L'appel des décisions des cours d'assises
Par Eolas le jeudi 11 août 2005 à 16:08 :: Actualité du droit :: Lien permanent
Décidément, Alain est le documentaliste de ce blog : il me signale un nouvel article dans Le Monde qui publie une analyse de fond sur les appels de cours d'assises, article qui, comme tout ouvrage journalistique sur la justice, nécessite des précisions et des rectifications.
Cet article est intitulé Les appels de verdicts de cours d'assises relèvent du pari, in Le Monde du 11 août 2005, auteur : Nathalie Guibert.
J'utiliserai la même méthode que mon précédent billet : citation/commentaire, en mettant en italique les passages du paragraphe qui me font réagir.
Depuis la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence, l'appel, après un verdict de cour d'assises, est devenu un droit. Mais sur quoi débouche cette possibilité ? Pour les accusés, comme pour les victimes, elle relève d'un pari très hasardeux.
Figure journalistique imposée : la problématique. Voilà la question à laquelle l'article prétend répondre (alors qu'en fait, il n'y répond pas mais livre des éléments de réflexion). Là où je bondis, c'est sur la dernière phrase, particulièrement sur le mot hasardeux. L'appel est un pari, puisqu'on troque une décision connue contre une décision inconnue pouvant être pire. Demandez à Guillermito quel effet cela fait. Mais la décision de faire appel est prise en concertation avec l'avocat, qui une fois de plus s'avère fort utile pour avoir un point de vue technique, neutre et extérieur sur l'opportunité de cet appel. Et l'avocat décourage plus souvent les appels qu'il n'y encourage (d'où des taux d'appels assez bas). Mais peut-on qualifier de paris très hasardeux l'appel d'un condamné qui s'est pris la peine maximum ? Que risque-t-il à faire appel, hormis rester en maison d'arrêt jusqu'au procès plutôt qu'être transféré rapidement en établissement pour peine où les conditions de détention sont meilleures (et avoir à payer 540.000 euros d'honoraires, aussi ,c'est vrai...) ?
Les statistiques citées n'appellent que peu de commentaires de ma part. Elles ne me surprennent pas, le taux initial élevé (30%, descendu à 20%) s'explique sans doute par une certaine curiosité des avocats, l'envie de tâter le terrain pour voir si une cour de 15 jurés est plus ou moins sévère. Les résultats peu probants pour la défense ont découragé cet appel sauf pour des motifs bien réfléchis.
La réforme avait permis à la France de répondre aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme. Avec le double degré de juridiction en matière criminelle était mis fin au dogme de l'infaillibilité des jurys populaires, en vigueur depuis deux siècles.
Le dogme de l'infaillibilité ? Le goût de la formule amène ici un superbe hors sujet, le journaliste confondant les Tables de la Loi et le Code de procédure pénale. Le dogme de l'infaillibilité ne concerne que le Pape siégeant ex cathedra. Il a été proclamé par le concile de Vatican I (1870) : il signifie que quand le Pape s'exprime ex cathedra sur une question de foi ou de morale, sa position doit être tenue pour assurément vraie par toute l'Eglise. Ce dogme a fait le bonheur des adversaires de l'Eglise, qui l'invoquent bien plus souvent que l'Eglise elle même, puisque l'infaillibilité papale a été utilisée une seule fois, lors de la proclamation du dogme de l'Asomption par la constitution dogmatique Lumens Gentium du 21 novembre 1964. L'Asomption, que nous fêtons le 15 août, même les athées puisque c'est un jour férié, veut que Marie, à sa mort, ait été enlevée au ciel par des anges, et que dès lors son corps ne se trouve pas sur terre.
L'absence d'appel des verdicts de cour d'assise ne venait d'aucun dogme d'infaillibilité. Le pourvoi en cassation a toujours existé, de même que le pourvoi en révision. Comment justifier l'existence de voies de recours contre une décision infaillible ?
Le problème était un problème de dogme démocratique. Le jury a pour fonction de représenter le peuple français (la cour statue "au nom du peuple français", tout comme l'assemblée nationale légifère en son nom). Qui est compétent pour juger en appel d'une décision du peuple souverain ? Après tout, il n'y a pas d'appel des élections, ni du vote d'une loi (hormis le droit du président de demander une deuxième lecture). La solution retenue est un jury plus large : 12 contre 9 en première instance. Pourquoi 12 citoyens seraient ils plus perspicaces ou plus justes que 9 ? Mystère.
Des magistrats font remarquer que dans la procédure d'appel, mécaniquement, les peines s'obtiennent plus facilement : en première instance, il faut 7 voix sur 12 (9 jurés et 3 magistrats) pour décider d'une condamnation ; en appel, il faut 8 voix sur 15 (12 jurés et 3 magistrats).
Ce paragraphe peut prêter à confusion.
Le vote de la cour d'assises se passe en deux parties. D'abord, le vote sur les questions posées à la cour (X. est-il coupable d'avoir volontairement oté la vie à Y ? A-t-il agi avec préméditation ?), puis le vote sur la peine. Les décisions défavorables à l'accusé (en premier lieu la décision de culpabilité) se votent par huit voix au moins en première instance (le nombre exact n'est jamais révélé), et 10 voix au moins en appel. Article 359 du Code de Procédure pénale (CPP). Pourquoi ce chiffre ? C'est la moitié des jurés plus les trois magistrats.
La peine se vote en revanche à la majorité absolue. Soit 7 (la moitié des 12 plus une) en première instance, et 8 en appel (la moitié des 15 voix, arrondie au dessus, puisque le nombre est impair, et que le Code prévoit qu'on ne peut découper un juré en deux, malgré les demandes répétées des avocats de la défense).
Si les peines s'obtiennent mécaniquement plus facilement, la décision de culpabilité s'obtient avec exatement la même "difficulté" : 8/12 = 10/15 = 2/3.
A Paris, depuis l'entrée en vigueur de la loi début 2001, les appels ont abouti, dans 43 % des cas, à une confirmation de la condamnation initiale ; 24 % ont débouché sur une aggravation ; 30 % sur une diminution et 4 % sur un acquittement.
Ce qui fait 101%.
J'en déduis que dans 1% des cas d'appel, la cour condamne par erreur l'huissier ou le gendarme d'escorte.
Autre problème : le parquet a pris l'habitude de se joindre à l'appel de l'accusé ; s'il ne le fait pas, la procédure prévoit que la cour d'assises de deuxième degré ne pourra prononcer de peine supérieure.
Ha, le parquet et ses sales habitudes de faire appel incident. Ca vous gâche vos dossiers.
Le parquet n'a pas "pris cette habitude" : il exerce un droit, qui est tout à fait normal au nom de l'égalité des armes. L'appel incident est l'appel qui est causé par l'appel du condamné. Il signifie en quelque sorte "moi, j'ai pas envie de faire appel, mais si ça vous amuse, ça m'amuse aussi". L'appel incident tombe automatiquement si l'appelant se désiste dans le délai d'un mois. Il y a un aspect dissuasif évident et tout à fait voulu.
Le procureur peut également faire appel, à titre principal, d'une condamnation qu'il estime insuffisante, mais aussi d'un acquittement. Cette dernière possibilité, introduite après coup dans la loi, en mars 2002, est peu utilisée. Contestée par la défense au nom de l'équité, elle est en outre mal comprise.
L'appel principal est l'appel qui n'est pas motivé par l'appel de l'adversaire : "cette décision ne me convient pas, que vous fassiez appel ou pas, je m'en fiche, je la conteste". L'accusé peut à son tour faire appel incident, ou faire un appel principal lui aussi (l'appel principal n'est pas rendu caduc par le désistement de l'autre partie, si vous avez bien suivi).
Dire que cette possibilité est "contestée par la défense au nom de l'équité" est une pure ânerie.
Concrètement, il s'agit de l'hypothèse d'un acquittement que le parquet trouve contestable. Il est très rare que le parquet fasse appel d'une peine trop légère. Le parquet a tendance à respecter les quantums prononcés par les cours d'assises. Après tout, qu'est-il pour estimer que ce crime valait 15 ans, qui en a eu 9 ? Evidemment, quand on obtient un acquittement, on tremble à l'idée que le parquet fasse appel, et la première chose est d'aller s'enquérir courtoisement auprès de l'avocat général (qui représente le parquet à l'audience) s'il compte faire appel, en espérant l'en dissuader le cas échéant. S'il le fait, ça nous contrarie, bien sûr. Mais de là à contester ce droit au nom de l'équité, c'est absurde !
Au contraire, les avocats ont appuyé la réforme de mars 2002 ouvrant au parquet le droit d'appeler à titre principal, au nom de l'égalité des armes, un principe auquel nous sommes profondément attachés, même au profit de nos adversaires.
Cet oubli de la loi du 15 juin 2000 a donné lieu à un absurde procès d'appel, dans l'affaire "Lubin". Deux parents étaient poursuivis pour des violences ayant entraîné la mort de leur fils (syndrome du bébé secoué). L'instruction avait établi que c'éatit soit l'un soit l'autre, personne d'autre n'ayant été en présence de Lubin au moment où les violences ont été commises (et le syndrôme du bébé secoué ne peut pas être causé accidentellement, j'ai lu une fois un rapport d'autopsie sur un cas similaire, j'en ai encore des frissons. Le père était acquitté et la mère déclarée coupable et punie de 15 ans de réclusion criminelle par la cour d'assises de Nanterre le 23 novembre 2000. La cour d'assises de Paris a jugé cette affaire en appel. Or le père ayant été acquitté, et le parquet n'ayant pas le droit de faire appel, la cour d'assises de Paris a donc entendu le père comme simple témoin, et ne pouvait qu'acquitter ou condamner la mère. L'acquittement de la mère ne pouvant remettre en cause celui du père.
Le droit d'appel principal du parquet est tout à fait normal, et il évitera désormais ce genre de situations.
Sur les appels du parquet, qui concernent en majorité des affaires de viols et d'homicides, les condamnations sont nettement alourdies. Le procureur général de Paris a fait appel à titre principal dans un gros quart des dossiers : sur ces derniers, 54,4 % des appels du ministère public ont conduit à des décisions aggravant la première peine prononcée, tandis que 27 % confirmaient le verdict (dont tous les acquittements frappés d'appel par le parquet). Seules 9 % diminuaient la peine.
Ce qui fait 90,4 %. Qu'arrive-t-il donc aux 9,6% restant ? Ils aboutissent à une aggravation de l'acquittement ? Même si on ajoute les 1% de condamnés pas accusés en première instance qu'on a vu tout à l'heure, il y a un sérieux problème de statistique, au parquet général. Enfin, dire que la majorité des appels concerne des affaires de viols et de meurtre n'apporte rien : ces types d'affaires occupent l'essentiel des sessions d'assises, avec une nette prédominance pour le viol, comme un encadré le signale, d'ailleurs.
Sur ce, je vous laisse, je vais envoyer au Monde une facture de 540.000 euros pour mes commentaires éclairés...
Commentaires
1. Le jeudi 11 août 2005 à 19:14 par Alain
2. Le jeudi 11 août 2005 à 22:39 par fb
3. Le jeudi 11 août 2005 à 23:07 par Eugène Etienne
4. Le vendredi 12 août 2005 à 09:45 par andrem
5. Le vendredi 12 août 2005 à 10:17 par pipo
6. Le samedi 13 août 2005 à 22:35 par Maxime R.
7. Le samedi 13 août 2005 à 22:35 par Maxime R.
8. Le mardi 16 août 2005 à 09:51 par benoit
9. Le mardi 16 août 2005 à 20:26 par Zenitram
10. Le mardi 16 août 2005 à 21:44 par Salagir
11. Le vendredi 26 août 2005 à 15:47 par Merlin
12. Le mercredi 14 décembre 2005 à 18:31 par Lucile