Une avocate incarcérée
Par Eolas le jeudi 21 avril 2005 à 17:22 :: La profession d'avocat :: Lien permanent
Je suis interpellé par des lecteurs sur l'affaire concernant ma consoeur toulousaine Maître M*, interpellée, elle, par la police, et placée en détention provisoire pour révélation d'informations relatives à une instruction.
Cette affaire est citée dans le Nouvel Observateur, Libération, Le Monde, et le Figaro, qui titre plus sur le corporatisme de la profession.
Le Monde affirme même que cette mise en détention serait intervenue après une garde à vue de 6 jours, ce qui est d'autant plus préoccupant qu'une telle durée serait illégale.
Je suis en réalité très réservé sur cette affaire, et ne me joindrai pas pour le moment au concert de protestations.
Les faits tels que rapportés par la presse (ce qui est une réserve considérable) sont les suivants.
Cette consoeur était en charge de la défense des intérêts d'une personne qui serait mise en examen dans une instruction portant sur du blanchiment d'argent issu du trafic de stupéfiant.
Le procureur de la République d'Orléans, tribunal où est menée l'instruction concernée, Madame Isabelle Toulemonde, a, comme la loi le lui permet, fait une déclaration à la presse indiquant que "Dans cette affaire dix-huit personnes, dont Me M*, ont été mises en examen, onze dont l'avocate sont en détention et 450.000 euros, 325 kilos d'or et 400 kilos d'argent ont été saisis" (source : Le Nouvel Obs). Et comme on dit à Orléans, si Toulemonde le dit, c'est que c'est vrai (désolé pour le calembour, c'était plus fort que moi).Plus sérieusement, c'est un gros dossier, d'autant que les peines encourues sont de nature criminelles.
En tant qu'avocat de la Défense, Maître M* avait donc accès au dossier.
D'après Libération, cette avocate aurait reçu un coup de fil du meilleur copain de son client, et lui aurait laissé entendre qu'il avait des soucis à se faire. D'après Le Monde, ce copain serait lui même mis en examen dans cette affaire, mais l'article du Monde est bourré d'approximation et ne me paraît pas crédible, nous verrons pourquoi. (Mise à jour au 22 avril : d'après les déclarations ce matin sur France Info d'un représentant du parquet d'Orléans, cet ami n'était pas mis en examen et c'est cette prochaine mise en examen que Maître M* lui aurait annoncé. Le Monde est décidément lamentable sur la couverture de cette affaire).
Or depuis la fameuse loi Perben II qui décidément a droit à une deuxième jeunesse dans l'actualité, un nouvel article du Code pénal, le 434-7-2, punit de 5 ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende sans préjudice des droits de la défense, le fait, pour toute personne qui, du fait de ses fonctions, a connaissance d'informations issues d'une enquête ou d'une instruction en cours, de révéler ces informations à des personnes susceptibles d'être impliquées dans la commission de ces infractions, lorsque cette information est de nature à entraver le déroulement des investigations. Ce délit vise tout particulièrement l'avocat qui transmettrait à des tiers des éléments appris lors d'un entretien avec un gardé à vue avant que cette garde à vue n'ait pris fin, ce que le Code de procédure pénale prohibe absolument et depuis longtemps (article 63-4, alinéa 4 du Code de procédure pénale). La sanction ne pouvait avant Perben II n'être que de nature disciplinaire, mais suite à l'affaire Buffalo Grill, le législateur a cru devoir en faire un délit.
Elle a donc été arrêtée mercredi dernier, placée en garde à vue mais certainement pas six jours comme le dit Le Monde (qui au passage répond à ma question de l'autre jour : non, il n'y a pas de juriste dans cette rédaction), puis incarcérée.
Pourquoi Le Monde se trompe-t-il en disant que la garde à vue a duré 6 jours ? Tout simplement parce que ce serait illégal, et les juges ont la sale manie de respecter la loi, au grand dam des avocats.
En fait, le nouvel Obs indique qu'elle a d'abord été incarcérée à la maison d'arrêt de Seysses, près de Toulouse, avant d'être présentée aux juges orléanais en charge du dossier et incarcérée à Bourges. Cela ressemble à vue de nez à une garde à vue sur commission rogatoire (accompagnée d'une perquisition dans un cabinet d'avocat) puis un mandat d'amener à plus de 200 km pouvant nécessiter une courte première détention (à Seysses) avant d'être présentée aux juges d'instruction en charge de l'affaire, le terme présenté étant ici assez cocasse puisqu'ils devaient déjà se connaître, qui l'ont mise en examen et ont saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande de placement en détention, à laquelle il a été fait droit.
Beaucoup d'avocats et d'organisations professionnelles réagissent vivement à cette nouvelle. Dominique Tricaud, éminent confrère que je respecte par ailleurs, et membre du Conseil de l'Ordre, ce qui fait qu'en plus je le crains, ne mâche pas ses mots dans le Nouvel Obs, en en faisant même un peu trop. Dire en effet qu'à l'issue de la communication d'un conseil avec son client, on peut l'accuser d'avoir divulgué une information qu'il n'aurait pas dû fournir et l'avocat peut alors se retrouver incriminé, c'est oublier que l'incrimination est "sans préjudice des droits de la défense". De même, dire que cette loi touche à la fois à la profession d'avocat et de journaliste est franchement douteux, le délit supposant que la personne ait eu connaissance d'informations liées à une instruction en cours "du fait de ses fonctions". Or un journaliste n'a pas accès à ces informations du fait de ses fonctions. Au contraire, il doit solliciter des gens qui ont accès à ces informations du fait de leurs fonctions pour pouvoir les publier.
Le JAL (Justice Action Liberté) appelle à une manifestation demain en robe devant la Chancellerie.
Je me demande dans quelle mesure l'utilisation (je n'ose parler de récupération) de cette affaire pour le combat général pour les droits de la défense ne nuit pas à la défense de notre consoeur dans ce cas particulier. Pour ma part, je n'irai pas.
Pourquoi ne suis-je pas toute ire et fureur, quitte à surprendre certains lecteurs ?
Parce qu'il semblerait qu'effectivement, si les faits sont avérés, ma consoeur a commis le délit de l'article 434-7-2. On peut contester ce délit, mais il est en vigueur, et un avocat n'est pas au dessus des lois. Au contraire : j'ai de la profession une assez haute idée pour être plus sévère avec mes confrères qui la transgressent. Le législateur a déjà montré par le passé qu'il ne cherche qu'un prétexte pour rogner les droits de la défense. Et tout avocat qui trahit le secret professionnel pour transmettre des informations sensibles à des gens susceptibles d'être impliquées ne se comporte plus en auxiliaire de justice, mais en complice de ses clients. La colère des magistrats, et leur sévérité, est compréhensible. Même si je la regrette, elle n'est pas scandaleuse en soi.
L'excuse des droits de la défense ne tient pas : les droits de la défense ne concernent que celui qu'on assiste, certainement pas ses amis, même son meilleur pote, ou sa famille. Oui, quand on a un client détenu, la famille, les proches se manifestent, veulent savoir. Il faut savoir résister à ces pressions, et ne dire que l'anodin, c'est le B.A.BA. du métier. C'est dur, surtout quand ce sont ces personnes qui règlent nos factures. Qui a dit que c'était un métier facile ?
En commettant cette faute, cette consoeur nous a fait perdre de la crédibilité aux yeux des juges, à moi et à tous mes autres confrères. Les relations avec les juges en général et ceux d'instruction en particulier, pour bien fonctionner, ne peuvent reposer sur le seul code de procédure pénale. Il y faut en plus une relation de confiance, quand elle est possible, qui permet des discussions informelles avec le juge, où on va pouvoir avoir une idée des suites du dossier et préparer le terrain pour une éventuelle demande de mise en liberté au moment opportun, suggérer une correctionnalisation, voire une décision de non lieu. Ces discussions apportent beaucoup. Quand un juge me donne son sentiment sur un dossier, il doit être sûr que je garderai ce commentaire pour moi. Sinon, il ne me le donnera plus. Et le dialogue se fera par des demandes d'actes et des recours devant la chambre de l'instruction. Rien n'est pire que ces dossiers. En tout cas, c'est comme ça que je fonctionne.
De même, quand un juge met une personne en examen, il doit être certain que l'avocat qui assistera cette personne ne va pas se précipiter informer ceux dont le nom apparaît dans le dossier, ou pire, ceux que son client lui indiquera. Exiger au nom des droits de la défense une impunité générale revient à sacrifier notre crédibilité auprès des magistrats, qui repose sur une notion surannée mais qui a encore son poids au palais : notre honneur. Tant pis pour ceux qui me trouveront emphatiques. Et perdre cette crédibilité nuirait considérablement aux droits de la défense. Sacré paradoxe.
Attention, toutefois. Je ne vais certainement pas me réjouir de l'incarcération de cette consoeur et appeler à la sévérité judiciaire. Ma seule sévérité sera celle de mon opinion, qui ne fait pas bien mal.
Je suis très dubitatif sur la conformité de cette incarcération avec l'article 144 du Code de procédure pénale. Cette confidence a-t-elle causé un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public ? La détention est elle l'unique moyen de s'assurer de la personne d'une avocate ? De la protéger ? De prévenir le renouvellement de l'infraction ? D'empêcher des pressions sur les témoins, alors que visiblement elle a été victime d'une écoute téléphonique ? D'éviter une collusion entre coauteurs, alors qu'elle est la seule auteur de ce délit ? A d'autres.
Qu'elle soit remise en liberté, qu'elle se retire du dossier et qu'elle fasse l'objet de poursuites disciplinaires, et le trouble sera réparé (sous réserve que son comportement s'avère aller plus loin dans la complicité).
La perquisition du cabinet d'avocat qui a suivi et sa mise sous scellé me fait grincer des dents, tous les dossiers ayant été examinés, même ceux des autres avocats, ce qui est hélas légal (ce serait trop facile de planquer des documents compromettants dans le bureau du voisin) et source d'abus (témoin tel juge d'instruction bien connu à Paris qui a pris connaissance de l'intégralité des correspondances échangées entre l'avocat et le mise en examen, sous les protestations furieuses du Bâtonnier, avant de les remettre dans le dossier en disant "vous voyez, je respecte le secret des correspondances, je ne saisis pas ces documents ; mais il fallait bien que je m'assurasse qu'il s'agissait de correspondances couvertes par le secret..." ; l'incident est réel, sauf l'emploi de l'imparfait du subjonctif). Un juge d'instruction n'a rien à faire dans un cabinet d'avocat où il n'a pas été invité, sauf s'il est lui même client. Raisons de plus pour ne jamais leur donner de motif d'y venir perquisitionner.
Je souhaite à ma consoeur, du fond du coeur, de recouvrer la liberté le plus vite possible, ce qui ne sera pas aujourd'hui, son référé liberté ayant été rejeté, et la cour devant examiner son appel au fond le 28 avril prochain. Il est possible et sans doute probable que la probité de Maître M* ne soit pas en cause, et qu'elle ignorait en donnant cette information qu'elle transgressait l'article 434-7-2 du Code pénal.Elle a été assez sanctionnée par cette mésaventure et cette détention. Le Monde la qualifie "d'avocate civiliste" ce qui semble indiquer a contrario qu'elle n'était pas pénaliste. Un début d'explication ?
Mais ce cas ne mérite pas la croisade, non dépourvue d'arrière-pensées que certains veulent lever.
Commentaires
1. Le vendredi 22 avril 2005 à 01:58 par François
2. Le vendredi 22 avril 2005 à 06:50 par François
3. Le vendredi 22 avril 2005 à 09:44 par Nekura
4. Le vendredi 22 avril 2005 à 11:00 par all
5. Le vendredi 22 avril 2005 à 12:57 par Gagarine
6. Le vendredi 22 avril 2005 à 13:03 par kowalsky
7. Le vendredi 22 avril 2005 à 13:14 par Porfirio
8. Le vendredi 22 avril 2005 à 14:34 par Gascogne
9. Le vendredi 22 avril 2005 à 16:35 par Gagarine
10. Le vendredi 22 avril 2005 à 17:27 par wendy
11. Le samedi 23 avril 2005 à 11:14 par bol_de_lait
12. Le samedi 23 avril 2005 à 11:19 par Bambi
13. Le samedi 23 avril 2005 à 14:48 par Floripedes
14. Le lundi 25 avril 2005 à 15:57 par Floripedes
15. Le lundi 25 avril 2005 à 23:08 par Gascogne
16. Le mardi 26 avril 2005 à 23:23 par le-felin
17. Le mercredi 27 avril 2005 à 09:27 par Guignolito
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19. Le mercredi 11 mai 2005 à 18:04 par Floripedes
20. Le jeudi 12 mai 2005 à 00:02 par Devons nous nous inquiéter?
21. Le samedi 4 février 2006 à 12:14 par Mariesnoopy