Comme quoi, des fois, ça marche
Par Eolas le mardi 10 mai 2005 à 13:58 :: Dans le prétoire :: Lien permanent
Audience au tribunal correctionnel. Le prévenu s'avance, 35 ans, look banquier. D'ailleurs, ça tombe bien : il travaille comme agent administratif dans une banque.
Il est poursuivi pour exhibition sexuelle, dans le métro, il y a deux ans. Il a déjà été déclaré coupable, mais l'affaire revient après une expertise psychiatrique, qui est désormais obligatoire en matière de délinquance sexuelle, pour le prononcé de la peine.
L'histoire de la vie de cet homme a basculé en 1984, quand il a eu un très grave accident de la circulation (il était passager). Traumatisme cranien, quatre interventions, longue rééducation, le tout aggravé par une infection nosocomiale par le virus de l'hépatite C. Au total, il va passer dix ans en hospitalisation. Il va néanmoins continuer ses études, et passera le baccalauréat en fauteuil roulant.
Mais à la sortie de ce calvaire, il sera totalement désocialisé. A l'époque, le suivi psychologique des grands blessés est quasi inexistant. Il expliquera à la barre qu'il a vu une fois un psychologue, dix minutes dans son bureau, qui lui demandera "alors, ça va ?" et se contentera du "oui" poli du patient pour écarter toute séquelle post traumatique.
Le prévenu, sorti de l'hopital, sera complètement renfermé sur lui même, limite sociopathe. Pas d'amis, pas de petite ami, maniaco-dépressif non traité.
Jusqu'à ce jour de 2003 où il déambule dans le métro, offre à la vue d'une passante un spectacle anatomique non sollicité. Elle va signaler cet intermittent du spectacle d'un genre particulier à une patrouille de sécurité, qui le retrouve aisément : il n'a pas quitté la station.
L'affaire revient deux ans après à la suite de plusieurs renvois, sollicités par l'expert psychiatre désigné. Celui-ci va diagnostiquer cette psychose maniaco-dépressive très avancée car évoluant depuis près de 20 ans sans jamais avoir été soignée, et va entreprendre, en accord avec le prévenu, une thérapie, dont les résultats encourageants ont fait que l'expert a demandé plus de temps. Ce faisant, il est allé au-delà de sa mission, qui était simplement de poser un diagnostic, proposer des solutions et exposer des perspectives d'évolution. Le mécanisme normal prévu par la loi est que le tribunal prononce au titre de la peine un suivi socio-judiciaire assorti d'une injonction de soin, qui fait encourir un emprisonnement si cette injonction n'est pas respectée.
Et deux ans plus tard, le président et le procureur sont tous les deux d'accord pour dire que le résultat est spectaculaire. Le prévenu a enfin pu comprendre sa souffrance, l'a soigné, quasiment sans médicaments, d'ailleurs. Il a indemnisé spontanément la victime, a renoué une vie sociale et produit une douzaine d'attestations, de collègues de travail, de voisins, d'amis qu'il s'est fait en reprenant une vie sociale, notamment par la pratique du sport, qui tous font un portrait de lui laudatif : serviable, prévenant, disponible. Une voisine déclare même ne pas hésiter, malgré cet antécédent judiciaire, à lui confier la garde de ses enfants, sans que jamais le moindre problème ne se soit posé.
A la barre, le prévenu fait un exposé très lucide de ce qu'il a traversé, disant qu'il était "en perdition" et que ce suivi l'a probablement sauvé.
Le procureur va donc requérir, eu égard à cette situation de parfaite réinsertion, d'indemnisation de la victime et de cessation du trouble, une dispense de peine que le tribunal accorde aussitôt (enfin, après avoir donné la parole à l'avocat de la défense qui le pauvre ne peut qu'approuver ce qui vient d'être dit en se demandant comment il va justifier ses honoraires).
Des dossiers comme ça, je n'en vois pas souvent. Mais à l'instar de celui-là, il fait partie de ces quelques audiences extra-ordinaires, qui révèlent la justice sous son meilleur jour, celui où elle ne fait pas que punir (ce qui reste un rôle indispensable, sauf quand ça concerne mes clients), mais où elle parvient à repérer un prévenu récupérable, à lui tendre la main, à l'aider à le remettre sur des rails, et à lui donner, pour la première fois, les moyens de redevenir un citoyen ordinaire.
Ca vous redonne la foi, et ce sentiment était partagé tant par le juge que par le parquet et par les avocats présents.
Un moment de grâce.
Commentaires
1. Le mardi 10 mai 2005 à 12:39 par jid
2. Le mardi 10 mai 2005 à 14:07 par Le toucan rouge
3. Le mardi 10 mai 2005 à 15:07 par M_Spock
4. Le mardi 10 mai 2005 à 15:31 par Marc
5. Le mardi 10 mai 2005 à 16:56 par all
6. Le mardi 10 mai 2005 à 18:19 par theorbe
7. Le mardi 10 mai 2005 à 18:53 par pH|Re
8. Le mardi 10 mai 2005 à 19:50 par forgeron
9. Le mercredi 11 mai 2005 à 00:16 par naif
10. Le mercredi 11 mai 2005 à 10:02 par Zenitram
11. Le mercredi 11 mai 2005 à 10:11 par Couillanski
12. Le jeudi 12 mai 2005 à 14:31 par loula
13. Le vendredi 13 mai 2005 à 02:15 par Wulf
14. Le vendredi 13 mai 2005 à 07:31 par naif
15. Le vendredi 13 mai 2005 à 08:24 par loula
16. Le vendredi 13 mai 2005 à 17:25 par Olivia
17. Le dimanche 15 mai 2005 à 22:44 par Couillanski
18. Le mardi 17 mai 2005 à 16:24 par Olivia
19. Le mercredi 18 mai 2005 à 04:40 par wesson
20. Le mercredi 18 mai 2005 à 10:29 par Couillanskienshort
21. Le mercredi 18 mai 2005 à 10:33 par Couillanskienshort
22. Le mercredi 18 mai 2005 à 12:03 par olivia
23. Le mercredi 18 mai 2005 à 13:41 par Marc
24. Le mercredi 18 mai 2005 à 15:34 par dawnofeurope
25. Le mercredi 18 mai 2005 à 19:26 par ministere des bonnes moeurs
26. Le mercredi 18 mai 2005 à 19:58 par Bob Marcel
27. Le jeudi 19 mai 2005 à 09:29 par Couillanshort
28. Le jeudi 19 mai 2005 à 09:32 par Couillanshort
29. Le mercredi 25 mai 2005 à 10:11 par militaire déçu
30. Le mercredi 25 mai 2005 à 10:45 par Guignolito
31. Le lundi 30 mai 2005 à 10:08 par Guignolito
32. Le mercredi 1 juin 2005 à 22:03 par Pat
33. Le lundi 6 juin 2005 à 06:56 par ttt de la bipolarité
34. Le jeudi 9 juin 2005 à 11:02 par une consoeur
35. Le jeudi 21 juillet 2005 à 09:13 par Patricia