Liberté conditionnelle et récidive
Par Eolas le jeudi 23 juin 2005 à 15:38 :: General :: Lien permanent
Après un long silence, j'essaye de reprendre le rythme des billets réguliers.
Le premier ministre de l'intérieur, très en verve ces jours ci, a posé temporairement son kärcher pour saisir son martinet et se propose de "faire payer" un juge "pour sa faute" dans l'affaire Patrick Gateau. Il s'agit d'une personne ayant été condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité pour des faits de meurtre qui, à l'occasion d'une liberté conditionnelle, a enlevé et assassiné une femme, la caractère sordide de l'affaire étant aggravé par le montant dérisoire du butin : 20 euros. Il y a de quoi enflammer l'opinion publique, et le ministre de l'intérieur est très sensible à l'opinion publique (sans doute dans la perspective de sa prochaine candidature au conseil général des Hauts de Seine ?).
Comme d'habitude en matière de démagogie, le raisonnement semble frappé du coin du bon sens : Gateau était condamné à perpétuité, un juge l'a remis dehors quand même, Gateau en a profité pour tuer quelqu'un, ergo : le juge est responsable de cette mort.
Dans la réalité, maintenant, pourquoi remet-on un condamné à perpétuité en liberté, ce qui semble paradoxal, et qui prend la décision ?
Le pourquoi est simple : la prison a plusieurs buts : la protection de la société par la neutralisation d'individus dangereux, le châtiment de comportements antisociaux, l'amendement du condamné et sa résinsertion.
La question de la réinsertion se pose même pour les condamnés à perpétuité. En effet, comme disait Lao Tseu Woody Allen "la perpétuité, c'est long, surtout vers la fin". Les gens changent, et il serait stupide de ne pouvoir en tenir compte sous prétexte qu'une décision a été rendue, une décénnie plus tôt. Sans oublier le fait, plus prosaïquement, que la possibilité d'une libération est une carotte pour les prisonniers, qui sinon seraient réduits au désespoir des seuls coups de baton, n'ayant aucun espoir de sortie.
De fait, le taux de récidive en matière criminelle est très bas. En 2004, sur 5 866 libérations conditionnelles accordées par les juges, 143 ont été révoquées en raison d'une nouvelle condamnation. Pour 35 589 permissions de sortir, la chancellerie a recensé 4 crimes. (Source : Le Monde).
Certes, des affaires comme celle-ci, ou l'affaire Pierre Bodein ou Jean-Claude Bonnal, et dans une moindre mesure Patrick Henry (la récidive étant en l'espèce bien moins grave que le crime original), qui font immanquablement la Une de l'actualité, ne sauraient être traitées comme de simples anomalies statistiques.
Le choix est le suivant : faut il sacrifier les centaines, si ce n'est les milliers, d'anciens détenus qui une fois rendus à la liberté mènent une vie réinsérée et honnête pour éviter les cas rarissimes de récidive ? Si au lendemain de tels crimes, la passion pousse à crier oui, la raison, quand elle reprend enfin le dessus, répond sereinement non.
La liberté conditionnelle est un pari, un pari risqué, non eu égard aux probabilités d'échec, mais aux conséquences dramatiques de cet échec (4 crimes par an, c'est 4 crimes de trop).
Alors comment cette décision est-elle prise ?
Contrairement à ce que le singulier employé à la va-vite par le ministre peut laisser penser, cette décision n'est pas prise par un homme seul et tout puissant.
La loi Perben II (encore elle) a profondément bouleversé le droit de l'application des peines.
Tout d'abord, il y a des conditions préalables à cette remise en liberté.
Condition de temps d'abord : elle ne peut être décidée que quand le condamné a effectué la moitié de sa peine (en tenant compte des réductions obtenues postérieurement à la condamnation), les deux tiers s'il est récidiviste. Pour une condamnation à perpétuité, ce délai est de 15 ans. On appelle ce délai le "délai d'épreuve".
Ensuite, il y a une condition sociale : le condamné doit manifester "des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu'ils justifient soit de l'exercice d'une activité professionnelle, soit de l'assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle ou encore d'un stage ou d'un emploi temporaire en vue de leur insertion sociale, soit de leur participation essentielle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir un traitement, soit de leurs efforts en vue d'indemniser leurs victimes." (article 729 du Code de procédure pénale -CPP).
Pour les crimes plus plus graves concernant des mineurs victimes, une expertise psychiatrique est obligatoire, parfois confiée à deux experts (cas du meurtre, de l'assassinat ou du viol d'un mineur de 15 ans). Pour les autres cas, les juges d'application des peines peuvent provoquer cette mesure, et ne s'en privent pas.
Enfin, qui prend la décision ?
La loi distingue deux cas : si la peine prononcée est de dix ans ou moins, ou quelle que soit la durée s'il ne reste que trois ans à accomplir, c'est le juge d'application des peines statuant seul.
Dans les autres cas, c'est le tribunal d'application des peines, soit un collège de trois juges. Ce tribunal est saisi soit par une demande du condamné, soit par le procureur de la République, soit par le juge d'application des peines en charge du suivi du condamné (qui ne siège pas dans le tribunal qui statue, bien sûr). Avant de statuer à l'issue d'un débat où est entendu l'avis du représentant de l'administration pénitentiaire, celui du parquet, du condamné et de son avocat s'il en a un. Ce rôle de l'avocat dans l'exécution de la peine est d'ailleurs récent et prend une part de plus en plus importante : on a abandonné une exécution des peines purement administrative pour une vision plus judiciaire et c'est heureux.
Notons que Gateau ayant été libéré en 2003, c'était des règles légèrement différentes qui s'appliquaient, mais la décision était bien prise par une juridiction collégiale, la juridiction régionale de la libération conditionnelle (le président était à l'époque un juge de la cour d'appel), aujourd'hui supprimée au profit du Tribunal d'application des peines.
Enfin, cette libération conditionnelle n'est pas un lâcher pur et simple dans la nature. Les condamnés sont suivis, surveillés, et peuvent être soumis à des obligations particulières : on parle de libération conditionnelle
Il n'y a donc pas UN juge qui a commis une faute. Pour autant que je sache, la procédure a été respectée, la décision prise légalement, aucun juge n'a été corrompu, ne s'est trompé de dossier, a dit "oui" en pensant "non", dormait pendant les débats, ou a tiré à pile ou face : aucune faute n'a été commise par eux. Rien ne permet non plus d'affirmer que Gateau ait trompé les juges, ne souhaitant sortir que pour assassiner la première femme venue. Est il vraiment besoin de rappeler aux sycophantes que le seul fautif ici est Gateau lui-même ? Et est-il besoin d'être grand clerc pour imaginer que les juges ayant signé cette décision doivent être humainement accablés de ses conséquences ?
Imposer aux juges une obligation de résultat est le comble de la démagogie, puisque cela revient à leur reprocher à faute de ne pas lire dans l'avenir ou dans la psyché des hommes. Les menacer de sanction si leur décision a des conséquences dramatiques, c'est les contraindre à refuser toute remise en liberté. Et sacrifier des milliers de réinsertions réussies pour prévenir 4 crimes.
Ha, comme il serait drôle de voir les mêmes hommes politiques, si prompts à jouer les Tartuffes de la vertu, s'appliquer à eux même, par souci de justice républicaine, la même obligation de résultat et d'exiger qu'on leur fasse payer leur propre faute consistant à n'avoir su prévoir l'imprévisible.
Mais la politique du bouc émissaire est toujours si commode.
Commentaires
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