Cachez moi cette Cène que je ne saurais voir
Par Eolas le lundi 14 mars 2005 à 14:18 :: Commentaire judiciaire :: Lien permanent
Les plus grands noms de la blogosphère y vont de leur post, je ne saurais être en reste, d'autant qu'il s'agit d'une décision judiciaire.
Le tribunal de grande instance de Paris, en la présence réelle de son président, a décidé de jeter l'anathème sur cette publicité des créateurs de mode Marithé et François Girbaud, qui reprenait l'iconographie de Léonard De Vinci représentant la Cène, le dernier repas du Christ avant la Passion, au moment où il annonce qu'il mourra bientôt, ce qui provoque l'émoi de ses apôtres.
De fait, seule la position des personnes et leur gestuelle est respectée : le sexe des intervenants est inversé (il y a treize femmes et un homme), celles-ci sont, on le devine, vêtues des créations Girbaud.
L'association Croyances et Libertés, qui est qualifiée d'oxymoron par Libération, (ce qui est une sottise : on dit oxymore en Français), émanation de la Conférence des Évêques de France a demandé la mise à l'index de cette image piteuse et peu pieuse, ce que la trinité du tribunal (le Président, le procureur et le greffier) a accordé, non sans un schisme du parquet qui avait requis le débouté.
Procéduralement tout d'abord : il s'agissait d'une procédure de référé d'heure à heure, c'est à dire une mesure urgente et provisoire sollicitée du juge dans un très bref délai pour mettre fin à un trouble manifestement illicite (article 809 alinéa 1 du nouveau Code Procédure civile, l'un des Évangiles des avocats). Comme le relève pertinemment Paxatagore dans son sain blog, Le Monde commet une erreur en disant que le parquet a requis la relaxe : on n'était pas en matière pénale.
Mais cette erreur ne lui est pas imputable en totalité : il semble, si j'en crois Libération, que le péché originel relève de l'association demanderesse qui avait utilisé la procédure du référé sur un fondement pénal, à savoir "l'injure visant un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion déterminée, en l'occurrence le catholicisme". Croyances et Liberté soulevait que "la publicité met en scène des femmes dans des poses lascives et des plus suggestives [...], des comportements érotiques et blasphématoires à l'égard de ce qui constitue l'essentiel pour des chrétiens, alors qu'on est en plein carême". C'était mélanger deux procédures inconciliables, le référé et la citation directe, surtout en matière de presse. La première audience, prévue le 25 février, s'est donc soldée soit par par une irrecevabilité de la demande, ou une nullité de la citation, en raison de cette hérésie procédurale, soit par une décision constatant l'incompétence du juge des référés, une qualification pénale étant en jeu, la transsubstantiation civil-pénal n'étant pas encore admise en procédure française. Je suis obligé de deviner, difficile d'en savoir plus avec cet article, satanée formule "une erreur de procédure a contraint à repousser l'audience au 10 mars". Laquelle ? Aucune importance, c'est du droit.
La Passion de Marithé et François Girbaud ne s'arrête pas là.
Multipliant les citations comme qui les petits pains, l'association Croyances et Liberté remet le couvert contre cette Cène et convoque un nouveau concile dans le bureau du Président, ayant abjuré la voie pénale pour la voie civile.
Cette fois, la demande d'autodafé ne porte plus que sur l'affichage géant situé à Neuilly Sur Seine, indique Libération. Pourtant, l'interdiction portera sur l'affichage en tout lieu public et sur tout support. L'association parle de blasphème, consistant dans la démarche mercantile reprenant une scène fondatrice de la religion catholique pour vendre de prêt à porter, ce qui est en contradiction avec la jurisprudence Jésus et autres contre Marchands du Temple. Et surtout, il y aurait cet homme nu dans une pose lascive à la droite du personnage central.
La défense (soit l'agence de communication Air Paris et la société Girbaud) réplique que de nombreuses oeuvres d'art religieux montrent le Christ et les saints nus (on voit même les auréoles des saints), qu'Andy Warhol s'est déjà attaqué à la Cène en remplaçant les participants par des motos (suggérant sans doute que les invités au repas du Seigneur sont des pistonnés ?), et qu'à travers cette photo, c'est le livre Da Vinci Code, auquel l'agence a sans doute voulu faire allusion, car la peinture de Vinci y fait figurer Marie Madeleine à la droite du Christ, ce qui n'est pas attesté dans les Évangiles, c'est ce livre donc qui est attaqué, mais cet ouvrage, qui pourtant attaque beaucoup plus durement le dogme catholique, n'a pas été interdit.
Le parquet, qui était présent à l'audience comme partie jointe, comme la loi lui en donne faculté pour toute affaire même entre parties privées, a pris la parole en dernier et a requis le débouté de l'association Croyances et Liberté, car il s'agirait là d'"une interprétation d'une œuvre historique". "La scène n'est ni pornographique ni grotesque, a estimé Madame Caby. La présence d'un homme nu vu de dos ne me semble pas obscène en 2005. L'interdiction serait une censure de principe."
Le tribunal a pourtant jeté l'Interdit sur cette image en en interdisant l'affichage en tout lieu public et sur tout support (les pages intérieures d'un magasine semblent épargnées par cette décision), car "Le choix d'installer dans un lieu de passage obligé du public cette affiche aux dimensions imposantes constitue un acte d'intrusion agressive et gratuite dans les tréfonds des croyances intimes ", estiment les magistrats. Ils ajoutent : "La légèreté de la scène fait par ailleurs disparaître tout le caractère tragique pourtant inhérent à l'événement inaugural de la Passion". "L'injure ainsi faite aux catholiques apparaît disproportionnée au but mercantile recherché".
Cette décision est exécutoire même en cas d'appel, comme tout référé, et doit être exécutée sous trois jours sous peine d'une astreinte de 100.000 euros par jour de retard, outre 10.000 euros au titre de l'article 700, c'est à dire des frais d'avocat. ces montants sont considérables : le président a sorti l'artillerie lourde. Bref : c'est du droit canon.
Les défendeurs ayant perdu face à Hérode ont décidé d'aller voir Pilate, et ont fait appel.
Que penser de cette décision ?
Sur le principe qu'une interdiction puisse être prononcée sur le fondement d'une atteinte aux convictions religieuses d'autrui, je n'ai rien à redire. La laïcité républicaine, à laquelle je suis très attaché, même si on la dévoie beaucoup, implique le respect de TOUTES les religions. Même la majoritaire. Qu'un artiste, au sens large, ce qui me permet d'inclure les images publicitaires, détourne des symboles religieux de manière à choquer volontairement les croyants d'une religion, afin de s'attirer la sympathie d'un public confondant provocation et créativité, ne doit pas être accepté au nom d'une liberté d'expression absolue et dictatoriale. Car cela revient à insulter une minorité pour flatter la majorité.
Inutile donc de crier au retour à l'ordre moral. On en est loin, Dieu merci.
Maintenant, à ce cas d'espèce, cette image a-t-elle de quoi choquer les catholiques ? J'enfile mon aube par dessus ma robe et vais parler en ma qualité de catholique sur ce coup là.
Je trouve que cette photo n'a rien de choquant.
D'abord, il n'y a point d'homme nu, il porte un Jean's (allusion à l'Evangile selon Saint Jean's ?) : on voit un bout de la raie des fesses, mais c'est sans doute parce que Girbaud fait des ceintures et rappelle ainsi l'utilité de l'accessoire (ou alors c'est pour satisfaire la clientèle homosexuelle de Girbaud, je ne sais pas, c'est Versac le spécialiste de la pub, après tout)
Plus sérieusement, la première fois que je l'aie vue dans un magasine, j'ai immédiatement reconnu la Cène et y ai vu un hommage. La démarche est mercantile, certes, et alors ? Quand on voit le prix unitaire auquel l'Église vend des cierges, on réalise qu'elle sait ce qu'est une démarche mercantile !
De plus, aucun symbole religieux ne figure sur la photo (on n'y voit point de croix), et les auteurs de la photo ont eu la délicatesse de ne pas faire figurer en gros la marque concernée, il ne figure sur la table aucun bien de consommation, et les visages, quoi que peu expressifs par rapport à la toile de Vinci, montrent bien que c'est un moment de grande émotion qui se joue. Je ne me suis en rien senti insulté par cette image. Au contraire, je me sens plus insulté par la démarche de l'association Croyances et Liberté qui quelque part agit en mon nom pour demander une interdiction d'une oeuvre, acte grave s'il en est, auquel je refuse en l'espèce d'être associé.
Ma foi, j'espère que la cour d'appel de Paris reviendra à plus de raison.
En plus, je trouve que les débats sont passés à côté de l'essentiel.
En effet, quand j'ai vu cette photo pour la première fois, avant même que cette affaire n'ait commencé, je me suis posé deux questions :
- Comment cette table tient-elle en l'air, elle n'a pas de pied ?
- A qui appartient la main qu'on voit sous la table à droite ? Regardez bien : personne n'est assez penché pour que son bras atteigne si bas.
Voilà des questions intéressantes, j'espère que la Cour d'appel les évoquera. Je veux y croire.
Commentaires
1. Le lundi 14 mars 2005 à 16:32 par Factorem Caeli
2. Le lundi 14 mars 2005 à 17:12 par versac
3. Le lundi 14 mars 2005 à 17:21 par Paxatagore
4. Le lundi 14 mars 2005 à 19:33 par yves
5. Le lundi 14 mars 2005 à 19:39 par yves
6. Le lundi 14 mars 2005 à 19:40 par Bladsurb
7. Le lundi 14 mars 2005 à 21:00 par Paxatagore
8. Le lundi 14 mars 2005 à 21:01 par arno
9. Le lundi 14 mars 2005 à 23:40 par Schloren
10. Le lundi 14 mars 2005 à 23:51 par Polydamas
11. Le mardi 15 mars 2005 à 00:30 par jko
12. Le mardi 15 mars 2005 à 06:07 par all
13. Le mardi 15 mars 2005 à 07:45 par Raboliot
14. Le mardi 15 mars 2005 à 08:24 par Bambi
15. Le mardi 15 mars 2005 à 10:10 par Factorem Caeli
16. Le mardi 15 mars 2005 à 10:20 par Soph
17. Le mardi 15 mars 2005 à 11:15 par shan
18. Le mardi 15 mars 2005 à 11:23 par Denys
19. Le mardi 15 mars 2005 à 11:36 par Raboliot
20. Le mardi 15 mars 2005 à 12:03 par Guignolito
21. Le mardi 15 mars 2005 à 18:59 par louis
22. Le mardi 15 mars 2005 à 19:00 par Louis. again.
23. Le mardi 15 mars 2005 à 19:28 par Gagarine
24. Le mardi 15 mars 2005 à 23:38 par nico
25. Le mercredi 16 mars 2005 à 08:00 par shan
26. Le mercredi 16 mars 2005 à 08:50 par all
27. Le mercredi 16 mars 2005 à 10:02 par Marc_
28. Le mercredi 16 mars 2005 à 12:28 par Marc_
29. Le vendredi 18 mars 2005 à 06:13 par Alessandra
30. Le vendredi 18 mars 2005 à 13:04 par Marcel
31. Le vendredi 18 mars 2005 à 16:27 par Porfirio
32. Le samedi 19 mars 2005 à 01:07 par Spark
33. Le samedi 9 avril 2005 à 02:09 par M LeMaudit
34. Le jeudi 21 avril 2005 à 13:56 par nono
35. Le mercredi 8 février 2006 à 19:07 par farissou