Propositions de réformes
Par Eolas le mercredi 31 août 2005 à 10:48 :: Actualité du droit :: Lien permanent
Paxatagore fait état dans un billet des propositions du parti socialiste en matière de justice, relayant l'info donnée par Bloghorrée.
Même s'il y a loin de la coupe aux lèvres, le parti socialiste n'étant pas encore de retour aux affaires et étant bien parti pour mettre fin à 26 ans pendant lesquels le parti au pouvoir a systématiquement perdu les élections générales (les mauvais journalistes politiques dirons élections législatives, ce qui est absurde, on n'élit pas la loi), il est intéressant de voir quelles propositions fait le principal parti d'opposition, tenu par ce statut à des propositions originales et crédibles.
Ces propositions sont au nombre de trois .
- la suppression du monopole des huissiers pour la signification des décisions de justice, qui seraient simplement remplacées par des lettres recommandées AR.
- la suppression de l'avocat postulant ;
- la suppression de la charge d’avoué à la cour d’appel. En revanche, la charge d'avocat au conseil d'Etat et à la cour de cassation serait maintenue.
Il ne s'agit pas de propositions anodines, mais elles doivent laisser de marbre nombre de citoyens qui n'en comprendront pas la signification.
- La suppression du monopole des huissiers en matière de signification.
Ça commence mal, l'information est mal présentée. Ce n'est pas le monopole qui est concerné, mais l'obligation de faire signifier par huissier. Nul autre qu'un huissier ne pourra signifier un acte, mais ce passage ne sera plus obligé.
Explications : les actes de justice étant importants et lourds de conséquence, il est important, pour des raisons d'équité, que le juge sache si les parties ont été informées et ont pu réagir en temps utile. On charge donc un huissier de les signifier, c'est à dire de faire toute diligence pour les porter à la connaissance de la personne concernée.
La signification concerne deux actes, au début et à la fin de la procédure : la convocation devant le tribunal (assignation au civil, citation au pénal) et le jugement une fois qu'il a été rendu, pour faire courir les délais d'appel.
Quelle différence entre une signification et une lettre recommandée ?
D'abord, le coût. Une lettre recommandée coûte 4,30 euros, une signification 60 à 150 euros. C'est ce qui motive la réforme ; on peut même avancer que la réflexion des impétrants législateurs s'est arrêtée là.
Parce que la seconde différence, c'est l'efficacité. Le facteur sonne chez le destinataire, s'il n'est pas là laisse un avis de passage et au bout de quinze jours renvoie la lettre recommandée comme non réclamée. L'huissier doit tout faire pour remettre l'acte en mains propres : il est même mieux payé s'il y parvient. Si le destinataire n'est pas là, il doit s'assurer que le domicile de la personne est bien là, en interrogeant les voisins et le gardien. Si le domicile lui est confirmé, mais que personne n'accepte de recevoir l'acte pour le destinataire, l'huissier laisse un avis de passage dans la boite aux lettres, va déposer l'original de l'acte à la mairie où l'acte sera tenu à la disposition de l'intéressé, et lui en enverra une copie par lettre recommandée. Il dressera un procès verbal relatant les diligences qu'il a effectuées afin que le juge puisse constater que le destinataire n'a décidément aucune excuse pour ne pas réagir. Une simple lettre recommandée ne donne pas ces informations.
Songez qu'un jugement, une fois les délais d'appel écoulés, ne peut plus être remis en cause, sauf motifs exceptionnels par le biais d'une procédure difficile et coûteuse. Est il de bonne justice de faire courir un risque au défendeur d'être condamné sans avoir pu se défendre pour faire économiser 55 à 145 euros au demandeur, sachant que ces coûts sont automatiquement mis à la charge de la personne qui perd le procès ?
Je suis très dubitatif pour la question, en tout cas pour l'acte mettant en route la procédure (assignation ou citation). S'agissant de la signification de la décision, là, je suis plus ouvert. On peut s'inspirer des règles de la procédure pénale (l'Etat s'étant depuis longtemps affranchi de cette obligation de signifier systématiquement y compris quand des peines de prison sont prononcées, la signification étant devenue l'exception...), et ne rendre cette signification obligatoire que dans le cas où le défendeur n'a pas comparu et que le jugement a été rendu sur les seuls éléments produits par le demandeur. Mais soyons clairs : cela ne couvrirait que 5% des procédures, maximum. Généralement, quand je plaide, j'ai quelqu'un en face.
Comme dirait mon oncle William : Much ado about nothing.
- La suppression de l'avocat postulant.
Ha, je sens l'intérêt grimper et les accusations de corporatisme prêtes à jaillir. Rangez les : je n'ai rien contre le principe, à condition qu'on m'explique les modalités concrètes.
Explications : devant le tribunal de grande instance, la représentation par avocat est obligatoire. Vous n'avez pas le choix : même si vous venez en personne à l'audience, le juge refusera de vous entendre et vous serez considéré comme absent. Mais n'importe quel avocat ne peut pas vous représenter devant le tribunal : ce doit être un avocat inscrit au barreau local. Pas de problème si votre avocat est du bon barreau : il vous représentera ET plaidera, c'est à dire s'occupera de l'argumentation juridique sur le litige vous concernant. Par contre, si on vous fait un procès loin du barreau de votre avocat, soit vous en prenez un du Barreau local, soit, si vous voulez garder votre avocat habituel, il vous faudra un postulant. Si vous voulez que je vous défende à Marseille, ce sera avec plaisir, mais il vous faudra donc en outre recourir aux services d'un avocat au barreau de Marseille.
Pourquoi ? Parce que la procédure devant le tribunal de grande instance prévoit une phase préalable, la mise en état (comprendre mise de l'affaire en état d'être jugée), qui comporte des réunions mensuelles où le juge de la mise en état s'assure que les parties font diligences pour communiquer leurs arguments et leurs preuves, et des audiences où tous les problèmes juridiques autres que la demande principale (ce qu'on appelle des incidents) sont tranchés. Les actes sont signifiés aux avocats par les huissiers audienciers du palais, forme simplifiée qui a la même force probante qu'une signification ordinaire, voir ci-dessus, sauf que le coût est bien moindre : 1,90 euros par acte, quel que soit sa taille et encore ce tarif a-t-il doublé il y a trois ans.
L'avocat postulant dispose d'une boite au lettre au palais (qu'on appelle sa "toque" car autrefois c'était le carton à chapeau de la toque de l'avocat qui servait e réceptacle) pour recevoir ces actes d'huissiers, et, demeurant nécessairement à proximité du palais, il peut sans problème être présent aux audiences de mise en état et d'incident. Ainsi, mon confrère Nicolas Sarkozy a-t-il la toque R175, par exemple.
Le but est que le jour où l'affaire vient pour être jugée, on ait la certitude qu'il n'y aura pas de renvoi ni de problème de dernière minute empêchant le tribunal de statuer. C'est une gestion rationnelle de l'emploi du temps de trois magistrats, puisque le tribunal de grande instance est constitué de trois juges, contre un seul pour le tribunal d'instance, encore que le juge unique se multiplie au fil des réformes.
Supprimer l'avocat postulant, pourquoi pas ? Mais cela n'entraînera pas forcément d'économie pour le plaideur : son avocat devra faire plusieurs déplacements au tribunal concerné que le postulant lui évitait, aux frais de son client. Et la signification des actes de procédure ne pourra plus se faire par acte d'huissier à 1,90 euros, mais par lettre recommandée (plus coûteuse) voire par fax, sans les garanties que donne un acte d'huissier.
Là encore, les émoluments de l'avocat postulant, qui sont tarifés, sont automatiquement à la charge de la partie qui succombe (ce sont des dépens, comme l'assignation) et dépassent rarement les 300 euros, le tarif n'ayant pas été révisé depuis 1971.
Bref, pour faire des économies de bouts de chandelles, on risque fort de créer d'avantages de problèmes à réformer inconsidérément.
- La suppression de l'avoué.
Là, on est en plein dans la fausse bonne idée.
L'avoué a le monopole de la représentation devant la cour d'appel. Il est comme l'avocat postulant, sauf qu'un avocat ne peut pas représenter devant la cour d'appel, il ne peut que plaider. Là, pas le choix, il vous faut prendre un avoué. Avocat et avoué ont la même racine, le latin ad vocat, celui qu'on appelle (à l'aide). Avoué est une déformation linguistique.
Pourquoi cette particularité ? Parce qu'avant 1971, il y avait aussi des avoués devant les tribunaux de grande instance. Ils ont été supprimés et sont devenus avocats. Les avoués près la cour d'appel ont réussi à échapper à cette réforme.
Cette différenciation existe encore dans des pays voisins : ainsi l'Espagne distingue-t-elle les abogados des procuradores, en charge de la procédure. De même l'Angleterre distingue-t-elle le barrister qui plaide à la barre, du sollicitor en charge de la procédure. Sous l'ancien régime, les avoués s'appelaient procureurs. On en garde une trace par une règle de procédure qui veut qu'en France "Nul ne plaide par procureur", et qui impose à l'avocat d'indiquer dans toutes les pièces de la procédure le nom de son mandant.
Et là, je parle d'expérience, j'aime les avoués. Les avoués sont les meilleurs amis des avocats (leurs pires ennemis étant leurs clients). Pourquoi cette déclaration enflammée, qui ferait douter mon avoué habituel du caractère purement professionnel de nos relations ?
Parce que d'une part la procédure d'appel est casse gueule, plus encore que celle devant le tribunal. Il existe des délais à respecter pour produire ses arguments, on ne peut soulever des moyens nouveaux, et j'en passe. Or l'avoué la connaît sur le bout des doigts et vous évite bien des chausses-trappes.
Qu'importe me rétorquera-t-on, les avocats n'auront qu'à apprendre le titre VI du nouveau code de procédure pénale, ça ne leur fera pas de mal.
Certes, mais ce n'est pas tout. Les avoués, en nombre limités, connaissent bien les magistrats de la cour, y compris à Paris qui est pourtant une grosse juridiction. Ils connaissent la jurisprudence des diverses chambres et apportent un éclairage nouveau au dossier qui peut être salutaire. Plus encore, quand on est appelant et qu'on a donc perdu en première instance, le regard d'un juriste spécialisé en appel peut être d'un grand secours pour éviter de refaire les mêmes erreurs qui ont abouti à une décision défavorable.
Or en appel, ça passe ou ça casse : la décision est définitive cette fois. L'avoué est un auxiliaire trop précieux pour s'en priver au motif d'économies douteuses là aussi : le coût d'un avoué, qui est aussi un dépens donc supporté par la partie qui succombe, oscille généralement entre 300 et 700 euros en fonction du montant de l'enjeu (l'avoué de Bernard Tapie et du Crédit Lyonnais vont battre le record de la profession, d'ailleurs).
De même en est-il pour les avocats au Conseil, qui ont le monopole de la représentation devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation. Ces procédures sont très spécifiques, truffées de pièges et de délais sanctionnés par l'irrecevabilité, et il faut être très vigilant pour aboutir à ce que le pourvoi soit examiné. L'assistance d'un Avocat au Conseil est précieuse (et a un prix élevé, d'ailleurs, 5000 euros n'a rien d'extraordinaire). La seule dispense qui existe est le pourvoi en matière criminelle, et je me suis donc frotté à cette procédure une fois. J'ai réussi à obtenir un arrêt qui tranchait la question au fond (mon pourvoi a été rejeté), mais le fait de ne pas m'être pris une irrecevabilité est un exploit en soi pour un premier pourvoi.
Une fois de plus, on assiste à des réformes se voulant "simplificatrices", qui révèle que le wanna-be législateur considère certaines professions judiciaires comme au mieux de coûteux inutiles et au pire comme des parasites hérités du passé, et qui, au prétexte de simplifier la vie du justiciable, qui effectivement n'aura plus à s'interroger sur la différence entre son avocat, son postulant et son avoué, le laisse en réalité moins bien défendu.
Comme le rappelle Paxatagore, la seule réforme dont la justice a vraiment besoin est une augmentation drastique de ses moyens, totalement insuffisants aujourd'hui, en locaux et en personnel, magistrats et greffiers avant tout. La Justice représente moins de 2% du budget de l'Etat, en incluant l'administration pénitentiaire. Soit à peine le double de la culture.
Et le problème, ce serait les significations de jugement par huissier ?
Commentaires
1. Le mercredi 31 août 2005 à 12:41 par Arnaud
2. Le mercredi 31 août 2005 à 12:43 par GroM
3. Le mercredi 31 août 2005 à 13:04 par Paxatagore
4. Le mercredi 31 août 2005 à 13:11 par Bertrand Lemaire
5. Le mercredi 31 août 2005 à 14:31 par all
6. Le mercredi 31 août 2005 à 14:45 par Breninger
7. Le mercredi 31 août 2005 à 15:19 par BBD
8. Le mercredi 31 août 2005 à 16:48 par Gascogne
9. Le mercredi 31 août 2005 à 17:15 par GroM
10. Le mercredi 31 août 2005 à 17:29 par Alain
11. Le mercredi 31 août 2005 à 17:44 par Gagarine
12. Le mercredi 31 août 2005 à 18:17 par GroM
13. Le mercredi 31 août 2005 à 18:18 par francesco
14. Le mercredi 31 août 2005 à 19:17 par Emmanuel
15. Le mercredi 31 août 2005 à 19:46 par groM
16. Le mercredi 31 août 2005 à 20:06 par Gagarine
17. Le jeudi 1 septembre 2005 à 13:11 par Della
18. Le jeudi 1 septembre 2005 à 21:10 par Gascogne
19. Le jeudi 1 septembre 2005 à 22:26 par Zephir
20. Le vendredi 2 septembre 2005 à 11:10 par Alain
21. Le vendredi 2 septembre 2005 à 11:15 par Alain
22. Le vendredi 2 septembre 2005 à 13:24 par Sans pseudo
23. Le vendredi 2 septembre 2005 à 18:41 par Nounours
24. Le samedi 3 septembre 2005 à 01:42 par Eugène Etienne
25. Le mardi 6 septembre 2005 à 03:28 par Porfi