de la chose jugée et en cas d'appel de la décision, la cour d'assises d'appel peut donc être saisie de la même demande.

Mais là, la défense tient son motif d'incident. Un avocat est mis en cause personnellement par un témoin clef, dans une pièce versée presque en catimini par le parquet, après l'ouverture des débats. C'est décrédibiliser l'un des avocats de la défense dès l'ouverture du procès.

La défense, d'un commun accord, se retire donc du dossier. La présidente a tenté une ultime manoeuvre : commettre d'office les avocats de la défense, mais ceux-ci refusent, invoquant leur clause de conscience.

Or la présence d'un défenseur auprès des accusés est obligatoire (article 317 du CPP). Dès cet instant, la cour ne peut plus siéger régulièrement. La présidente, faute d'avocat présent dans la salle (et oui, si j'avais été dans l'assistance en robe, je me serais probablement vu proposer le dossier Bonnal...), n'a d'autre choix que de demander au Bâtonnier de Créteil la désignation de six avocats pour reprendre la défense. Mais dès cet instant, le procès est condamné ; ce qui du point de vue d'un avocat change agréablement. Immanquablement, les six avocats commis demandent le renvoi pour prendre connaissance des dizaines de tomes du dossier. La présidente ne peut leur refuser, et le procès est renvoyé en janvier.

Il y a gros à parier que d'ici là, les accusés redésigneront leur ancien conseil, et c'est reparti pour un tour.

Le parquet général a toutefois gardé un chien de sa chienne aux six défenseurs récalcitrants. Il a en effet adressé un fax aux maisons d'arrêts où sont incarcérés les six accusés pour notifier au directeur d'établissement le retrait du permis de communiquer des avocats en question. En effet, ils se sont retirés du dossier, ils n'ont plus à communiquer avec des détenus qui leur sont étrangers.

Juridiquement, c'est exact. Mais que le parquet général fasse diligence pour interdire aux directeurs d'établissement tout contact des anciens avocats avec leurs clients, c'est à ma connaissance du jamais vu. Le changement d'avocat est d'ordinaire indiqué à la maison d'arrêt par le nouvel avocat lui même quand il se présente pour son premier parloir, muni de son permis de communiquer. La fiche du détenu est alors modifié par le greffe pour faire mention du nouveau nom de l'avocat. C'est un peu une basse vengeance, de peu de conséquence mais histoire de marquer le coup (je n'imagine pas mes confrères cristoliens refuser de transmettre à leurs éphémères clients les instructions de leurs ex futurs avocats).

Que penser de cette affaire ? Elle illustre la difficulté du métier d'avocat de la défense, parfois confronté à un client haï de tous, un président récalcitrant, à des adversaires quelque peu déloyaux, un procès organisé pour mettre à mal son client, et qui, quand il ne peut obtenir du juge ce qu'il estime le mieux pour son client, n'a pour seule arme que le code de procédure pénale.

Si j'approuve le comportement de mes confrères, qui n'ont pas hésité à ruer dans les brancards dans l'intérêt de leurs clients, je trouve néanmoins cet incident regrettable. Outre la piètre image de la justice qu'il donne (si ce n'était que ça, ce serait un moindre mal), il a ravivé la souffrance des victimes, réveillé la colère des policiers (admirons au passage l'élégance du style, qui parle de "hold-up" des avocats, les familles des victimes apprécieront l'analogie, et "d'arguties juridico-juridiques", ce qui semble bien indiquer que ces avocats ont fait du droit) dans un dossier qui avait surtout besoin d'apaisement.

En revanche, je ne partage pas l'analyse que ce dossier s'inscrit dans une dégradation des rapports magistrats-avocats. C'est une tarte à la crème ces derniers mois, mais aux antipodes de ce que je vis quotidiennement. Les magistrats que je rencontre sont toujours accessibles, ouverts, et attentifs aux demandes et suggestions de la défense, sous la réserve qu'elles soient présentées avec courtoisie. Bon, ils les rejettent toutes, mais c'est là une vieille tradition judiciaire.

Le dossier Bonnal est un dossier extra-ordinaire. Les faits sont terribles, le principal accusé presque une caricature sur mesure pour tout discours sécuritaire, la police n'a jamais pardonné aux magistrats la remise en liberté de Bonnal (pourtant juridiquement inévitable, la chambre de l'instruction qui a rendu cet arrêt ne pouvait pas faire autrement sauf à violer la loi), et des anomalies que j'ai du mal à comprendre se sont produites. Bref, ce dossier avait plus de chances de planter que Windows 95.

Pour conclure, je tiens à être clair sur un point : je me garde bien de jeter la pierre à qui que ce soit. J'ai beaucoup de respect pour la présidente Janine Drai, dont le prénom a été écorché par Synergie, et ayant eu l'honneur de plaider devant elle, je ne puis que me joindre à l'appréciation unanime de ses qualités de présidente de cour d'assises. Cette affaire n'est pas une question de personnes.

C'est la difficulté de juger une affaire exceptionnelle, qu'aucun code, fut-il parfait, ce qui n'est pas le cas du notre, ne permettra de juger sereinement.

© Maître Eolas 2005, Reproduction interdite.

Commentaires

1. Le jeudi 15 septembre 2005 à 16:42 par Moi

Bien que présentée de façon objective, et c'est là une des nombreuses qualités de votre blog, on ne peut passer à côté du sentiment, que vous partagez, de victoire des avocats (de la défense). Les avocats (des parties civiles), qui n'en sont pas moins les dindons de la farce (quoique les avocats ne sont que des mandataires, et ce sont leurs clients qui gagnent, qui perdent ou qui souffrent), sont-ils moins avocats que les autres ?


Ils le sont tout autant, d'autant que les rôles ne sont pas figés (il m'arrive d'être du côté des parties civiles, de temps en temps). Cette fois, la défense a gagné. Je ne dis pas que c'est bien ou pas, car la défense sont les gentils ou les méchants ; je dis que mes confrères de la défense ont eu raison de faire ce qu'ils ont fait car c'était leur devoir.

Eolas

2. Le jeudi 15 septembre 2005 à 17:31 par all

Merci pour le décodage.

3. Le jeudi 15 septembre 2005 à 17:52 par Gascogne

J'aurais pu vous suivre sur un certain nombre de points si je n'avais pas vu a la tévé quelques têtes bien connues dans la défense de rupture. Certains avocats se sont spécialisés la dedans en recherchant, particulièrement aux assises, l'incident procédural. C'est fréquemment le cas quand le fond du dossier est quasiment indéfendable.
J'ai du mal à concevoir que pour défendre quelqu'un, tous les coups soient permis. D'autant plus que pour avoir siègé aux assises, je peux vous assurer que cette stratégie d'agression, envers les magistrats ou vis à vis de l'autre partie, passe très mal. Et je reste persuadé qu'il ne s'agit que de stratégie, notamment médiatique (cf. Outreau où certains de ces mêmes avocats plaidaient bien plus sur les marches du palais que dans le prétoire). Cela n'a rien à voir avec un éventuel amour immodéré de la procédure pénale et de sa juste application par des magistrats pernicieux qui ne font rien que contrarier la défense, particulièrement en rejetant systématiquement toutes leurs demandes (un peu parano, Me, peut-être ?).


Prolégomène pour les lecteurs curieux : on appelle défense de rupture une défense fondée sur l'affrontement avec le tribunal ou la cour, notamment en lui déniant le pouvoir de juger ces actes. Très utilisé pendant la guerre d'Algérie pour la défense des membres du FLN. Efficacité douteuse. On l'oppose à la défense de connivence, ou l'avocat se présente comme étant du même monde que les juges (celui du respect du droit et des personnes), et explique en quoi la société à laquelle lui et le juge appartiennent n'a pas à faire montre de sévérité.

Défense de rupture, oui. Stratégie, sans nul doute. Médiatique ? Peut-être, certains de ces confrères étant effectivement des habitués des caméras. Le fait qu'elle passe mal, je n'en doute pas, et pour ma part, je ne fais pas dans la défense de rupture. Il n'y a nul amour de la juste application de la procédure pénale dans l'attitude de ces confrères, j'en suis certain : ils l'ont utilisé comme un outil. Le maçon a-t-il de l'amour pour sa truelle ? Je ne sais pas, et m'en fiche tant qu'il construit bien sa maison.

Là où notre désaccord est plus marqué, c'est sur le "tout les coups sont permis". Pas du tout, je maintiens que ces avocats n'ont pas fait un incident pour l'incident. Ils veulent la disjonction, et feront tout ce qui est légalement possible pour l'obtenir. La loi ne leur donne aucune voie de droit pour l'obtenir contre l'avis de la présidente. Et bien ils font ce qu'ils peuvent pour empêcher ce procès d'avoir lieu. Et retenteront probablement la même chose si la disjonction n'est pas prononcée. Elle n'est pas déraisonnable vu ce dossier. Elle est conforme à l'intérêt de leur client, fut-il "quasiment indéfendable". Pourquoi ne pas plutôt leur accorder cette demande ? Enfin, sur ma parano, attention : des petits morceaux d'humour sont disséminés dans ce billet. Je pense que personne ne prendra au sérieux mon affirmation sur le fait qu'il y a une vieille tradition judiciaire de rejet systématique des demandes d'avocat ?

Eolas

4. Le jeudi 15 septembre 2005 à 18:24 par Gagarine

@Gascogne
Vous conviendrez tout de même qu'en ce qui concerne les quatre accusés qui ne sont pas concernés par les deux crimes, les avocats n'avaient d'autre choix que de se battre par tout moyen pour que leur client puisse bénéficier d'un procès véritablement "équitable", sans qu'un crime qu'ils n'ont pas commis ne déteigne sur leur peine.

Par ailleurs, en ce qui concerne l'ensemble des accusés (et surtout B&T), le fait de vouloir joindre les deux affaires constituait, de facto, bien plus qu'une simple mesure d'administration de la justice : il s'agissait de s'assurer qu'ils se prennent la perpertuité. Vous conviendrez sans doute également que la manoeuvre de l'AG était assez peu conforme à l'idéal du respect du contradictoire.

C'est normal qu'en retour, les avocats tentent, par tout moyen, de contrecarrer ces manoeuvres. A la guerre comme à la guerre.

Ceci dit, ce n'est effectivement pas une affaire de personnes. C'est le simple résultat du système pénalo-médiatico-judiciaire tel qu'il est conçu, et qui se montre sous des jours particulièrement caricaturaux dans les affaires comme celles-ci (ou comme celle d'Outreau que vous citez par ailleurs).

5. Le jeudi 15 septembre 2005 à 21:28 par Fred

10 000 pages? Vraiment? Qu'à t'on tant à raconter en autant de pages? Je ne suis pas sûr que l'encyclopédie en fasse autant


Tout le monde, même le plus immonde, a droit à un procès équitable, c'est tout l'honneur d'un état de droit. Les avocats ont raison, ils font leur boulot.

6. Le jeudi 15 septembre 2005 à 22:36 par Roland Garcia

"J'ai du mal à concevoir que pour défendre quelqu'un, tous les coups soient permis"

Il est connu que dans les tribunaux la loi fait toujours au moins un mécontent...

7. Le jeudi 15 septembre 2005 à 23:48 par gil

Cette affaire me laisse songeur: si l'on pousse le raisonnement un peu plus loin, il faudrait faire un procès pour chaque accusé, afin que chaque cas puisse être jugé individuellement. Imaginons un cambriolage. Cela se passe mal, l'un des cambrioleur perd son sang froid et tue quelqu'un. Faut-il pour autant disjoindre le cas du receleur, sous prétexte qu'il n'a rien à voir avec le meurtre ?
En clair, cela veut dire que la sentence pour une personne donnée peut dépendre des agissements dont il n'est pas directement responsable, du contexte.

Ce n'est pas très encourageant que la condamnation puisse dépendre du fait que plusieurs affaires soient disjointes ou non.

Dans le même ordre d'idée, les avocats pourraient demander le report de procès sous prétexte que, par exemple, l'actualité du moment soit chargée en faits divers sanglants susceptibles d'influencer les jurés.

Tout cela est inquiétant quant à l'équité des différentes condamnations.

Une fois de plus, le grand public béotien (dont je fais partie) aura eu une bien piètre image des juridictions pénales, dont les sentences varient au gré du temps, du lieu, des disjonctions et des conjonctions, que sais-je encore...


Non, vous vous fourvoyez. Votre exemple n'est pas correct. Le probleme serait que le receleur serait jugé pour recel en même temps que le voleur, qui serait en outre poursuivi pour des faits bien plus graves dans lesquels le receleur n'a pris aucune part. Pour le reste, je suis ravi d'avoir détruit votre illusion que se faire juger à tel endroit, à tel moment ou en tel compagnie est indifférent. L'objectivité de la justice est une dangereuse illusion.

Eolas

8. Le vendredi 16 septembre 2005 à 10:51 par Cobab

Merci Maître de ce décryptage — dans cette affaire comme dans beaucoup d'autres, l'unique conclusion qu'un ignorant du droit peut tirer des articles de la presse est qu'on n'y comprend rien.

Le communiqué de Synergie est savoureux : reprocher aux avocats de développer des « arguties juridico-juridiques »… Certes, un traitement purement administratif serait plus efficace et plus rapide.

Bon, il s'agit d'un syndicat policier. Mais on trouve des idées semblables y compris chez les juges : « « Le juge des libertés se doit d’appliquer la loi avec bon sens et mesure, sans s’égarer dans un juridisme exacerbé qui a conduit certaines civilisations à leur déclin, cf. la civilisation romaine. », argumentait M. Martorano, vice-président du TGI de Marseille, pour balayer une demande de mise en liberté appuyée sur une erreur de procédure. (Lire par exemple ici : (lien supprimé)

9. Le vendredi 16 septembre 2005 à 11:20 par forgeron

je trouve un peu dommage de prendre les jures pour des imbeciles incapables de separer les faits... (pour ce qui concerne les 4 co-prevenus). C'est un principe de precaution un peu deplace (d'un point de vue de citoyen).
Pour Bonnal et son comparse, je ne vois pas comment on peut refuser que quelqu'un soit juge pour l'ensemble de son oeuvre surtout qu'il y a (semble-t-il) comme une continuite.


Un principe de précaution un peu déplacé, hein ? Les jurés savent séparer les faits, hein ? Je me demande ce que Roger Bontemps en dirait, s'il avait encore la tête sur les épaules. Hélas, on l'a coupé en deux, car il a été jugé avec Claude Buffet, qui réclamait la peine de mort, alors que Bontemps, lui, n'avait pas tué.

Alors ce principe de précaution me paraît tout à fait pertinent.

Eolas

10. Le vendredi 16 septembre 2005 à 11:42 par Eugène Etienne

Oui mais, ce qui est incompréhensible, c'est que les deux affaires n'ait pas été jointes avant et instruites par le même juge d'instruction. - Etait-ce impossible ? - Ce qui pose déjà problème d'après ce que je comprends, c'est que la jonction des dossiers se produit tard.

11. Le vendredi 16 septembre 2005 à 15:10 par Gascogne

@ Cobab : je vois qu'on fait dans l'attaque ad hominem, ce qui m'a toujours laissé un peu rêveur, notamment quand on se cache derrière un surnom. Toujours est-il que je ne vois pas très bien où est le problème quand un juge dit qu'il faut appliquer la loi avec bon sens et mesure. L'interprétation textuelle n'a jamais prévalue, et fort heureusement, faute de quoi il y aurait eu foule de condamnation suite à cette rédaction ridicule d'un règlement de chemin de fer : "Il est interdit de descendre ailleurs que dans les gares et lorsque le train est complétement arrêté". Je comprends bien que cette conception peut déplaire à des extrémistes qui souhaiteraient voir leur idéologie s'imposer par le biais des prétoires, mais c'est bien de manière souple que fonctionne notre justice (même si je ne méconnais pas que la loi pénale est d'interprétation stricte).

@Eolas : "Ils feront tout ce qui est légalement possible pour l'obtenir. La loi ne leur donne aucune voie de droit pour l'obtenir contre l'avis de la présidente." Ces deux phrases me paraissent un tantinet paradoxales...C'est bien parceque la loi ne leur donne pas la possibilité de contester la décision de jonction (et que ce soit bien ou non n'est pas la question) que les méthodes utilisées me paraissent contestables, voire "illégales" au sens strict du terme. Sinon c'est la porte ouvert à tous les excès : les OGM ne me conviennent pas, j'ai le droit de violer la loi...

@ Gagarine : d'accord avec vous sur l'aspect hors norme du dossier. Par contre, affirmer que la jonction avait pour but de s'assurer de la perpetuité, je suis beaucoup plus réservé. D'une part, c'est une marque de défiance envers les magistrats, mais pourquoi pas...D'autre part, c'est oublier que Bonnal a déjà bénéficié d'un acquittement, et si je comprends bien, un des deux dossiers pourrait subir ici le même sort en ce qui le concerne.
Enfin, pour la "manoeuvre" de l'avocat général, je ne peux qu'être d'accord avec vous si c'est avéré. Par contre, les copies des dossiers d'Assises étant systématiquement communiquées aux Conseils, j'ai du mal à imaginer, comme cela semblait ressortir de la presse, que la défense ait appris à l'audience la jonction des deux dossiers. Je reste persuadé que cette jonction était connue à l'avance, et que nous sommes devant un coup médiatique comme on en voit de plus en plus souvent. Et ceci me paraît en contradiction avec une justice sereine. Mais ça n'est qu'un point de vue.


C'est paradoxal mais pas contradictoire. C'est parfois le travail d'un avocat d'obtenir un résultat par des voies légales détournées. Détournées, mais légales. Si parce que la loi ne vous permet pas de contester une décision vous renoncez à tenter d'y faire échec, vous n'êtes pas fait pour être avocat, assurément... Cela n'a rien à voir avec la démarche de "je respecte la loi quand ça m'arrange". L'avocat respecte la loi. Un exemple tout bête : un avocat fait opposition à une ordonnance pénale rendue sur des faits avérés et incontestable. Il fait en sorte d'obtenir un renvoi de la première audience voire de la deuxième. Finalement, à l'audience, il se désiste de l'opposition. Un recours inutile ? Et non : ce délai a permis à son client d'effectuer un stage de conduite qui lui évitera la perte du permis. La loi ne permet pas au conducteur contrevenant de solliciter un délai avant la perte de point. Le droit d'opposition n'est pas fait pour différer une sanction administrative. Mais cet avocat a, par des voies de droit, évité l'annulation du permis de son client. Comble de l'immoralité : il va être payé pour cela.

Sur cette audience, d'après ce que j'ai lu, ce n'est pas deux jours avant l'audience que les avocats ont appris la jonction, mais deux mois (en juillet). Mais la disjonction devait être sollicitée de la présidente de la cour. Ce sont les dossiers liés à l'instruction à laquelle leurs clients n'étaient pas partie qui leur auraient été communiqués in extremis.

Eolas

12. Le vendredi 16 septembre 2005 à 15:16 par Gascogne

Petit PS pour Me EOLAS : j'avais bien compris qu'il s'agissait d'humour (je suis soupe au lait, mais quand même). Je me suis autocensuré sur le smiley, puisque vous m'aviez indiqué lors d'une de mes premières interventions sur votre blog que ce n'était pas votre truc : je respecte le Me de maison...

13. Le vendredi 16 septembre 2005 à 16:12 par Moi

Gil pose, à mon sens, une question essentielle, qui n'a probablement pas de solution.

La justice n'est pas froide et objective, puisqu'elle est humaine. Elle est donc soumise à l'erreur. Il est inconcevable que l'on puisse penser que trois magistrats professionnels et des jurés non juristes mais surtout non familiers du rituel judiciaire, ne fassent pas, sans le savoir ou en le sachant, le grand écart entre la réalité et la connaissance qu'ils sont censés en avoir.

La question qui se pose est la suivante : les juges doivent-ils dire la vérité, ou doivent-ils seulement donner le sentiment d'avoir dit la vérité ?
assimiler les détails, la chronologie d'une affaire complexe, et la personnalité de ses intervenants, sans y mêler « l'actualité du moment » (expression journalistique) est, disons-le, impossible.

la démocratie doit être dotée d'un système judiciaire qui donne l'apparence de fonctionner, et ce au nom de l'ordre public. Et l'apparence, ce n'est pas la réalité.

D'un autre côté, hormis une justice dotée de davantage de moyens -- ce qui ne serait pas un luxe -- que peut-on espérer d'autre ?

14. Le vendredi 16 septembre 2005 à 16:42 par Cobab

Avec mes plus plates excuses à notre hôte pour l'incorrection d'un pugilat privé en sa demeure.

@Gascogne : on croirait que j'ai parlé de vous… Pour ce qui est de l'attaque _ad hominem_ : ces propos ont été tenus en public, par une personne nommée — je ne me vois pas les citer sans préciser d'où ils viennent, je ne vois pas non plus affirmer « dans le vide » qu'il y a des cas où on fait bon marché de la loi. Pour ce qui est de se « cacher », apprenez que « Cobab » est beaucoup plus un surnom qu'un pseudonyme, que je le porte plus ou moins bien depuis le lycée, et qu'il ne me sert absolument à me cacher. Une simple requête « Whois » sur mon nom de domaine vous donnera mon nom et mon adresse — je mets d'ailleurs exceptionnellement mon adresse électronique « officielle » pour vous éviter cet effort, en espérant que ça ne vaudra pas trop de spam (c'est que ce site est à juste titre très fréquenté). Vous-même d'ailleurs êtes derrière un pseudonyme, non accompagné d'une simple adresse mail, et n'avez guère de scrupules à ce genre d'attaques…

Maintenant sur _votre_ attaque _ad hominem_ : Je ne vois de quelle idéologie vous voulez parler — si vous avez une idée précise, je suis preneur… à moins que « respecter les droits des personnes » ne constitue une idéologie, auquel cas je l'assume avec fierté. Je ne vois pas non plus en quoi discuter ici ou ailleurs de ce qui se passe dans les prétoires peut être assimilé à « souhaiter[] voir [son] idéologie s'imposer par le biais des prétoires » — puisque précisément nous ne sommes pas dans un prétoire, et qu'il s'agit de lieux dans lesquels je n'ai strictement aucun pouvoir.

Sur le fond : Vorte assimilation est de la pure mauvaise foi. il ne s'agit pas ici d'un loi ou d'un réglement mal formulé, comme <a href=maitre.eolas.free.fr/jour... cas existe</a>, et comme vous donnez un exemple particulièrement savoureux dont je vous remercie au passage, mais bien d'une loi parfaitement formulée, offrant malgré tout encore* quelques garanties au justiciables ; et en l'espèce, ce sont justement et comme par hasard ces garanties dont l'application est jugée « d'un juridisme excessif » — au nom d'un raisonnement sur le déclin des civilisations dont le moins qu'on puisse dire est qu'il n'est pas d'un juridisme excessif…

15. Le vendredi 16 septembre 2005 à 16:55 par Cobab

Pour en revenir au Chinois. Gascogne écrit : « c'est oublier que Bonnal a déjà bénéficié d'un acquittement, et si je comprends bien, un des deux dossiers pourrait subir ici le même sort en ce qui le concerne. »

Question d'un ignorant : Est-ce possible si les deux dossiers sont joints ? Si oui, comme je le subodore, la jonction n'a-t-elle finalement qu'un effet, disons, « d'ambiance » sur le déroulement du procès ? Ou bien n'ai-je rien compris ? (je connais la réponse à la dernière question.)

*(note du commentaire précédent : de vrais morceaux d'humour lourdingue, etc.)

16. Le vendredi 16 septembre 2005 à 17:02 par Cobab

@Moi : je pense en effet que c'est une contradiction indépassable, inhérente à l'existence même du droit ou de l'institution judiciaire — les deux seuls moyens d'éviter cela étant la peine automatique et la peine arbitraire (ou bien entendu la justice privée, c.-à-d. l'absence de justice).

17. Le vendredi 16 septembre 2005 à 17:25 par Me correcteur

Est-ce qu'il n'y aurait pas une faute de frappe dans votre commentaire??

Je cite:
"Les avocats demandent alors un délai pour étudier le dossier du Plessis-Trévise. Même si cet examen n'est pas absolument indispensable (leurs clients n'étant pas poursuivis pour ces faits là) (...)"

Quand vous dites "Les avocats" il s'agit bien des "avocats des quatre autres accusés" qui ne sont poursuivis que pour l'affaire du Plessis-Trévise. Dans ce cas là, pkoi dire que "cet examen n'est pas absolument indispensable (leurs clients n'étant pas poursuivis pour ces faits là)"
De toute façon, les 6 accusés sont poursuivis au minimum pour l'affaire du Plessis; seuls Bonnal et Titi sont poursuivis en plus pour l'affaire d'Athis-Mons.


Bref, soit j'ai mal compris, soit vous avez fait une faute de frapppe (vous voulier sans doute dite que ""Les avocats demandent alors un délai pour étudier le dossier d'Athis-Mons.")


Merci de m'éclairer


Absolument, je me suis emboruillé dans ma géographie francilienne. Je rectifie.

Eolas

18. Le vendredi 16 septembre 2005 à 17:48 par Gascogne

@ Cobab : merci pour la mauvaise foi, mais visiblement, mon explication n'a pas été bien comprise...vous semblez nier au juge le droit d'interpréter la loi. Ce droit existe pourtant bien, il s'appelle jurisprudence et s'exerce sous le contrôle des voies de recours. Critiquer un JLD qui expose "publiquement" que la loi doit s'appliquer avec bon sens et mesure me paraît donc pour le moins étonnant sauf à souhaiter que le juge n'ai pas ce pouvoir. C'est ce que veut un certain Nicolas S. lorsqu'il met en place un projet de loi sur la récidive, avec des peines plancher.
Quant à ce que j'ai pu écrire sur les extrémismes idéologiques, il s'agissait non pas de votre texte mais du lien que vous y ajouter à titre d'exemple.
PS : rassurez-vous, je suis trop respectueux de la loi pour spamer qui que ce soit.


Je rejoins Gascogne sur la critique du ton virulent du billet que vous avez lié (j'ai d'ailleurs surpprimé ce lien), ce billet franchissant à mon sens la limite de l'outrage à magistrat, quand bien même les motifs des décisions rapportées, s'ils sont exacts, me semblent eux même critiquables. Car ils sont critiquables respectueusement.

Eolas

19. Le vendredi 16 septembre 2005 à 22:56 par Roland Garcia

@Eolas "C'est parfois le travail d'un avocat d'obtenir un résultat par des voies légales détournées. Détournées, mais légales."

Chez un fiscaliste c'est même un sport :)

20. Le lundi 19 septembre 2005 à 08:46 par forgeron

@eolas Si j'en crois la "biographie" de Mr Bontems" trouvee sur Wikipedia, il a paye sa
"complicite active". En dehors de la peine de mort en elle meme, je ne vois pas ce qu'il y a de choquant. Un complice n'encourt-il pas en general la meme peine que l'auteur des faits?


Par encourir la même peine, il faut comprendre que le maximum légal est fixé par l'infraction principale. Pas qu'il doit être condamné à la même peine que l'auteur principal. En l'occurence, Buffet avait tué le gardien et l'infirmière. Si Bontems l'avait aidé à perpétrer cette séquestration, il n'a pris aucune part dans l'action homicide. Dès lors, le condamner à la même peine que Buffet, qui lui réclamait la peine de mort, c'est nier la personnalisation de la peine. C'est refuser d'apprécier le comportement de l'accusé pour fixer la sanction. Ce n'est pas faire œuvre de justice.

Eolas

21. Le lundi 19 septembre 2005 à 09:43 par bambino

en tout cas, éolas, dans l'éventualité ou vous auriez récupéré ce dossier (par exemple en vous trouvant dans la salle d'audience au moment innoportun) je vois mal comment vous auriez pu eviter la prison ferme a votre client cette fois.


Sans présumer d'un dossier que je ne connais pas et en respectant la présomption d'innocence dont doit bénéficier Jean-Claude Bonnal, je pense qu'effectivement, une peine ferme est très probable s'il est reconnu coupable. L'enjeu n'est pas là pour les avocats de la défense. Il s'agit plutôt d'éviter une peine de perpétuité, et obtenir une peine à temps (x années de réclusion) qui lui donne une certaine garantie de recouvrer la liberté un jour. D'où ce baroud : le procès tel qu'il était organisé rendait encore plus difficile cet objectif. Quand quelqu'un risque fort d'être condamné à la peine maximale, il n'est pas anormal de respecter les drotis de la défense avec un certain zèle.

Eolas

22. Le lundi 26 décembre 2005 à 12:23 par cémoi

pour info, Bonnal a été acquitté dans l'affaire qui a donnée lieu à sa mise en liberté par la chambre d'accusation (nom de la chambre de l'instruction de l'époque).
La polémique savamment orchestrée par la police avait valu quelques ennuis à un grand magistrat de cette juridiction; on regrette encore son départ.

23. Le vendredi 20 janvier 2006 à 19:07 par Nycholson



Pour ce qui est de Bontemps et Buffet, je recommande à forgeron de lire " L'exécution" puis "L'abolition" qui relate le combat de l'avocat Me Badinter, ex ministre de justice, d'abord simplement contre la peine de mort puis devenu par la mort de buffet qui navait pas tué, abolitionniste convaincu. Outre le fait qu'il est plus détaillé que le wikipédia, c'est aussi comprendre un peu mieux le déséquilibre d'un procès en assise, entre la partie civile et la défense, et le travail énorme de l'avocat de la défense.



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