Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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La loi Perben 2 est-elle buguée ?

Le Canard Enchaîné a soulevé récemment ce qu'il pense être un lièvre dans la désormais célèbre loi Perben 2. Le législateur s'est en effet emmêlé les pinceaux, la question étant : quelles en seront les conséquences ?

Potentiellement, elles sont en effet explosives.

Alors, de quoi s'agit-il ?

La loi Perben 2 était une loi réformant en profondeur le procédure pénale. Tous les aspects étaient concernés : de l'enquête de police à l'exécution des peines de prison, en passant par la procédure d'audience.

Cette fois, c'est le volet sur l'exécution des peines qui est en cause. Nous sommes dans l'hypothèse où une personne a été condamnée à de la prison ferme, et la condamnation est devenue définitive, c'est à dire qu'elle n'est plus susceptible de recours, soit que l'appel ait été rejeté, soit que le délai pour former ce recours se soit écoulé.

La loi Perben 2 a modifié le système des réductions de peine. L'ancien système prévoyait des réductions de peine, dites "pour bonne conduite", qui étaient accordées régulièrement par le juge d'application des peines. Ces réductions étaient en principe facultatives et subordonnées à la bonne conduite effective du condamné. Avec le temps, ces réductions sont devenues quasiment systématiques au point d'être considérées comme un droit par le prévenu.

La loi en a pris acte et a simplifié le système pour soulager les juges d'application des peines (JAP). Désormais, chaque détenu a un crédit de réduction de peine, qui peut se voir diminuer ou supprimé en cas de mauvaise conduite du détenu. L'idée est donc simple : plutôt que d'obliger les JAP à rendre des brouettes de décisions de réductions de peine, ces réductions jouent toutes seules, sauf si le JAP prend une décision les diminuant ou les supprimant.

Ces réductions de peine sont inchangées : trois mois pour la première année, deux mois pour les années suivantes, et pour les peines inférieures à une année, sept jours par mois.

Jusque là rien à dire.

Sauf que.

Sauf qu'en changeant la rédaction de l'alinéa 1er de l'article 721 du Code de procédure pénale, le législateur a oublié les mots "pour une durée d'incarcération moindre" après la mention des sept jours par mois.

En conséquence, une lecture littérale de la loi aboutit à accorder une réduction de peine de trois mois pour la première année, deux mois pour la suivante, et en plus, 7 jours par mois.

La conséquence est de taille.

Supposons qu'un de mes clients soit condamné (cela suppose un très gros effort d'imagination, je sais) à trois ans de prison. Il est incarcéré le 1er janvier 2005. Date de sortie : 1er janvier 2008.

Avec les réductions de peines normales, sa date de sortie sera rapprochée de trois mois pour sa première année de prison (soit le 1er octobre 2007), puis de deux mois pour les deux années suivantes, soit une libération le 1er juin 2007.

Mais avec l'application supplémentaire des 7 jours par mois, il bénéficiera d'une réduction de peine de 36 semaines ; soit une libération le 25 septembre 2006. La loi Perben serait donc incroyablement favorable aux détenus, ce qui n'était par l'intention du ministre lui ayant donné son nom. Vous imaginez comme le Canard se délecte de l'ironie de la chose.

Alors, vrai lièvre ou coquecigrue ?

Hélas, au risque de frustrer les lecteurs m'ayant demandé mon opinion, je suis bien en peine (c'est le cas de le dire) de vous répondre avec certitude. Le droit de l'exécution des peines m'est largement inconnu, le rôle des avocats cessant souvent lors que la condamnation devient définitive. Ce droit est passé récemment d'un droit purement administratif à un droit juridictionnel, où les décisions sont prises à l'issue d'une audience où le condamné peut faire valoir sa défense, assisté d'un avocat s'il le souhaite.

Or le fait est qu'ils le souhaitent peu. Reconnaissons qu'avec un système de réduction quasi automatique, l'avocat n'est pas systématiquement indispensable. Seuls les cas les plus délicats, les condamnés à des peines perpétuelles par exemple, nécessitent l'assistance d'un conseil. Les cabinets des JAP me sont donc inconnus, et mon expérience professionnelle ne m'est d'aucun secours pour vous éclairer.

Cependant, j'ai pu constater que les juridictions ne tournent pas sous Windows : quand il y a un bug, elles ne plantent pas pour autant. Les juges n'ont pas d'hésitation à rendre à la loi le sens qu'a voulu lui donner le législateur, même quand il dit le contraire de ce qu'il a voulu exprimer. Là, je parle d'expérience.

Il est parfaitement loisible à un JAP de lire

Chaque condamné bénéficie d'un crédit de réduction de peine calculé sur la durée de la condamnation prononcée à hauteur de trois mois pour la première année, de deux mois pour les années suivantes et de sept jours par mois.

comme signifiant "sept jours par mois pour les durées d'incarcération moindre". La cour d'appel confirmera sans hésiter. Et j'imagine sans peine la cour de cassation balayer le premier pourvoi fait sur ce thème par un lapidaire "Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait une exacte application du texte susvisé".

Le Canard a tout à fait raison de pointer du doigt les incuries du législateur. Mais il se méprend sur la soumission des juges au sens littéral de la loi.

L'avenir dira si je me trompe.

Commentaires

1. Le jeudi 8 septembre 2005 à 14:51 par Gagarine

Je suis du même avis que vous sur la loi perben II.

Une question cependant : comment se fait-il que l'avocat n'interviennent pas devant le JAP ? N'y a-t-il pas d'AJ pour cette intervention ?

C'est d'autant plus étonnant que c'est probablement le juge pénal qui a le plus de pouvoir : si j'ai bien compris, il peut, tout seul, décider d'aménager des peines jusqu'à les faire quasiment disparaître, à tel point que des juges correctionnels prononcent des peines fermes - plutôt que des peines avec SME - dans l'idée qu'elle sera plus facilement aménagée par le JAP et ce de manière drastique (on en voit régulièrement des exemples dans les comptes rendus d'audience de Libé).

On peut dire que l'auteur d'une infraction est jugé deux fois : une première fois pour le "spectacle" devant le tribunal correctionnel ou le jury d'assise, une seconde fois dans l'intérêt d'une bonne gestion du système pénal, par le JAP.

2. Le jeudi 8 septembre 2005 à 15:31 par francesco

Un condamné à 30 mois de prison va-t-il bénéficier d'une réduction de
- 5 mois (lecture litérale de la correction proposée par Maître Eolas)
- 5 mois et 42 jours (en corrigeant par "et de 7 jours pour chaque autre mois")
- 5 mois et 210 jours (lecture souhaitée par le détenu) ?

Une autre difficulté d'interprétation: quand des durées calendaires sont exprimées en années, mois et jour, la date finale dépend de l'ordre. Exemple: 1 mois et 1 jour après le 28 février 2005, c'est le 29 mars 2005; mais 1 jour et 1 mois après le 28 février 2005, c'est le 1er avril 2005. Et 3 jours de détention, ce n'est surement pas rien.

Enfin et surtout, il ne me semble pas clair si ces délais sont comptés pour chaque peine, ou pour le cumul des peines prononcées. Et cela change beaucoup.

3. Le jeudi 8 septembre 2005 à 15:38 par Ju.

D'aprés le Canard Enchainé de cette semaine, les juges ont commencé à se manifester quant à cette loi... (Page 4 édition du 7 Septembre 2005) :

"L'Association des juges de l'application des peines, qui s'est déjà penchée sur la question, considère, comme le ministère de la Justice, qu'il n'y a pas lieu de tenir compte d'une erreur de plume."



Note : En espérant que ce cours extrait ne déborde pas le droit de citation...

4. Le jeudi 8 septembre 2005 à 16:00 par Cédric

D'accord avec vous, les juges sont des gens sensés, qui savent interpréter une loi avec raison.
Mais, s'agissant ici d'un texte touchant aux libertés, peuvent-ils s'affranchir de la règle selon laquelle de tels textes sont d'interprétation stricte ? J'en doute...
Pour compléter le commentaire de Ju ci-dessus, la fin de l'article du Canard de cette semaine indique que le Garde des Sceaux compte soumettre au Parlement un correctif de la loi, ce qui, si l'on peut interpréter largement :-) , en dit long...

5. Le jeudi 8 septembre 2005 à 16:00 par carpediem

Effectivement, il paraît bien improbable que les juges d'application des peines se laissent impressionner par l'erreur de plume du législateur (on devrait d'ailleurs plutôt parler d'erreur de "copier-coller" dans ce cas particulier).
Ce "bogue" révèle en tout cas une nouvelle fois toute la rigueur (?) dont fait preuve notre inépuisable machine à fabriquer des lois : souvenez-vous de l'abrogation "par mégarde", en 2001, du texte fondant la compétence des tribunaux de commerce...
Il n'y a plus qu'à attendre un prochain "cavalier législatif" (non, ce n'est pas un garde républicain à cheval) qui se chargera de réparer ce bête oubli dans la loi dite Perben II... En attendant, ce petit dysfonctionnement, dans un texte avant tout ultra-répressif, m'a bien fait rire.
PS : Un autre article du "Canard" de cette semaine, pointant d'un doigt accusateur de supposées "affrosités" de la justice, me paraît empreint - sauf dans deux cas, le premier et le dernier - de la même insuffisante rigueur journalistique que celle que vous reprochiez voici peu à Libération !

6. Le jeudi 8 septembre 2005 à 20:25 par Cobab

peut-on espérercompter sur ce même souci de s'affranchir des fautes de frappes du législateur concernant l'application du forfait-jour à _tous_ les salariés, non plus seulement aux cadres et itinérants ?

7. Le vendredi 9 septembre 2005 à 11:07 par Coujou

C'est toujours tentant pour un journal de profiter de domaines hermétiques comme les nouvelles technologies ou la justice pour faire de la libre interprétation (encore que l'hermétisme que monde judiciaire soit en voie de disparition grace à ce blog).

Dans la catégorie, "on fait peur au quidam", en lisant un article de Libé je tombe sur ça : "[Que dire] des blogs qui laissent les victimes sans défense faute de législation adaptée à l'Internet ?". (www.liberation.fr/page.ph...

8. Le vendredi 9 septembre 2005 à 14:55 par xilun

Et si on veut respecter la loi, on est censé en connaitre et comprendre tous les bugs et autres omissions aussi ?
Ca me parait bizarre cette habitude de "rectifier" les lois, sur la base de quoi d'abord ?
Moi je dis qu'on devrait réécrire tous les codes de manière formelle avec des quantificateurs et en langage mathématique ;))

9. Le vendredi 9 septembre 2005 à 16:17 par rouge

C'est marrant, cette proposition de Xilun! Je ne voudrais pas abuser de votre précieux (et déjà si généreusement utilisé) temps, cher Maître, mais auriez-vous souvenir d'un essai ou recherche de formalisation du langage juridique - passé ou présent, concret ou utopique - qui ait retenu particulièrement votre attention? Un nom, une source, quelque chose? Xilun?... Ca ne vous est pas venu tout seul, cette suggestion comico-informatique?... Me gourrè-je?

10. Le vendredi 9 septembre 2005 à 17:55 par xilun

rouge: Si ça m'est venu tout seul :) Il faut dire que j'en ai tellement marre des approximations que j'entend a longueur de journée dans tous les domaines (quand ce n'est pas moi qui les fait bien sûr ;) ) que j'ai de furieuses envies de tout formaliser.
Néanmoins je doute fortement que de tenter de le faire réellement pour les textes de lois soit une brillante idée... De toute manière il y aurait à un moment où à un autre necessité d'utiliser le langage courant ne serait-ce que pour décrire les objets sur lesquels on travaillera, donc on retombe sur des ambiguités et interprétations à moins de formaliser aussi le français et la pensée, ce qui est un très vaste programme ... :P

11. Le vendredi 9 septembre 2005 à 22:27 par gerard

Si le Parlement 'corrige' la loi, ça vaut reconnaissance légale que la loi sous sa forme actuelle dit bien ce qu'elle semble dire, non ?
Et dans ce cas, la loi actuelle devrait s'appliquer aux procédures engagées avant le changement : les lois plus favorables s'appliquent il me semble (à moins que ce cas de figure ne joue que pour les prévenus et non les personnes condamnées ?)

12. Le dimanche 25 septembre 2005 à 08:54 par argil

par ex une personne condamé en 1999 pour 20 ans fenificiant des 3+2 est elle concerner par cette réforme, car depuis 2 ans , les grace du 14 juillet, ne les concernent pas, sinon quand sortira t elle merci

13. Le samedi 1 octobre 2005 à 10:52 par Msipi

Voilà qui devrait faire réagir...

www.lemonde.fr/web/articl...

Bon we.

14. Le lundi 17 octobre 2005 à 11:08 par NAIMA13

j'aimerai savoir si lal loi perben2 concene les detenus non-jugés.


Je suppose que vous parlez de ce "bug" en particulier. La réponse est non, puisque par définition, ils n'ont pas de peine à purger.

Eolas

15. Le dimanche 30 octobre 2005 à 19:19 par vaness

cet loi est elle applicable pour les prisonniers ayant commis des trafics de stupefiant

16. Le mardi 1 novembre 2005 à 11:31 par yves

«Sauf qu'en changeant la rédaction de l'alinéa 1er de l'article 721 du Code de procédure pénale, le législateur a oublié les mots "pour une durée d'incarcération moindre" après la mention des sept jours par mois.»

Disons plutôt que le législateur a enlevé cette mention. Je ne vois vraiment pas ce qui autorise un juge à l'y remettre sous le fallacieux prétexte d'interprétation, puisque faisant cela il va très précisément à l'encontre de ce qu'à fait sciemment le législateur.

Si le législateur a enlevé cette mention, c'est évidement qu'il n'a pas voulu de la limitation qu'elle imposait. Je ne comprends vraiment pas pourquoi ces juges disent le contraire. Parce qu'ils ont peur d'être taxés de laxistes? Parce que leur carrière dépend de leur degré d'obéïssance au parquet?


Ne soyez pas ridicule. La carrière des juges ne dépend absolument pas de leur degré d'obéissance au parquet. Le législateur n'a PAS sciemment enlevé ces mots. Ils ont disparu accidentellement au cours des débats parlementaires, mais la lecture de ceux ci (s'il y a un journal officiel des débats parlementaires, c'est aussi pour les situations comme ça) montre que le législateur n'a pas voulu accorder une telle réduction de peine au détenu, bien au contraire, l'ambiance des débats étant uniquement à une aggravation de la répression.

Eolas

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