Vous allez me la cacher, cette Cène que je ne saurais voir, oui ?
Par Eolas le vendredi 8 avril 2005 à 19:52 :: Commentaire judiciaire :: Lien permanent
La cour d'appel de Paris vient de confirmer l'ordonnance de référé ayant interdit l'affichage de la publicité pour du prêt à porter reprenant des éléments visuels de la Cène de Léonard de Vinci.
Voici des extraits des motifs tels que les publie le Nouvel Observateur :
La cour a estimé "qu'il était gravement fait injure aux sentiments religieux et à la foi des catholiques" et qu'il s'agissait d'une "composition parodique injurieuse pour les catholiques".
"Cette représentation outrageante d'un thème sacré détourné par une publicité commerciale leur cause ainsi un trouble manifestement illicite qu'il importe de faire cesser par la mesure d'interdiction sollicitée", a ajouté la cour.
Les trois juges insistent particulièrement sur "l'incongruité de la position du seul personnage masculin, présenté dans une position équivoque, contre deux femmes, le groupe ainsi formé étant placé juste à droite du personnage censé représenter Jésus Christ".
La cour a également relevé le choix de la date d'affichage à savoir "le mois de mars, inclus dans le carême et comprenant cette année la semaine sainte précédant Pâques", ce qui renforçait, selon les conseillers, "l'injure faite par les publicitaires".
Evidemment que ça arrive aujourd'hui précisément ne manquera pas de provoquer des amalgames douteux, et certains défenseurs de la laïcité s'offusquer des termes de l'arrêt.
Ce qu'il faut savoir pour alimenter votre réflexion (dont je vous invite à faire ici une expression modérée dans la forme) :
L'appel a été jugé par trois magistrats, contrairement à la première instance où le juge était seul. C'est donc une décision collégiale, qui ne peut être accusée d'être l'expression de la conviction religieuse du magistrat.
Juridiquement, la question soumise à la cour se posait en ces termes, qui figurent à l'article 809 du nouveau Code de procédure civile : L'affichage de cette image cause-t-ellle un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser ?
C'est ce trouble manifestement illicite qui était au coeur des débats. En l'espèce, le trouble est caractérisé selon la Cour par l'insulte faite aux catholiques, dans une période particulière : le carème, dont la Cène marque le point d'Orgue, puisque ce moment est l'acte de naissance du christianisme, et le testament du Christ.
Détourner cette image pour une démarche commerciale, en inversant le sexe des participants et en utilisant des poses considérées comme sinon lascives au moins assez ambigues pour évoquer un moment de sensualité, constituerait un tel trouble.
L'interdiction est donc confirmée.
Il est tout à fait normal que des éléments religieux soient cités dans la décision : le trouble illicite doit s'apprécier tel que le plaignant le perçoit et le ressent. Si un fait trouble gravement les catholiques et réjouit les athées, les juges seront enclins à mettre fin au fait en question pour rétablir la situation antérieure.
Le principe de laïcité n'interdit pas de prendre en compte le fait religieux, contrairement à ce qui s'entend beaucoup ces jours ci : la loi de 1905 le reconnaît même expressément. Le principe de laïcité impose même à l'Etat de protéger l'exercice effectif de la liberté religieuse. Une affiche insultante pour les musulmans en plein ramadan serait sans nul doute sanctionnée pour les mêmes motifs.
Le terme de trouble "illicite" est à préciser : illicite n'est pas illégal. Un trouble illicite n'a pas à violer directement une norme légale ou réglementaire (même si une telle violation serait quant à elle nécessairement illicite). Il suffit qu'il constitue une faute civile susceptible d'engager la responsabilité civile du fautif.
Rappelons enfin que cette image n'est pas interdite en soi : c'est son affichage, sauf erreur de ma part, qui a été interdit, surtout celui de la taille d'une façade d'immeuble. Sa publication dans une revue reste licite.
Je reste critique sur le fait que cette affiche soit effectivement insultante pour les catholiques. Elle ne m'a pas choqué du tout, et ne méritait guère plus qu'un haussement d'épaules.
Je regrette également que la Cour ne se soit pas penchée sur la question du nombre de jambes sous la table, qui est une grave insulte faite à l'arithmétique.
Sur le premier volet de cette affaire : piqûre de rappel ici.
Commentaires
1. Le samedi 9 avril 2005 à 10:04 par Zenitram
2. Le samedi 9 avril 2005 à 10:56 par Zenitram
3. Le samedi 9 avril 2005 à 10:57 par loula
4. Le samedi 9 avril 2005 à 11:31 par all
5. Le samedi 9 avril 2005 à 11:33 par Sophie
6. Le samedi 9 avril 2005 à 12:37 par Zenitram
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8. Le samedi 9 avril 2005 à 18:13 par Denys
9. Le samedi 9 avril 2005 à 18:30 par Wulf
10. Le samedi 9 avril 2005 à 18:43 par yves
11. Le samedi 9 avril 2005 à 18:55 par Gagarine
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26. Le mardi 12 avril 2005 à 16:59 par Max_well
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