Les jugements sont ils écrits d'avance ?
Par Eolas le jeudi 24 février 2005 à 16:02 :: Commentaire judiciaire :: Lien permanent
Un confrère qui me fait l'honneur de me lire et plus encore celui de me commenter, a attiré mon attention sur un incident récent ayant eu lieu ai tribunal administratif de Paris, ayant donné lieu à ce communiqué du Syndicat des Juridictions Administratives.
Notre Bâtonnier Bien Aimé a dans un premier temps menacé de sonner le tocsin, avant de s'adoucir dans un récent éditorial du Buleltin interne de l'Ordre.
Les faits sont simples : le 8 février dernier, un avocat préparant une audience de reconduite à la frontière au tribunal administratif de Paris, a eu la surprise de trouver, en consultant le dossier, un projet de jugement, manuscrit et non signé, rejettant le recours de son client. Alors que l'audience allait avoir lieu. Il a demandé copie de ce document et a mis e ncause l'impartialité du tribunal, affirmant que les jugements étaient écrits d'avance.
Le Bâtonnier a enfourché son cheval de Bataille avant d'en redescendre aussi vite après une rencontre avec les juges administratifs.
Je vous avouerai que je fais partie de ceux qui n'ont pas été émus par cette affaire. Elle s'explique en grande partie par la culture de la procédure écrite des juges administratifs, qui ont l'habitude, quand l'affaire vient en audience, d'avoir déjà étudié les argumentaires des parties, et avoir déjà une opinion sur la décision qu'ils vont prendre. Ils ne vont pas jusqu'à rédiger des projets de jugement, faute de connaître la position du commissaire du gouvernement, qui n'est donnée quà l'audience.
Mais en matière de reconduite à la frontière, il n'y a pas de commissaire du gouvernement. La procédure se veut urgente l'ordonnance du 2 nov 1945, (sur le point de devenir le Code des de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) prévoit que la décision doit être prise sous trois jours. En pratique, le tribunal administratif de Paris parvient à tenir un délai de trois semaines (d'autres tribunaux, mettent jusqu'à six mois).
La plupart des recours ne sont pas motivés, car faits par les étrangers eux même, et disons le, ne sont pas juridiquement fondés. Ils se résument à "s'il vous plait, ne m'expulsez pas" alors que le débat devrait être : "la préfecture ne peut pas juridiquement me reconduire à la frontière parce que...".
Les moyens de défense sont limités : il s'agit surtout de voir si l'étranger n'entre pas dans une catégorie d'étranger protégée contre l'expulsion. Il peut y avoir discussion sur le droit à une vie privée et familiale mais la jurisprudence commence à bien cerner ce concept. Un magistrat délégué habitué à la matière, à la lecture de l'arrêté et des pièces éventuellement produites par la défense aura d'ores et déjà une bonne idée de la décision qu'il va prendre. Il n'y a rien d'anormal ou de scandaleux à ce qu'il mette à profit le temps qu'il passe à préparer son audience à rédiger un projet de jugement. Quitte à le changer du tout au tout si l'audience révèle un élément déterminant, ce qui sera rarement le cas. Et dans ce cas, son temps de délibéré sera consacré à rédiger des jugements allant dans un sens contraire à sa première impression qu'à rédiger tous ses jugements.
Récemment, j'ai été commis d'office dans un dossier pénal venant sur appel d'un jugement du tribunal correctionnel de Bobigny. Comme d'habitude, la cour d'appel m'a fait une copie intégrale du dossier, bien plus complète que celle que j'obtiens habituellement des tribunaux (il ne manque que le B1...). Le prévenu avait été présenté au juge des libertés et de la détention, n'ayant pu être jugé en comparution immédiate. Et bien la cote "pièces de forme" contenait toutes les suites possibles, déjà rédigées avec mention des noms de mon client : ordonnance de placement en détention provisoire (déjà motivée...), ordonnance de placement sous contrôle judiciaire (celle là signée) et ordonnance de remise en liberté pure et simple. Je n'ai pas crié au scandale : j'ai compris que le greffe est informatisé, et quand un dossier arrive, un greffier entre le nom du prévenu et imprime directement un PV de comparution immédiate et les ordonnances du JLD, et que les pièces s'avérant utiles sont signées au fur et à mesure sans mobiliser un greffier. Les autres sont des rebus, des documents de travail jamais régularisés.
Certes, c'est de la justice prêt à porter, et non du sur mesure. Mais ça fait longtemps que Brummel ne s'habille plus Place Vendôme. C'est une façon rationnelle de gérer des dossiers dans la précipitation voulue par le législateur. S'en indigner est charger un moulin à vent.
Commentaires
1. Le vendredi 25 février 2005 à 23:20 par Ankou
2. Le samedi 26 février 2005 à 07:20 par Paxatagore
3. Le mardi 1 mars 2005 à 14:06 par N'importe quoi !
4. Le mercredi 2 mars 2005 à 22:52 par Cobab
5. Le mardi 8 mars 2005 à 13:34 par Ankou
6. Le mardi 8 mars 2005 à 15:44 par lmpooo
7. Le samedi 12 mars 2005 à 13:54 par Cobab