La loi Perben 2 est-elle buguée ?
Par Eolas le jeudi 8 septembre 2005 à 13:50 :: Actualité du droit :: Lien permanent
Le Canard Enchaîné a soulevé récemment ce qu'il pense être un lièvre dans la désormais célèbre loi Perben 2. Le législateur s'est en effet emmêlé les pinceaux, la question étant : quelles en seront les conséquences ?
Potentiellement, elles sont en effet explosives.
Alors, de quoi s'agit-il ?
La loi Perben 2 était une loi réformant en profondeur le procédure pénale. Tous les aspects étaient concernés : de l'enquête de police à l'exécution des peines de prison, en passant par la procédure d'audience.
Cette fois, c'est le volet sur l'exécution des peines qui est en cause. Nous sommes dans l'hypothèse où une personne a été condamnée à de la prison ferme, et la condamnation est devenue définitive, c'est à dire qu'elle n'est plus susceptible de recours, soit que l'appel ait été rejeté, soit que le délai pour former ce recours se soit écoulé.
La loi Perben 2 a modifié le système des réductions de peine. L'ancien système prévoyait des réductions de peine, dites "pour bonne conduite", qui étaient accordées régulièrement par le juge d'application des peines. Ces réductions étaient en principe facultatives et subordonnées à la bonne conduite effective du condamné. Avec le temps, ces réductions sont devenues quasiment systématiques au point d'être considérées comme un droit par le prévenu.
La loi en a pris acte et a simplifié le système pour soulager les juges d'application des peines (JAP). Désormais, chaque détenu a un crédit de réduction de peine, qui peut se voir diminuer ou supprimé en cas de mauvaise conduite du détenu. L'idée est donc simple : plutôt que d'obliger les JAP à rendre des brouettes de décisions de réductions de peine, ces réductions jouent toutes seules, sauf si le JAP prend une décision les diminuant ou les supprimant.
Ces réductions de peine sont inchangées : trois mois pour la première année, deux mois pour les années suivantes, et pour les peines inférieures à une année, sept jours par mois.
Jusque là rien à dire.
Sauf que.
Sauf qu'en changeant la rédaction de l'alinéa 1er de l'article 721 du Code de procédure pénale, le législateur a oublié les mots "pour une durée d'incarcération moindre" après la mention des sept jours par mois.
En conséquence, une lecture littérale de la loi aboutit à accorder une réduction de peine de trois mois pour la première année, deux mois pour la suivante, et en plus, 7 jours par mois.
La conséquence est de taille.
Supposons qu'un de mes clients soit condamné (cela suppose un très gros effort d'imagination, je sais) à trois ans de prison. Il est incarcéré le 1er janvier 2005. Date de sortie : 1er janvier 2008.
Avec les réductions de peines normales, sa date de sortie sera rapprochée de trois mois pour sa première année de prison (soit le 1er octobre 2007), puis de deux mois pour les deux années suivantes, soit une libération le 1er juin 2007.
Mais avec l'application supplémentaire des 7 jours par mois, il bénéficiera d'une réduction de peine de 36 semaines ; soit une libération le 25 septembre 2006. La loi Perben serait donc incroyablement favorable aux détenus, ce qui n'était par l'intention du ministre lui ayant donné son nom. Vous imaginez comme le Canard se délecte de l'ironie de la chose.
Alors, vrai lièvre ou coquecigrue ?
Hélas, au risque de frustrer les lecteurs m'ayant demandé mon opinion, je suis bien en peine (c'est le cas de le dire) de vous répondre avec certitude. Le droit de l'exécution des peines m'est largement inconnu, le rôle des avocats cessant souvent lors que la condamnation devient définitive. Ce droit est passé récemment d'un droit purement administratif à un droit juridictionnel, où les décisions sont prises à l'issue d'une audience où le condamné peut faire valoir sa défense, assisté d'un avocat s'il le souhaite.
Or le fait est qu'ils le souhaitent peu. Reconnaissons qu'avec un système de réduction quasi automatique, l'avocat n'est pas systématiquement indispensable. Seuls les cas les plus délicats, les condamnés à des peines perpétuelles par exemple, nécessitent l'assistance d'un conseil. Les cabinets des JAP me sont donc inconnus, et mon expérience professionnelle ne m'est d'aucun secours pour vous éclairer.
Cependant, j'ai pu constater que les juridictions ne tournent pas sous Windows : quand il y a un bug, elles ne plantent pas pour autant. Les juges n'ont pas d'hésitation à rendre à la loi le sens qu'a voulu lui donner le législateur, même quand il dit le contraire de ce qu'il a voulu exprimer. Là, je parle d'expérience.
Il est parfaitement loisible à un JAP de lire
Chaque condamné bénéficie d'un crédit de réduction de peine calculé sur la durée de la condamnation prononcée à hauteur de trois mois pour la première année, de deux mois pour les années suivantes et de sept jours par mois.
comme signifiant "sept jours par mois pour les durées d'incarcération moindre". La cour d'appel confirmera sans hésiter. Et j'imagine sans peine la cour de cassation balayer le premier pourvoi fait sur ce thème par un lapidaire "Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait une exacte application du texte susvisé".
Le Canard a tout à fait raison de pointer du doigt les incuries du législateur. Mais il se méprend sur la soumission des juges au sens littéral de la loi.
L'avenir dira si je me trompe.
Commentaires
1. Le jeudi 8 septembre 2005 à 14:51 par Gagarine
2. Le jeudi 8 septembre 2005 à 15:31 par francesco
3. Le jeudi 8 septembre 2005 à 15:38 par Ju.
4. Le jeudi 8 septembre 2005 à 16:00 par Cédric
5. Le jeudi 8 septembre 2005 à 16:00 par carpediem
6. Le jeudi 8 septembre 2005 à 20:25 par Cobab
7. Le vendredi 9 septembre 2005 à 11:07 par Coujou
8. Le vendredi 9 septembre 2005 à 14:55 par xilun
9. Le vendredi 9 septembre 2005 à 16:17 par rouge
10. Le vendredi 9 septembre 2005 à 17:55 par xilun
11. Le vendredi 9 septembre 2005 à 22:27 par gerard
12. Le dimanche 25 septembre 2005 à 08:54 par argil
13. Le samedi 1 octobre 2005 à 10:52 par Msipi
14. Le lundi 17 octobre 2005 à 11:08 par NAIMA13
15. Le dimanche 30 octobre 2005 à 19:19 par vaness
16. Le mardi 1 novembre 2005 à 11:31 par yves