C'est un style...
Par Eolas le mercredi 26 janvier 2005 à 22:47 :: Dans le prétoire :: Lien permanent
Chaque audience est marquée profondément par la personnalité du Président. La procédure inquisitoriale française prévoit que c'est le juge qui dirige les débats : c'est son audience, c'est lui le patron.
La qualité du débat s'en ressent. Voici ce que j'ai pu entendre récemment dans un prétoire.
C'est un style, disons. Mais je précise tout de suite que ce Président connaissait bien ses dossiers, les avait travaillé sérieusement et était un pénaliste accompli, plusieurs avocats s'en sont rendus compte à leurs dépens.
Les prévenus sont au nombre de deux : Bidule et Truc. Ils ont été arrêtés en flagrant délit de vol de voiture. Ils avaient avec eux tout l'attiral pour voler une voiture haut de gamme. Quand la police est arrivée, Bidule avait déjà reprogrammé la serrure électronique pour qu'elle s'ouvre avec un bip à elui, et ne réponde plus au bip du propriétaire. Truc faisait le guet mais n'a pas vu la police arriver. Il nie toute participation au vol.
Bidule a une dizaine de condamnations au casier. Truc n'en a pas, mais on a trouvé sur lui un papier avec le numéro d'immatriculation de la voiture, l'adresse et le nom du propriétaire et même le numéro de série du moteur.
Manifestement, c'est une commande, dans le cadre d'un circuit organisé (avec complicité probable d'un employé du garage habituel du propriétaire).
Le Président est un routard du pénal, assez massif, à qui on ne la raconte pas. Sa capacité à la patience est proche du zéro absolu.
Les prévenus se réfugient dans la tactique des rois du baratin, que mes lecteurs connaissent bien. C'était juste un vol pour des pièces, le papier n'est pas à Truc, c'est juste une rapine.
Florilège du Président :
- Vous croyez que le tribunal est aussi idiot que vous ?
-Vous reconnaissez les faits ? (tentative de baratin) Monsieur Bidule, le cinéma, vous le laissez dehors. Je vous demande si vous reconnaissez les faits. Vous avez trente secondes.
-Avoir trois secondes de courage dans votre vie, ça vous effleure ?
-Ayez un peu de courage, Monsieur Truc, je dirais bien autre chose, mais il y a des dames. (la défense était tenue par deux avocates)
Truc: Je n'ai jamais eu affaire à la police. (son casier est effectivement vierge) - C'est pour ça que vous ne savez pas mentir.
Une partie du public s'amusait bien, et les gendarmes aussi. Un président comme ça, ça anime une audience. C'est un style, je n'ai pas de jugement à porter, tout au plus une réserve personnelle : je ne suis pas sûr que les prévenus aient le sentiment d'être bien jugés en étant maltraités ainsi. L'audience perd son aspect pédagogique quand la justice ne respecte pas le justiciable, fût-il tête à claque.
Qu'un procureur se lâche un peu, pas de problème pour moi. Ils doivent avoir à mon sens la même liberté de ton que les avocats, puisque nous sommes adversaires. Un procureur mou est d'ailleurs dommage, surtout face à un Président comme ça. Mais qu'un Président se permette ce genre de ton, ça me chiffonne.
D'autant plus que parfois, le dérapage n'est pas loin.
Une de ses remarques ne m'a pas du tout fait sourire.
- Allons, cessez de raconter cette histoire de vol de pièces. On sait ce que c'est. Il y a les vols accidentels, de Mohamed et Machin (sic), qui piquent une voiture pour un rodéo, et les vols professionnels, commandités par des réseaux.
Il y a des phrases pour les prétoires, d'autres pour les buvettes. Le greffier a su faire la différence : il n'a pas mentionné cette phrase au plumitif.
Commentaires
1. Le jeudi 27 janvier 2005 à 00:17 par padawan
2. Le jeudi 27 janvier 2005 à 02:01 par Nicolas (尼古拉)
3. Le jeudi 27 janvier 2005 à 09:50 par Guignolito
4. Le jeudi 27 janvier 2005 à 10:40 par jid
5. Le vendredi 28 janvier 2005 à 10:01 par Paxatagore
6. Le lundi 31 janvier 2005 à 16:04 par Putch
7. Le mardi 15 février 2005 à 14:56 par eomer