Où l'on reparle des honoraires d'avocat
Par Eolas le mercredi 10 août 2005 à 11:19 :: La profession d'avocat :: Lien permanent
Merci à Alain qui me signale un article du Monde qui relate une affaire montrant bien le délicat problème des honoraires que j'abordais dans un précédent billet : L'avocat d'un médecin acquitté lui réclame 540 000 euros (1), accès payant hélas Edit : Merci Aiua pour le lien valide.
Sans prendre parti sur le fond du problème, certains passages de cet article appellent des commentaires. Pour évacuer tout de suite la question du montant réclamé : il ne s'agit pas, et loin de là, d'une somme habituelle en matière pénale. Cela ne veut pas dire qu'elle est nécessairement exagérée. Mais il n'est absolument pas représentatif. Un procès criminel ordinaire entraînera des honoraires de 3000 à 10000 euros dans la plupart des cas, instruction comprise.
Maintenant, pour les commentaires (les italiques sont de moi dans les citations de l'article : ils indiquent les points que je souhaite commenter).
Plus de 90 minutes d'audience n'ont pas suffi à régler le différend qui oppose le docteur F. à l'un de ses avocats. Acquitté en appel, le 1er avril, par la cour d'assises de Rennes, l'ancien médecin généraliste est venu expliquer, le 28 juillet à Paris, lors d'une audience de conciliation tenue sous l'égide du bâtonnier, pourquoi il ne voulait pas régler les 540 599 euros et 17 centimes que lui réclame à titre d'honoraires Me Pierre Chaigne.
Il ne s'agissait pas d'une audience de conciliation. En matière de contestation d'honoraires d'avocats, le Bâtonnier a compétence juridictionnelle en premier ressort. Comprendre : il rend une décision qui a force de jugement, et dont on peut interjeter appel devant le premier Président de la cour d'appel. L'audience du 28 juillet était donc bien une audience de jugement, et le bâtonnier, ou son représentant, décidera de fixer le montant des honoraires soit au montant réclamé par l'avocat, soit à un montant inférieur conformément aux usages de la profession.
Et pourquoi ces 17 centimes ? Parce que les honoraires d'avocats sont soumis à la TVA au taux de 19,6%. Le montant réclamé par mon confrère est en réalité de 452 006 euros (il s'est d'ailleurs trompé dans le calcul de la TVA : c'est 18 centimes avec les règles d'arrondi).
Ruiné par plusieurs années d'absences de revenus - l'exercice de la médecine lui avait été interdit -, le docteur F. s'est brièvement expliqué. "Je ne réglerai pas Me C. avec mes propres deniers", a-t-il dit, selon les informations recueillies par Le Monde . Le médecin attend une indemnisation de l'Etat pour avoir effectué trois mois de détention provisoire après sa condamnation à huit ans d'emprisonnement par la cour d'assises de Laval en janvier 2004. Il pourrait, en outre, percevoir des dommages et intérêts si les personnes qui l'ont accusé à tort d'abus sexuels sont poursuivies et condamnées pour "dénonciation calomnieuse" .
Au-delà du choc légitime de devoir acquitter une telle somme alors qu'il se retrouve dans une situation précaire après avoir été reconnu innocent, on a ici un cas de figure classique qui est à l'origine de beaucoup de malentendus et de contestations : l'espoir du client de ne pas avoir in fine à payer les honoraires de son avocat dès lors que la raison était de son côté. L'avocat est le mandataire de son client, et partant, ce dernier seul lui est redevable de ses honoraires. La prise en charge par la partie adverse, le fameux article 700 dans les procès au civil, 475-1 au pénal (375 pour un crime), et L.761-1 devant le juge administratif n'est pas un dû et doit être considéré comme un bonus inespéré.
Le problème est d'ailleurs pire en matière pénale où la personne poursuivie n'a pas le droit de réclamer à la partie civile la prise en charge de ses honoraires d'avocat au cas où il serait relaxé. L'article 475-1 du Code de procédure pénale ne s'applique qu'au profit des parties civiles. C'est la loi, prenez vous en au législateur, pas au juge qui n'y peut mais.
La loi a récemment prévu une indemnisation par l'Etat au profit d'un accusé (au sens large) déclaré innocent. Mais la générosité de l'Etat étant limitée en dehors du clientélisme électoral, ce montant est forfaitairement fixé... au montant de l'aide juridictionnelle. Le brave docteur F. va donc recevoir une indemnité d'environs 833,60 euros, plus 41,68 euros par jour d’audience au-delà du premier... Quant à l'indemnisation de ses trois mois de détention, elle sera loin des 540.000 euros réclamés par son avocat. Ce sera 10%, au mieux, je pense.
L'entourage du praticien, et les membres du comité de soutien créé autour de lui, qui a versé 20 000 euros à titre de défraiement à l'avocat parisien, contestent des honoraires que l'un d'entre eux a qualifiés de "déshonorants".
Il y a là un humour involontaire : honoraires et déshonorants ont la même racine : le mot honneur.
Me C. qui a défendu [le docteur F.] pendant quatre ans facturait les dîners de membres du comité [de soutien] auxquels il était invité, comme en témoigne une note de 1 524 euros, le 14 mars 2005, de même que les conversations téléphoniques qu'il tenait avec eux, voire avec des journalistes en charge du dossier.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, cela n'a rien d'anormal sur le principe. La participation à un dîner est du temps consacré au dossier, quand bien même l'avocat ne paye pas l'addition. Les repas d'affaire sont facturables au même titre qu'une réunion dans un austère bureau. Là où je suis plus réservé, c'est d'une part sur le principe de la participation à un dîner de comité de soutien qui me paraît difficilement compatible avec le secret professionnel, le comité, quand bien même il règle des factures, n'est pas le client de l'avocat ; et d'autre part sur le fait de réclamer des honoraires au client qui n'a peut être pas sollicité la présence de son avocat à cette réunion.
Enfin, il importe d'éviter tout malentendu de la sorte, en expliquant d'entrée de jeu au client que TOUT le temps consacré au dossier est facturé, y compris les dîners et manifestations du comité de soutien, et les coups de téléphone à l'avocat "pour savoir s'il y a du nouveau". Une convention préalable lève toute ambiguïté, et l'envoi réguliers de factures permet au client de réagir (ce qui semble être le cas ici, l'article parlant de plusieurs factures distinctes).
L'avocat estime que les différends de ce genre qu'il qualifie de "litige d'ordre privé" sont fréquents (...)
Non, ils ne le sont pas, Dieu merci. Les 18000 avocats parisiens doivent émettre plus d'un million de factures par an, et le service de contestation des honoraires de l'Ordre traite 2800 dossiers par an. Je n'ai pour ma part jamais saisi le bâtonnier en fixation de mes honoraires, ni été cité par un client contestant les miens. J'ai eu toutefois à pratiquer cette procédure en tant qu'avocat, tant en défense d'un confrère, qu'en demande en contestant les honoraires d'un autre, jusqu'au premier président. J'ai pu constater que bien souvent, les clients ne contestent pas tant le montant des honoraires ou la réalité du travail que la qualité de ce travail de l'avocat, qui relève d'un autre contentieux : celui de la responsabilité civile professionnelle. Mais ce contentieux étant plus cher (un avocat est souvent obligatoire), les clients préfèrent la voie "gratuite" et se cassent les dents, mettant leur échec inévitable sur le dos de la collusion des gens de justice plutôt que sur leur propre sottise. Cela saute aux yeux quand le juge demande au client qui conteste les honoraires à combien il estime le juste prix de la prestation de l'avocat. Le client est alors pris de court, et la plupart du temps, finit par se replier sur une position jusqu'au boutiste, réclamant le rejet pur et simple de la demande d'honoraires, comme si le travail accompli n'avait aucune valeur.
Les audiences du premier président sont publiques (ce qui me parait choquant, le secret professionel n'étant pas supprimé par ce contentieux), vous pouvez donc aller y assister (elles se tiennent le mercredi matin).
Le 17 décembre 2000, son client avait signé une convention qui s'appuyait sur un tarif horaire. (...) Le conflit a en tout cas suscité l'émotion des avocats pénalistes bretons réunis la semaine dernière. "Je ne veux pas polémiquer avec mon confrère, indique Me B., avocat rennais qui a défendu le docteur F. lors du procès d'appel, mais je m'insurge contre la méthode retenue pour calculer les honoraires. Un vrai pénaliste ne présente jamais de convention horaire."
Je ne veux pas polémiquer avec mon confrère breton (deux mots pour lesquels j'ai beaucoup d'affection), mais les bras m'en tombent. Bien sûr que si, un vrai pénaliste, ce que j'ai la vanité de prétendre être, présente des conventions prévoyant une rémunération au temps passé ! C'est ce que je fais la plupart du temps, ayant appris depuis longtemps que le temps que prendra un dossier est totalement imprévisible. Tel dossier criminel sera instruit en 6 mois pour être correctionnalisé, tel autre jugé en comparution immédiate sera renvoyée devant le juge d'instruction, le délit poursuivi s'avérant être probablement un crime aux yeux du président (deux exemples réels vécus par votre serviteur). J'envie mes confrères rennais d'avoir une juridiction aussi prévisible : celles de la région parisienne sont assurément régies par la théorie du chaos.
Retiré dans sa maison de l'Ile de Ré, sur laquelle la société d'avocats de Me C. dispose d'une hypothèque de 97 283, 80 euros consentie par le médecin, le 22 février 2002, [le docteur F.] explore des pistes professionnelles pour reprendre ses activités. "Il me reste neuf années d'exercice, dit-t-il, et de toute façon, je ne serai jamais en mesure de trouver une telle somme."
Aïe. Il a consenti une hypothèque à son avocat. Cela semble indiquer qu'il a accepté sans rechigner les factures présentées par son avocat, et qu'il aurait même manifesté cette acceptation devant un notaire. Si tel est le cas, sa contestation sur ces factures est perdue d'avance. On ne peut contester ce qu'on a un jour accepté de manière univoque. Tant les bâtonniers que les premiers présidents sont intraitables, sauf si le paiement a été fait avec des réserves, afin d'éviter le retrait de l'avocat.
Si l'arbitrage du bâtonnier parisien ne lui convient pas, il aura possibilité de se tourner vers le premier président de la cour d'appel pour solliciter une nouvelle décision.
Et oui, cela se nomme un appel, ce qui montre bien que la décision du Bâtonnier s'apparente à un jugement.
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(1) : Le Monde, 7 août 2005, auteur : Pascal Ceaux.
Commentaires
1. Le mercredi 10 août 2005 à 16:12 par xilun
2. Le mercredi 10 août 2005 à 16:50 par Nap
3. Le mercredi 10 août 2005 à 17:17 par Aiua
4. Le mercredi 10 août 2005 à 17:40 par Aiua
5. Le jeudi 11 août 2005 à 00:08 par Apokrif
6. Le jeudi 11 août 2005 à 10:01 par felixnemrod
7. Le jeudi 11 août 2005 à 11:03 par Salagir
8. Le jeudi 11 août 2005 à 11:17 par andrem
9. Le jeudi 11 août 2005 à 14:06 par Alain
10. Le lundi 15 août 2005 à 02:09 par Fred
11. Le mardi 16 août 2005 à 13:38 par Souplounite
12. Le mardi 23 août 2005 à 15:28 par YR
13. Le vendredi 26 août 2005 à 10:08 par Bertec
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